Envisager les diverses formes de violence ne peut donner lieu à une simple description : l’enjeu est de savoir comment les juger. De quels critères disposons-nous pour cela ?
I. Violence et droit
Le premier critère est la légitimité. L’usage de la violence entre particuliers doit être empêché, sans quoi les conflits se multiplieraient et la société serait ruinée. Il est donc nécessaire, comme l’explique Max Weber, de réserver cet usage à la puissance publique chargée d’assurer l’ordre : l’État détient le « monopole de la violence physique légitime » (Le Savant et le politique, 1919) et l’exerce dans un cadre strictement défini (sans quoi ce serait la violence à son encontre qui serait alors justifiée).
La nature de la violence n’en est pas pour autant changée : une contrainte est exercée à l’égard d’autres personnes, par laquelle on attente à leur intégrité physique ou à leur liberté. C’est pourquoi Arendt insiste sur la nature purement instrumentale de la violence, quelles que soient par ailleurs les justifications qu’on lui donne.
Définition
Dérivé du latin vis, « force, vigueur », la violence est essentiellement associée à l’emploi de la force, par opposition au dialogue.
II. Un phénomène d’ampleur variable
Un second critère est l’ampleur de cette violence : le droit pénal admet que toutes les formes de violence ne sont pas comparables, puisqu’elles ne sont pas caractérisées de la même façon (on distingue les contraventions, les délits et les crimes) et qu’on ne les sanctionne pas de la même manière (une agression n’est pas un meurtre). L’existence de cette échelle implique une proportionnalité des peines (Beccaria, Des Délits et des peines, 1764).
On s’efforce aussi de considérer qui exerce la violence (est-ce par exemple une personne détenant autorité ?) et qui la subit (est-ce une personne particulièrement fragile ?). Le contexte, les motivations ou encore le degré de préméditation permettent de dégager des facteurs atténuants ou aggravants.
La violence rationnelle et planifiée exercée par un État (guerre, torture, viols…) est d’une ampleur incomparable à celle des particuliers en proie à leurs passions. Les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, tels ceux perpétrés par les systèmes totalitaires du XXe siècle, les organisations terroristes aujourd’hui, ou plus généralement dans le cadre de conflits armés, peuvent conduire leurs auteurs devant une Cour pénale internationale.
III. Des manifestations plus ou moins insidieuses
Le degré de conscience avec lequel la violence est exercée ou subie est très variable. Certaines formes de violence sont très insidieuses et ne s’exercent pas par un usage manifeste de la force physique. Dans une dispute, il peut arriver d’employer des mots extrêmement blessants soit à dessein, soit parce qu’on est en colère : c’est une violence verbale.
Certaines contraintes imposées aux personnes, notamment dans le domaine du travail, sont ressenties par elles comme des violences infligées au quotidien, comme en témoigne Simone Weil (La Condition ouvrière, 1937). Il existe une violence sociale du fait de l’exposition d’une partie de la population à la misère, au chômage, au manque d’éducation, etc. Pourtant, personne ne fait directement de mal à personne…
À noter
Le documentaire de S. Bruneau et M.-A. Roudil, Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (2005), montre des gens ordinaires témoignant de leur souffrance au travail.
On peut même subir une violence au quotidien sans en avoir conscience, par le fait d’un conditionnement. Ainsi, la violence symbolique désigne le fait qu’un individu ou un groupe social intériorise des représentations qui confortent sa soumission et occultent à ses propres yeux sa situation. Les stéréotypes de genre entrent dans cette catégorie comme le montre Bourdieu dans La Domination masculine (1998), mais aussi les clichés racistes ou le mépris social.
Le crime contre l’humanité
C’est au procès de Nuremberg en 1945 qu’on a retenu pour la première fois la qualification de « crime contre l’humanité ». L’ampleur des atrocités commises par les nazis, mais aussi les modalités inédites de cet assassinat de masse, froidement planifié et minutieusement mis en œuvre dans les camps de la mort, rendaient cette violence incomparable à toute autre.