Œuvre clé - L'œuvre de Raymond Queneau

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Raymond Queneau (1903-1976) est un écrivain incontournable du XXe siècle, tant ses innovations ont bouleversé et renouvelé la création littéraire. Avec la fondation de l’Oulipo, son héritage se poursuit encore aujourd’hui.

I. Raymond Queneau, le langage en bandoulière

1) Une curiosité insatiable

Très tôt fasciné par les nouvelles esthétiques en rupture avec la tradition littéraire, Queneau accompagne le groupe surréaliste d’André Breton dans les années 1920, mais n’en conserve que peu d’influence. 

Sa curiosité l’amène à s’intéresser à tous les domaines du savoir, et notamment aux mathématiques. Il crée l’Encyclopédie de la Pléiade en 1945, puis entre au Collège de ‘Pataphysique en 1951. 

Queneau voit dans la littérature un vaste champ d’expérimentation : l’écriture se fait éminemment ludique. 

Son écriture, particulièrement novatrice, combine les formes et les genres, explore toutes les potentialités de la langue. Ses Exercices de style (1947) proposent 99 variantes d’un même récit banal, chacune soumise à une contrainte spécifique (à l’endroit, à l’envers, au passé simple, à l’imparfait, en alexandrins, en onomatopées…).

Définition 

La ‘Pataphysique, mise au point par l’écrivain Alfred Jarry à la fin du XIXe siècle, est la science extravagante et parodique des solutions imaginaires.

2) Des inventions langagières

Queneau cherche de nouveaux moyens de transcrire le français parlé, la langue orale et populaire qui lui est contemporaine. 

Le poème « Si tu t’imagines », variation sur le thème ronsardien du carpe diem, interprété en chanson par Juliette Gréco en 1949, fait la part belle aux facéties langagières : « si tu t’imagines/xa va xa va xa/va durer toujours » – la transcription phonétique, plus proche de l’oralité, remplace qu’ça va. Le vocabulaire familier est également mis en valeur : « ce que tu te goures ». 

L’écrivain joue en toute liberté avec l’orthographe. Le roman Zazie dans le métro (1959) s’ouvre sur une exclamation étonnante : « Doukipudonktan ». Amalgame d’une phrase interrogative entière à la syntaxe hasardeuse (D’où qu’ils puent donc tant ?), le mot est programmatique d’un récit qui bouscule les certitudes du langage.

II. L’Oulipo, le plaisir des contraintes

1) De nouvelles manières d’écrire

En 1960, Raymond Queneau s’associe avec François Le Lionnais, ingénieur passionné de littérature, pour fonder l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), qui rassemble des écrivains et des mathématiciens dans le but de renouveler les formes littéraires

Une place essentielle y est laissée aux contraintes, souvent formelles, envisagées comme des catalyseurs de l’écriture, dans la droite ligne des Exercices de style

Certains romans de Georges Perec (1936-1982) sont ainsi de véritables prouesses d’écriture : il utilise par exemple le lipogramme dans La Disparition (1969), où la lettre e est interdite, ou au contraire le monovocalisme dans Les Revenentes, où e est la seule voyelle autorisée.

À noter

Grâce à la méthode S + 7 (remplacer chaque substantif par le 7e qui le suit dans le dictionnaire), Queneau réécrit « La Cigale et la Fourmi » en « La Cimaise et la Fraction » !

2) La postérité de Queneau

L’écrivain italien Italo Calvino, qui rejoint l’Oulipo en 1973, publie en 1979 le récit Si par une nuit d’hiver un voyageur, où chaque chapitre contient le début d’un nouveau roman avorté. Les pastiches se succèdent : roman policier américain, réalisme merveilleux, roman russe sur la dissidence… 

Dans son recueil autobiographique Quelque chose noir (1986), consacré au deuil de son épouse disparue, le poète et mathématicien Jacques Roubaud utilise des contraintes oulipiennes : l’ouvrage est constitué de neuf sections, chacune d’entre elles contenant neuf poèmes de neuf « versets ».

Citation 

« Si nous connaissons les “règles” du jeu romanesque, nous pourrons construire des romans “artificiels” nés en laboratoire, nous pourrons jouer au roman comme on joue aux échecs […]. » (Italo Calvino, « Le roman comme spectacle »)

Cent mille milliards de poèmes

Concomitamment à la création de l’Oulipo, Queneau publie Cent mille milliards de poèmes, livre combinatoire qui permet au lecteur, en sélectionnant des vers écrits indépendamment sur des dizaines de languettes, de créer des sonnets tous différents les uns des autres. (Raymond Queneau, Cent mille milliards de poèmes (1961))