Comment la violence humaine questionne-t-elle la littérature ?

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La violence traverse l’Histoire, en particulier celle des XXe et XXIe siècles, féconde en conflits de toute sorte. La barbarie de la Shoah et des deux guerres mondiales suscite des inquiétudes sur la condition humaine et ébranle la confiance humaniste en un progrès inexorable de la civilisation.

I. Raconter la guerre

1) L’expérience de l’effroi et du chaos

Les guerres mondiales alimentent une littérature autobiographique qui rend compte, parfois crûment, de la barbarie du conflit. Henri Barbusse, acteur et témoin de la Grande Guerre, dévoile dans Le Feu (1916) la réalité du quotidien dans les tranchées, entre ennui, attente, camaraderie et terreur. 

Un siècle plus tard, dans Petit pays (Gaël Faye, 2016), le regard d’un enfant de dix ans révèle les atrocités de la guerre civile qui a ravagé le Burundi, bientôt suivie du génocide rwandais. L’harmonie familiale s’effondre en même temps que le pays.

La guerre ne se limite pas aux pertes humaines ; elle laisse les survivants mutilés et traumatisés. Marc Dugain, dans La Chambre des officiers (1998), se concentre sur le sort douloureux des « Gueules cassées » qui portent dans leur chair meurtrie les séquelles d’une guerre toujours plus dévastatrice.

2) L’absurdité de la guerre

La guerre est volontiers présentée, aux XXe et XXIe siècles, comme une pure négation de l’humain. Les auteurs soulignent son absurdité, sa barbarie qui salit toute civilisation digne de ce nom. Dans son roman Voyage au bout de la nuit (1932), L.-F. Céline plonge son personnage Bardamu dans les horreurs imprévues de la Première guerre mondiale : le regard naïf de cet anti-héros permet de dénoncer puissamment une guerre terrifiante irrationnelle. 

Le temps des héros est révolu. Monstrueuse, la guerre prend des proportions énormes et terrifiantes. La Route des Flandres (C. Simon, 1960) raconte dans une écriture fragmentée la débâcle, en 1940, d’une unité de cavalerie, vestige d’un héroïsme caduc, dans une guerre qui n’en est même plus vraiment une.

À noter

Toute une tradition littéraire épique héritée de l’Antiquité glorifie la guerre et ses combattants. À l’époque contemporaine, le regard porté sur la violence se fait beaucoup plus critique : la chanson antimilitariste « Le déserteur » de Boris Vian en témoigne.

III. S’interroger sur la guerre

1) Les mécanismes de la violence

Aux XXe et XXIe siècles, divers auteurs puisent dans la mythologie grecque pour s’interroger sur la permanence de la violence humaine. Giraudoux, dans sa pièce La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), exhibe avec un humour désabusé le mécanisme qui conduit à la guerre, pour des motifs dérisoires. 

Dans son essai Le Monde d’hier (1943), l’Autrichien Stefan Zweig décrit la mort lente d’une civilisation européenne minée par la montée des nationalismes : l’insouciance et la sécurité d’avant-guerre sont balayées. 

Au-delà des seuls combattants, la guerre détruit des familles. La pièce Incendies (W. Mouawad, 2003) s’inspire du mythe d’Œdipe pour montrer comment l’onde de choc de la guerre civile libanaise court d’une génération à l’autre.

2) L’humanité en question

La guerre déshumanise ceux qui y participent. Le titre métaphorique du roman de Giono, Le Grand troupeau (1931) transforme les soldats en bétail bientôt broyé et digéré par une terre monstrueuse et grasse de cadavres. 

Une réflexion éthique s’engage sur la légitimité du combat. Le roman Les Thibault (Martin du Gard, 1922-1940) oppose deux frères – l’un révolutionnaire pacifiste, l’autre patriote prêt à s’engager – sur la conduite à tenir face à la guerre en 1914 : au lecteur de peser les arguments… 

La guerre plonge les hommes dans une spirale dont il est difficile de sortir. Dans Le Quatrième mur (S. Chalandon, 2013), deux compagnons de lutte politique tentent vainement de faire jouer l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth en guerre : l’espoir d’une trêve sublime entre communautés, réunies autour de l’art, ne résiste pas à la folie des hommes.

L’antimilitarisme au cinéma

Centré sur l’exécution pour l’exemple de soldats de la Grande guerre qui ont refusé de combattre lors d’une offensive suicide, ce film américain dénonce la cruauté cynique de la hiérarchie militaire. Les soldats y apparaissent comme des pions sacrifiés par ambition ou par caprice. Il a fallu attendre dix-huit ans pour que ce film polémique soit autorisé en France ! (Les Sentiers de la gloire, film de Stanley Kubrick (1957))