Que révèle la littérature des troubles du moi ?

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Mouvant, le « moi » fascine : l’intérêt croissant pour la singularité de l’individu et les découvertes liées au psychisme marquent profondément la littérature, fascinée par des personnalités complexes.

I. Littérature et psychologie

1) Des « moi » qui échappent

Fasciné par la psychologie, Stefan Zweig explore dans Le Joueur d’échecs (1943, ​posth.) les zones troubles du psychisme d’un Autrichien victime du nazisme, qui, isolé jusqu’à perdre pied, a vu dans le jeu d’échecs une voie de salut, allant jusqu’à jouer mentalement contre lui-même. 

Certains personnages deviennent des cas d’étude pour arpenter les ressorts secrets de la conscience. L’héroïne insaisissable du Ravissement de Lol V Stein (Duras, 1964) bascule dans la folie après son abandon par son fiancé, lors d’un bal qui lui a comme ravi son identité.

Citation

Le psychanalyste Lacan salue la force du récit de Duras : « elle s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne ».

2) Des « moi » fragilisés, ébranlés

 Souvent opaque à lui-même, le moi s’expérimente comme multiple, discontinu dans la poésie de Nerval, qui explore des identités autres, parfois fantasmées : « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé » (« El Desdichado », Les Chimères, 1854). 

Les troubles de la personnalité fascinent : dépossédé de lui-même, aliéné, le personnage incarne alors à l’extrême la tendance du moi à se métamorphoser. Dans La Métamorphose (Kafka, 1915), Gregor Samsa se réveille en insecte
répugnant, traité comme un parasite par sa propre famille. 

Dans des situations extrêmes, l’identité s’effondre. À travers la figure trouble de Jacques, un amnésique, Jean Anouilh explore la possibilité fantasmatique pour un moi de renoncer à un passé jugé indécent, pour se recréer une identité à sa mesure (Le Voyageur sans bagage, 1937).

II. Le mystère des personnalités troublées

1) La volonté de comprendre

Chef de file du naturalisme, Zola cherche à comprendre la « machine humaine ». Dans La Bête humaine (1890), il fouille l’intériorité de Jacques Lantier, en proie à des pulsions meurtrières déclenchées par son désir sexuel.

À noter

Les écrivains naturalistes ont des ambitions scientifiques : ils cherchent à étudier les déterminismes sociaux en s’intéressant notamment au rôle de l’hérédité.

Emmanuel Carrère, dans L’Adversaire (2000), raconte l’enquête qu’il a menée pour élucider la personnalité complexe du meurtrier J.-C. Romand, qui a éliminé ses proches de peur qu’ils ne découvrent sa double vie. Pendant sept ans, l’auteur est animé par la volonté opiniâtre de comprendre ce qui a pu faire basculer cet homme dans la monstruosité.

2) L’exploration des lisières de la folie 

La littérature peut interroger la santé mentale de personnages qui s’égarent​ dans la folie. Le héros du « Horla », nouvelle fantastique de Maupassant (1887), se croit persécuté par une créature impalpable dont l’existence reste jusqu’au bout sujette à caution…  

L’individu n’est ni libre (ses désirs le meuvent) ni transparent à lui-même ; c’est ce que montre R. L. Stevenson dans L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (1886). Il donne corps à un « moi » double, tiraillé entre des aspirations contradictoires : un « moi » respectable conforme aux attentes de la société victorienne, et un « moi » caché, soumis à ses pulsions dévastatrices. D’une grande force symbolique, ce récit fantastique préfigure les découvertes de
la psychanalyse.

Les troubles de la personnalité au cinéma 

Dans ce film d’horreur psychologique, James McAvoy interprète un criminel doté de vingt-quatre personnalités différentes. Chacune prend le contrôle de son corps à son tour, jusqu’à ce que la plus dangereuse d’entre elles supplante toutes les autres. Le film explore de manière spectaculaire la complexité de la psyché humaine. (James McAvoy dans Split, film réalisé par M. Night Shyamalan (2017))