Suis-je étranger à moi-même ?

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Cette question surprend car je suis a priori le ou la mieux placée pour me connaître. Pourtant, savoir qui l’on est et l’assumer peut relever d’un travail long et difficile.

I. L’individu séparé de lui-même

1) Le moi inconnu

La psychanalyse a démontré que les renseignements fournis par la conscience ​sont fragmentaires et inexacts. L’expérience le confirme : on peut parfois perdre le contrôle de soi-même, ou commettre des actes dans lesquels on
ne se reconnaît pas. 

Mais déjà la conscience réflexive crée un décalage entre l’idée que j’ai de moi-même et l’individu que j’observe. S’interrogeant sur lui-même, Augustin avoue : « je suis devenu pour moi-même une énigme » (Confessions, 400).

Définition

La conscience réflexive désigne le fait de pouvoir s’observer soi-même, comme on observe l’image de soi renvoyée par un miroir.

2) L’aliénation

Du latin alienus, « étranger », l’aliénation désigne un processus par lequel ​l’individu est séparé de lui-même. En ce sens, l’ignorance de soi est aliénante

Feuerbach note que l’être humain ne s’attribue pas ses propres qualités. Mais comme il en a confusément conscience, il les projette dans un être extérieur à lui et le nomme « Dieu ». C’est pourquoi la théologie doit laisser place à l’anthropologie (L’Essence du christianisme, 1841). 

Marx étend le concept d’aliénation au monde du travail : en raison de leurs conditions de travail, les hommes sont non seulement exploités mais séparés d’eux-mêmes, car ils ne peuvent se reconnaître dans leur propre activité.

II. L’étrangeté de la condition humaine

1) Folie et angoisse

La folie est caractérisée comme « aliénation mentale » par la psychiatrie du​ XIXe siècle. La personne malade est tenue pour gravement étrangère à elle-même dans la mesure où elle ne sait plus qui elle est ni dans quel monde elle se trouve. Au nom de ce principe, elle doit être prise en charge par la société. 

Cependant, la non-coïncidence à soi et au monde est inscrite dans la condition humaine elle-même. Kierkegaard évoque une quête de soi menée dans la solitude, le désespoir et l’angoisse. Les grands systèmes philosophiques n’offrent pas de réponse à cette « difficulté d’être » : délaissant l’existence, ils « nous laissent à nous autres, hommes, le pire à digérer » (Miettes philosophiques, 1846).

Citation 

« Ce qui me manque, au fond, c’est de voir clair en moi, de savoir ce que je dois faire et non ce que je dois connaître. » (Kierkegaard)

2) Le risque de l’absurde

 Selon Heidegger, la temporalité dans laquelle s’inscrit l’existant humain le voue à ne jamais coïncider avec soi-même  : constamment en train de se projeter en avant de lui-même, le Dasein est « soucieux » dans son être quotidien et « angoissé » lorsqu’il anticipe sa propre mort (Être et temps, 1927). Une telle perspective menace l’existence d’absurdité.

Définition

Du latin ex-sistere, exister peut s’interpréter comme « sortir de soi », « se projeter en avant de soi », et donc être en dehors de soi.

Le fait que nous ne soyons jamais tout à fait ce que nous sommes en train de devenir signifie selon Sartre que « l’existence précède l’essence » : je n’ai pas d’identité fixée au préalable, je suis constamment en train de m’inventer par mes choix. Mais comme cette liberté est angoissante, nous avons tendance à réagir avec « mauvaise foi » et à nous enfermer dans des rôles auxquels nous nous identifions exagérément, tel le garçon de café décrit dans L’Être et le néant (1943).

La folie 

Au XIXe siècle, la folie devient un objet de science avec la constitution de la psychiatrie moderne. En France, Pinel tente le premier une classification des maladies mentales. Son collaborateur Esquirol, qui lui succède à la Salpêtrière, est à l’origine de la loi de 1838 prévoyant les conditions d’enfermement des aliénés. (Twin Peaks, série télévisée créée par Mark Frost et David Lynch (1990-2017))