Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la littérature reflète une crise des valeurs et des consciences. Dominée par deux genres, le théâtre et le roman, la production des années 1950 se caractérise par un désir de subversion : c’est le « Nouveau Théâtre » et le « Nouveau Roman ».
I. La subversion des codes traditionnels
1) Le brouillage des repères spatio-temporels
L’individu semble perdu dans le monde, écrasé par un univers qui le dépasse. Les personnages de Samuel Beckett, par exemple, apparaissent dans des espaces hostiles, étranges, sans repères.
La narration linéaire, chronologique, laisse place à des intrigues déconstruites, où les époques se mélangent ; le lecteur est mis à l’épreuve. Dans La Route des Flandres (1960), Claude Simon fait émerger de manière fragmentée les souvenirs du personnage, à travers de longues phrases qui expriment la confusion d’un esprit envahi d’émotions et de pensées.
2) Des personnages déconstruits
Le personnage hérité du réalisme, doté d’un état civil, d’un caractère, d’une psychologie, n’a plus lieu d’être : il renvoie à une conception surannée de l’être humain, balayée notamment par les avancées de la psychanalyse.
Un « soupçon » pèse désormais sur le personnage, dont les Nouveaux Romanciers veulent la « mort ». Il n’est plus qu’un regard ou une initiale (Robbe-Grillet, La Jalousie), une conscience anonyme (Sarraute, Tropismes).
Le personnage du Nouveau Théâtre devient une sorte de coquille vide. Le théâtre de Beckett est peuplé d’infirmes, de clochards, de fantoches ; les personnages de Ionesco semblent interchangeables.
3) La mort de l’intrigue
Le Nouveau Théâtre simplifie souvent l’intrigue à l’extrême. Suspendus à l’arrivée d’un personnage énigmatique – dont le nom rappelle Dieu –, qui n’arrivera jamais, les vagabonds d’En attendant Godot (Beckett, 1953) prennent conscience de la vacuité de l’existence.
Michel Butor raconte dans La Modification (1957) le voyage en train d’un homme d’abord décidé à quitter son épouse pour sa maîtresse, avant de changer d’avis – l’intrigue se résume alors à « un remuement intérieur, à un dangereux brassage et remâchage de souvenirs ».
À noter
Le critique Jean Ricardou disait qu’avec le Nouveau Roman, « le roman n’est désormais plus l’écriture d’une aventure, mais l’aventure de l’écriture ».
II. Une humanité troublante
1) La faillite du langage
Le langage est déconstruit, comme miné de l’intérieur. Dans La Cantatrice chauve (Ionesco, 1949), les personnages en arrivent à dire les pires absurdités ; le dialogue, fondé sur des jeux de mots, des proverbes et clichés, des onomatopées se fait de plus en plus incohérent et automatique.
Les mots se dérobent, incapables de sonder la complexité de l’être. Dans Le Ravissement de Lol V Stein (Duras, 1964), les mots sont impuissants à cerner et guérir le traumatisme que Lol a éprouvé lorsque son fiancé l’a abandonnée, en plein bal.
2) Un monde qui échappe
Les pièces du Nouveau Théâtre – aussi appelé « Théâtre de l’absurde » ou « anti-théâtre » – reflètent un sentiment fort de l’après-guerre : la conscience de l’absurde. Elles renvoient une image dérisoire de notre condition. Ionesco conçoit sa « farce tragique » Le Roi se meurt (1962) comme « une sorte d’exercice spirituel » à même de nous familiariser avec l’idée de la mort.
À noter
Dans la pièce, le roi Bérenger Ier voit son royaume disparaître progressivement, signe de sa mort imminente, qu’il refuse obstinément jusqu’à l’abandon final.
Dans le roman, le narrateur perd son omniscience et renonce à proposer au lecteur un monde transparent. Les récits multiplient les voix, les zones d’ombre, les silences. Dans Moderato Cantabile (Duras, 1958), c’est au lecteur de tâcher de (re)construire l’histoire qui se tisse entre Anne Desbaresdes et Chauvin – une histoire d’amour, peut-être.
Un théâtre qui brouille les repères
Dans cette mise en scène épurée, Winnie apparaît dans toute sa fragilité déconcertante : enlisée jusqu’à la taille, dans un paysage vide, elle intrigue d’emblée un spectateur plongé dans une intrigue où « il ne se passe rien ». (Samuel Beckett, Oh les beaux jours (1963), mise en scène de Roger Blin, 1964)