Notre monde devient-il inhabitable ?

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Le monde est l’univers physique et plus particulièrement la Terre que nous peuplons, mais le terme désigne aussi l’espace commun qui relie les humains. En quoi est-il aujourd’hui menacé ?

I. Des crises multiples

1) Une situation alarmante

L’Anthropocène désigne une nouvelle ère géologique marquée par les effets irréversibles de l’action humaine sur la nature. Cette domination inédite sur la nature nous met en danger, avec le réchauffement climatique, la réduction de la biodiversité, une croissance de la population mondiale et des ressources qui s’amenuisent (André Lebeau, L’Enfermement planétaire, 2008). 

Dans Le Principe responsabilité (1979), Hans Jonas dénonce l’optimisme forcené des partisans du progrès et la menace que la technique fait peser sur l’humanité. Il formule un nouvel impératif éthique : ne pas compromettre « la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ». 

Inspiré par cette démarche, Jean-Pierre Dupuy prône une peur préventive et contrôlée, car ce n’est qu’en envisageant le pire qu’on pourra sortir de l’inconscience et de l’inaction (Pour un catastrophisme éclairé, 2002).

Citation

« Nous vivons dans une situation apocalyptique, c’est-à-dire dans l’imminence d’une catastrophe universelle, au cas où nous laisserions les choses actuelles poursuivre leur cours. » (Jonas)

2) Un rapport au monde brisé

Notre familiarité avec le monde a été ébranlée par les tragédies du XXe siècle : pour Günther Anders, Auschwitz et Hiroshima sont le point d’orgue d’une technicisation du réel qui a profondément dévalué notre expérience du monde. Nous savons désormais que l’humanité est réellement capable de se détruire elle-même et que ce n’est qu’une question de « délai » (L’Obsolescence de l’homme, 1956). 

Hannah Arendt constate la « désolation » accomplie par le totalitarisme, mais déjà à l’œuvre dans la société de consommation : notre « maison terrestre » ne devient un monde que lorsque nous pouvons y agir en commun et laisser des œuvres. Cela requiert un espace public et une durabilité qui tendent à disparaître lorsque tout est relégué au rang de marchandise (Condition de l’homme moderne, 1958).

Définition

Arendt entend la désolation comme « privation de sol » ou déracinement qui détruit l’appartenance au monde et la possibilité d’y agir en commun.

II. Repenser notre rapport au monde

1) L’appartenance à un tout

Dans son Almanach d’un comité des sables (1949), Aldo Leopold formule une « éthique de la terre » : il exalte la « communauté biotique » qui place les êtres vivants humains et non humains d’une même région en interdépendance.

Citation

« Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. » (Leopold)

Pionnier de « l’écologie profonde », Arne Næss parle d’« écosphère » : l’humain évolue « comme une partie qui s’insère dans le tout », et son identité dépend du rapport au monde qu’il habite (Écologie, communauté et style de vie, 1976). 

J. Baird Callicott appelle à redonner de la valeur au vivant. Il ne s’agit pas de sauver la nature pour sauver l’humanité (approche humaniste) mais pour elle-même (« écocentrisme »). L’humain est indissociable de la Terre et le rêve de déménager sur une autre planète est vain (Éthique de la Terre, 2010).

2) Un équilibre à sauvegarder

James Lovelock défend l’« hypothèse Gaïa » : la Terre et sa biomasse sont comme un seul organisme vivant et autorégulé. Si l’action humaine excède cette capacité de régulation, on basculera dans un autre équilibre qui ne sera pas forcément favorable à l’existence humaine. Nous devons donc réformer nos façons d’agir (La Revanche de Gaïa, 2006). 

Certains présentent la décroissance comme voie vers une meilleure qualité de vie. Pour André Gorz, par exemple, il faut sortir du capitalisme et de sa logique de profit pour redonner au politique son indépendance et rétablir un rapport respectueux à la nature (Ecologica, 2008).

Différentes manières « d’habiter le monde » 

À l’opposé du « naturalisme » occidental, selon lequel tous les êtres vivants ont un corps mais seuls les humains ont une âme, l’anthropologue Philippe Descola découvre, chez les Achuar d’Amazonie, l’« animisme » : tous les êtres vivants ont une vie intérieure, seule diffère leur apparence physique.