Œuvre clé - Hannah Arendt, Du mensonge à la violence

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Du mensonge à la violence (Crises of the Republic) réunit des articles composés entre 1970 et 1972 au gré d’une actualité mouvementée. Mais le recueil témoigne surtout de l’ambition la plus constante d’Arendt : « penser l’événement ».

I. Une philosophe dans son siècle

Hannah Arendt (1906-1975) quitte l’Allemagne en 1933 pour échapper aux persécutions nazies et acquiert la nationalité américaine en 1951. Marquée par le régime totalitaire et la barbarie nazie, son œuvre interroge les conditions de l’action et le rapport de l’événement à la pensée. 

Du mensonge à la violence est sous-titré Essais de politique contemporaine. Armée de concepts rigoureux et d’un regard critique, Arendt se saisit des problèmes qui agitent l’actualité avec une conviction profonde : la violence résulte d’un délitement du pouvoir lié à la disparition de l’autorité dans le monde moderne.

II. Composition du recueil

1) « Du mensonge en politique »

La publication dans la presse des archives du Pentagone en 1971 (les Pentagon Papers) a révélé au monde entier les mensonges des autorités américaines sur la guerre du Vietnam. Tout en dénonçant un pathétique déni de réalité, Arendt montre que le mensonge a partie liée avec la politique. 

Le monde humain est en effet contingent : « les choses auraient pu se passer effectivement de la façon dont le menteur le prétend ». L’action politique est elle-même une forme de libre invention qui rend le cours de l’histoire imprévisible.

Citation

« La négation délibérée de la réalité – la capacité de mentir – et la possibilité de modifier les faits – celle d’agir – sont intimement liées ; elles procèdent l’une et l’autre de la même source : l’imagination ».

2) « La désobéissance civile »

Arendt revient à Socrate et Thoreau pour mieux saisir la nature des mouvements qui agitent les campus américains. La désobéissance civile est un mode d’action collectif, public et non-violent, entrepris au nom de la justice : on ne saurait l’assimiler à la délinquance. 

Il y a certes une difficulté irréductible à lui reconnaître une existence juridique (comment le droit pourrait-il justifier la transgression du droit ?), mais le refus d’accorder son « consentement » apparaît en phase avec l’esprit de la constitution américaine, et plus généralement avec l’État de droit.

3) « Sur la violence »

À l’encontre de mouvements tentés par le recours à la violence (Nouvelle Gauche, Black Panthers…) et d’intellectuels qui s’en font les « prédicateurs » (Sorel, Fanon, Sartre…), Arendt rappelle que la violence n’est ni fondatrice ni rédemptrice, mais qu’elle est purement instrumentale

Le pouvoir en effet n’est pas la domination, mais correspond à l’aptitude de l’homme à agir de façon concertée et se fonde sur le consentement à des institutions. La violence n’est donc pas la marque du pouvoir et encore moins son origine, mais le symptôme de son déclin.

Citation

« La violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer. »

4) « Politique et révolution »

Arendt loue dans cet entretien le sursaut moral de la jeunesse mais déplore l’idéologie et l’esprit de destruction qui rongent certains mouvements étudiants. Revenant sur la « crise de confiance » qui agite la société américaine sous l’effet de la guerre du Vietnam et de la question raciale, elle renouvelle son constat d’un « affaiblissement du pouvoir » inclinant la société à la violence.

Cette situation révolutionnaire lui donne l’occasion de rêver à un État moins centralisé et bureaucratique, animé par des « conseils » ouverts à tous les citoyens désireux d’y participer.

Citation

« Les révolutionnaires ne “font” pas les révolutions ! Mais ils savent à quel moment le pouvoir appartient à la rue, et quand l’heure est venue pour eux de s’en emparer. »

« La petite fille au napalm »

Terrorisée et gravement brûlée par les bombes au napalm de l’armée américaine, la petite vietnamienne Kim Phuc, alors âgée de neuf ans, est captée dans sa détresse et sa nudité par l’objectif de Nick Ut en 1972. 

La puissance de l’image lui fait faire le tour du monde et alimente l’opposition croissante à la guerre du Vietnam. Kim Phuc est aujourd’hui engagée à l’UNESCO au service de la paix. (Photographie de Nick Ut (Vietnam, 1972))