Musset, On ne badine pas avec l’amour

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Parue en 1834, la pièce On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset est publiée dans le second volume d'Un spectacle dans un fauteuil. Elle s'inscrit dans le parcours « les jeux du cœur et de la parole » qui interroge les liens entre la séduction, le mensonge et la sincérité amoureuse.

I. L'auteur et le contexte d'écriture

A) Biographie d'Alfred de Musset

  • 11 décembre 1810 : Musset naît dans une famille aristocrate particulièrement cultivée et passionnée par la littérature. Il réussit une scolarité brillante qu'il poursuit par des études de droit et de médecine, qu'il arrêtera néanmoins rapidement pour vivre une vie de dandy ;
  • Il entre très tôt en littérature puisqu'il est admis dans le Cénacle des Romantiques à 18 ans où il rencontre Victor Hugo ;
  • 1830 : Musset publie ses Contes d'Espagne et d'Italie, ainsi que sa première pièce, La Nuit vénitienne. Cependant le succès n'est pas au rendez-vous et la représentation est un véritable échec. Blessé, il décide de s'écarter des codes du théâtre pour proposer des pièces sans artifices, destinées à être lues : en 1832 paraît alors le premier volume d'Un spectacle dans un fauteuil ;
  • de 1833 à 1835 : il fréquente George Sand mais celle-ci le trompe alors qu'il est malade : cette trahison marquera durablement sa production littéraire, comme le témoigne les duperies de On ne badine pas avec l'amour ;
  • 1834 : Publication du second volume d'Un Spectacle dans un fauteuil comprenant On ne badine pas avec l'amour et Lorenzaccio, un drame politique très pessimiste ;
  • 1836 : Musset revient à la narration en publiant La Confession d'un enfant du siècle. Le caractère mélancolique de ce roman est représentatif du « mal du siècle » dont souffre la génération de l'auteur ;
  • À partir de 30 ans, Musset délaisse sa carrière littéraire au profit d'une vie de dandy où se côtoient l'alcool et la débauche ;
  • 1852 : il est élu à l'Académie française ;
  • 2 mai 1857 : Musset meurt à 46 ans de maladie.

B) Les contextes historique et politique

La génération de Musset grandit dans un contexte politique marqué par une profonde instabilité. Après la Révolution française, Napoléon arrive au pouvoir en 1799 après un coup d'État et est sacré empereur en 1804. Il le restera jusqu'en 1814 lorsqu'il est contraint d'abdiquer suite à une défaite militaire. Débute alors la Restauration qui est un retour à la royauté : les Bourbons reprennent le pouvoir. Cependant, le peuple se rebelle à plusieurs reprises, notamment lors des Trois Glorieuses les 27, 28 et 29 juillet 1830. Cette révolution sera suivie par une nouvelle monarchie : la monarchie de Juillet. Néanmoins, la situation ne s'améliore toujours pas pour le peuple qui continue de s'appauvrir contrairement aux bourgeois et aux aristocrates. C'est alors que débute la deuxième République, en 1848, qui durera jusqu'au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte qui mènera au second Empire.

Le contexte politique très compliqué de cette première moitié de XIXe siècle verra naître chez les jeunes gens un véritable malaise personnel que l'on nommera « le mal du siècle » et que Musset décrit dans La Confession d'un enfant du siècle.

C) Le contexte littéraire

Le XIXe siècle est marqué par le mouvement romantique qui se déploie dans toutes les formes d'art et dans toute l'Europe. En France, Victor Hugo en est l'un des représentants principaux.

En littérature, le romantisme est reconnaissable par son style lyrique : pour les auteurs, la sensibilité et l'émotion doivent dominer, notamment la mélancolie. Les auteurs aiment également décrire la nature pour en faire un moyen d'expression de leurs sentiments, c'est ce que l'on nomme le « paysage état d'âme ».

Bien qu'il s'en éloigne à partir des années 1835, Musset s'inscrit dans le mouvement romantique.

D) Quelques dates à retenir

  • 1810 : naissance de Musset ;
  • 1814 : Restauration : les Bourbons reprennent le pouvoir ;
  • 1830 : révolution populaire avec les Trois Glorieuses puis Monarchie de Juillet ;
  • 1834 : On ne badine pas avec l'amour ;
  • 1848 : deuxième République ;
  • 1852 : Second Empire ;
  • 1857 : mort de Musset

II. Présentation de l'œuvre

A) Le genre littéraire

On ne badine pas avec l'amour appartient au genre du « proverbe » c'est-à-dire à un genre léger et mondain : il s'agit de courtes pièces destinées à divertir des aristocrates sur un ton badin.

Néanmoins la pièce de Musset s'oriente davantage vers le drame romantique caractérisé par le mélange des genres. En effet, cette pièce se compose de scènes à la fois comiques et satiriques notamment dans le premier acte mais tire vers la tragédie dans le dernier acte.

B) Structure de l'œuvre

La pièce se compose de trois actes faisant monter progressivement la tension dramatique.

  • Acte I : Le Baron présente son projet de mariage à Camille, sa nièce, et Perdican, son fils, mais la réaction des jeunes gens n'est pas celle attendue. Dimension parodique et satirique : les deux hommes d'église sont de véritables caricatures tandis que le personnage de Dame Pluche apparait ridicule.
  • Acte II : déçu que Camille ne l'aime pas en retour, Perdican entreprend de séduire Rosette, la sœur de lait de Camille. Le ton est moins comique mais est paradoxalement à la fois plus badin et plus sérieux, notamment dans la dernière scène où Camille livre ses réflexions sur l'amour et la religion.
  • Acte III : la tonalité devient presque tragique. Un jeu de dupes se met en place, les stratagèmes s'enchainent menant jusqu'à un arrêt fatal : la mort de Rosette, qui se suicide lorsqu'elle comprend qu'elle a été trahie, rend l'union de Camille et Perdican impossible.

III. Analyse de la pièce

A) Les personnages

  • Perdican : jeune homme de 21 ans présenté comme très bien éduqué. Il prend plaisir à badiner et à séduire et, contrairement à Camille, ne s'intéresse pas à la religion. Les duperies mises en place conduiront à l'impossibilité de son union.
  • Camille : cousine de Perdican, la jeune fille de 17 ans veut se retirer pour vivre dans un couvent. Ce n'est qu'au moment de quitter la campagne qu'elle prend conscience de son amour pour Perdican et de l'aveuglement de sa foi. Elle tente à son tour de se jouer de son cousin ce qui conduira à la mort de Rosette.
  • Rosette : elle est une paysanne et la sœur de lait de Camille. Elle se fait séduire par Perdican qui se joue d'elle et devient ensuite la marionnette des tractations des deux jeunes gens. C'est un personnage pur, qui n'est pas dans les duperies et qui payera de sa vie le prix de son innocence.
  • Le Baron : père de Perdican et oncle de Camille, c'est lui qui décide du mariage au début de la pièce.
  • Les « fantoches » : au théâtre, ce terme renvoie à des personnages sans véritable consistance. Dans la pièce, il s'agit de Dame Pluche, de Me Bridaine et de Me Blazius. Ce sont des personnages burlesques et qui ont une vocation comique. Ils ne sont pas en mesure de comprendre les tiraillements émotionnels des personnages tant ils sont obsédés par leurs vices (l'argent, l'alcool, la religion...). Ces personnages grotesques sont typiques du drame romantique.

B) Les thématiques principales

  • L'amour : l'amour est le moteur dramatique de la pièce et l'intrigue ne tourne qu'autour du potentiel mariage de Camille et Perdican. Deux visions de l'amour s'opposent : celle de Perdican qui a déjà connu des femmes et qui est prompt à la séduction et au badinage et celle de Camille qui a grandi en apprenant que l'amour n'est qu'une source de souffrance et qu'elle ne doit donc pas aimer.
  • La religion : la religion est représentée de deux façons différentes. Tout d'abord, les deux hommes d'église, Me Bridaine et Me Blazius, ridiculisent l'église : ce sont des ivrognes qui ne s'intéressent qu'à la nourriture et à la place qu'ils tiendront à table et font preuve d'orgueil et de jalousie l'un envers l'autre. La religion est donc ici présentée sous la forme d'une satire. Elle est également critiquée à travers la foi de Camille : celle-ci a reçu son éducation au couvent et en est sortie dévote. Elle se refuse alors à l'amour et souhaite se retirer du monde comme on le lui a appris. Lorsqu'elle prendra conscience de la déraison de sa foi, elle se décrira comme un « perroquet mal appris » car la religion ne lui a enseigné que la dévotion.
  • Le jeu de dupes : dans le troisième acte, Camille et Perdican mettent tour à tour en place des duperies afin de blesser l'autre. Cela permet de renforcer la tension dramatique et de mener le nœud théâtral à son paroxysme tout en créant plaisir et crainte chez le lecteur.

C) Les liens avec le parcours

  • Le badinage et la parole trompeuse : Perdican est l'exemple même de la parole badine. Il cherche à séduire par ses discours amoureux Camille puis Rosette, puis de nouveau Camille. Néanmoins, il est dans le mensonge et la duperie avec Rosette : le badinage est un simple jeu, un passe-temps qui est pour lui sans conséquence. La parole du jeune homme devient alors l'instrument de la plus profonde des cruautés qui mènera la paysanne à sa mort.
  • Une sincérité presque impossible : Camille ne parvient pas à exprimer ses sentiments à Perdican et se cache derrière un « masque de plâtre ». L'aveu final des sentiments sincères conduit à la mort de Rosette. D'autres voix sincères sont, quant à elles, ignorées : le chœur fait régulièrement part de ses craintes et personne ne les écoute tandis que Rosette exprime ses sentiments à Perdican qui l'ignore. L'aveu sincère ne semble donc mener nulle part si ce n'est à la mort.
  • Une parole vide de sens : les « fantoches » et Le Baron ont une parole « vide », puisque leurs discours sont hyperboliques et ne renvoient pas réellement à la réalité. Les « fantoches » ont un rôle comique qui ne conduit qu'à des préjugés et des stéréotypes et ne permettent donc pas d'aiguiller les deux amants.