Corneille, Le Menteur

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Corneille est l’un des dramaturges les plus célèbres de la littérature française grâce à la richesse de ses pièces dont les intrigues sont foisonnantes. En 1644, il écrit Le Menteur qui est un immense succès. Cette œuvre s’inscrit dans le parcours « mensonge et comédie » puisque Dorante, le personnage principal, multiplie les mensonges pour le plus grand plaisir des lecteurs et des spectateurs.

I. L’auteur et le contexte

A) Biographie de Corneille

  • 1606 : naissance de Pierre Corneille à Rouen. Il est issu d’une famille appartenant à la bourgeoisie de robe (c’est-à-dire une bourgeoisie qui s’est enrichie par la carrière juridique) ;
  • 1624 : Corneille devient avocat à la fin d’une brillante scolarité chez les jésuites ;
  • 1629 : publication de sa première comédie, Mélite. Corneille décide alors d’arrêter sa carrière d’avocat pour devenir dramaturge ;
  • 1637 : publication du Cid qui est un succès retentissant. Si ses six premières pièces étaient des comédies, il s’essaie à la tragi-comédie avec le Cid. Néanmoins, l’absence de régularité de la pièce vis-à-vis des règles du théâtre de son époque fait scandale ;
  • de 1640 à 1642 : publication de cinq tragédies ;
  • 1644 : Le Menteur ;
  • 1647 : Corneille est reçu à l’Académie française ;
  • de 1652 à 1674 : il continue d’écrire des pièces mais celles-ci rencontreront de moins en moins de succès ;
  • 1684 : mort de Corneille.

B) Les contextes historique et politique

Lorsque paraît Le Menteur, c’est le tout début du règne de Louis XIV puisque Louis XIII est mort l’année précédente. Le cardinal Mazarin gouverne donc la France en attendant que le futur roi soit suffisamment grand pour le faire par lui-même.

C’est également un temps de guerre puisque a lieu la guerre de Trente ans à laquelle la France prend part contre l’Espagne en 1635 (Dorante l’évoque dans la pièce). Au sein du pays, le gouvernement est également instable : le peuple profite de la présence d’un régent pour se révolter. La Fronde durera de 1648 à 1653.

C) Les contextes littéraire et culturel

Le XVIIe siècle est marqué par deux tendances artistiques : le mouvement baroque en début de siècle et le classicisme dans la deuxième moitié de la période.

Le théâtre est un art très à la mode au XVIIe siècle et jusque dans les années 1630, il ne connaissait pas de limite : l’esthétique baroque se caractérise par la richesse des péripéties, les mélanges de registres, les illusions…

À partir des années 1630, le théâtre tend à se codifier et les dramaturges semblent poser des limites à ce qu’ils peuvent représenter : c’est alors qu'apparaissent les notions de vraisemblance et de bienséance (diamétralement opposées à l’esthétique baroque) ainsi que la règle dite « des trois unités » (lieu, temps, action). Cette recherche de régularité sera ensuite la pierre angulaire du théâtre classique.

II. Présentation de l’œuvre

A) Le genre

Le Menteur est une comédie sociale : ce genre théâtral se définit par sa volonté de divertir les lecteurs et les spectateurs en présentant des rebondissements et des quiproquos qui aboutissent toujours à une fin heureuse.

L'œuvre de Corneille se suscite au croisement des mouvements baroque et classique : s’il respecte les trois unités dans Le Menteur, la pièce tourne autour de la notion d’illusion et de mensonge, ce qui l’éloigne de la vraisemblance.

B) La structure

La pièce est divisée en 5 actes :

  • Acte I : Dorante arrive à Paris et rencontre deux jeunes femmes qu’il tente de séduire en inventant un passé glorieux qui n’est pas le sien. Il tombe amoureux de Clarice mais, suite à une incompréhension, il est persuadé que celle-ci s’appelle Lucrèce et que Lucrèce s’appelle Clarice. L’intrigue de la pièce va reposer sur cette inversion des deux femmes.
  • Acte II : Dorante apprend que son père veut le marier à Clarice. Bien que ce soit celle qu’il aime, il refuse ce mariage, persuadé d’aimer Lucrèce. Il raconte alors à son père qu’il a déjà épousé une femme à Poitiers.
  • Acte III : la vraie Clarice est jalouse puisque Dorante serait déjà marié. Il doit donc confesser son mensonge.
  • Acte IV : le père de Dorante veut rencontrer son épouse (imaginaire). Afin que cette rencontre n’ait pas lieu, il lui annonce qu’elle est enceinte et ne peut donc pas se déplacer. Dans le même temps, Lucrèce courtise Dorante qui commence à tomber amoureux d’elle aussi.
  • Acte V : Dorante ne sait plus qui il aime véritablement. Les réelles identités des deux femmes sont révélées et Dorante doit choisir une épouse : ce sera finalement Lucrèce qui gagnera son cœur.

III. Analyse de la pièce

A) Les personnages

  • Dorante : Dorante est l’exemple même du menteur. Ayant terminé ses études en province, il rentre à Paris et veut séduire. Pour cela il donne une image de lui illusoire et s’enlise dans ses mensonges. À cela s’ajoute le quiproquo initial entre les prénoms de Clarice et de Lucrèce qui embrouille davantage l’intrigue.
  • Clarice et Lucrèce : ce sont les deux jeunes femmes dont Dorante sera épris à tour de rôle. Comme lui, elles n’hésitent pas à se jouer du jeune homme en se faisant passer l’une pour l’autre. Si Clarice est plus manipulatrice, Lucrèce semble davantage honnête et sincère.
  • Géronte : homme de la noblesse, le père de Dorante attend de son fils qu’il soit exemplaire et qu’il respecte les codes de la noblesse, ce qui n’est pas du tout le cas. Néanmoins sa crédulité et son manque d’autorité permettent à Dorante de le manipuler et d’arriver à ses fins aisément.
  • Alcippe : Alcippe est l’amant de Clarice, alors qu’elle ne connaissait pas encore Dorante. Jaloux de la relation entre Clarice et Dorante, il provoque ce dernier en duel. Son caractère crédule fait de lui un personnage comique car Dorante se joue de lui régulièrement.

B) Les thématiques

  • L’amour : l’amour est au cœur de l’intrigue puisque tous les mensonges de Dorante découlent de sa volonté d’impressionner les femmes. Les intrigues du cœur permettent les rebondissements : c’est parce qu’il est jaloux qu’Alcippe provoque Dorante en duel ou que des rendez-vous nocturnes sont donnés.
  • Le mensonge : mentir est le leitmotiv de Dorante qui distille des mensonges à chaque personnage. Il n’est néanmoins pas le seul à pratiquer la duperie puisque Clarice cherche également à se jouer de lui dans la scène du balcon où elle se fait passer pour Lucrèce. Le fait que plusieurs personnages pratiquent le mensonge fait paraître cette action moins immoral et Dorante semble alors moins condamnable.
  • L’honneur : l’honneur a une place prédominante dans les comédies sociales : il s’agit de ne jamais entacher son honneur et d’être toujours digne de son rang. Géronte se fait le dépositaire de cet honneur familial néanmoins Dorante représente une génération plus jeune et moins soucieuse des codes d’honneur.

C) Le lien avec le parcours

Le parcours s’intitule « mensonge et comédie ». La coordination entre les deux mots montre bien leur imbrication : c’est parce qu’il y a mensonge que la comédie peut exister. En effet, les mensonges donnent toujours lieu à des rebondissements palpitants ou des scènes de révélation qui constituent le propre même de la comédie. Le mensonge est donc le véritable moteur dramatique d’une œuvre, permettant de la relancer à loisir.

Historiquement, le mensonge est bien lié à la comédie puisque le théâtre est considéré comme un art du masque et du mensonge, les comédiens prétendent être ceux qu’ils ne sont pas. De plus, le théâtre est par définition un art de l’illusion, du « paraître vrai » et donc du mensonge.