Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non

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Pièce radiophonique, Pour un oui ou pour un non est la pièce la plus représentée de Nathalie Sarraute. Son étude s’inscrit dans le parcours « théâtre et dispute » puisque l’ensemble de la pièce s’articule autour d’un conflit entre deux hommes.

I. L’auteur et le contexte d’écriture

A) Biographie de l’auteur

  • 1900 : Nathalie Sarraute est née dans l’Empire russe. Elle est issue d’une famille juive ;
  • 1903 : sa famille part vivre à Paris ;
  • 1906 : retour à Saint-Pétersbourg où elle reçoit une éducation à la fois en russe et en français ;
  • 1907 : suite au divorce de ses parents et à des problèmes d’ordre politique, Nathalie suit son père et son frère en France tandis que sa mère s’installe à Budapest. Elle continue sa scolarité, qu’elle réussira brillamment, en France ;
  • De 1919 à 1922 : elle part étudier la littérature en Angleterre, l’allemand à Berlin et le droit à Paris ;
  • Dans les années qui suivent, elle rencontre Raymond Sarraute, son mari, et travaille avec lui dans une étude d’avoués ;
  • Elle commence à écrire dans les années 1930 et publie Tropismes en 1939, un ouvrage essentiel pour comprendre son œuvre ;
  • 1940 : elle est radiée du barreau en raison des lois antijuives proclamées par le régime de Vichy. Dans les années qui suivront, elle refusera de porter l’étoile jaune ;
  • À partir des années 1950 et jusqu’à sa mort, elle multiplie les publications dans différents genres : essais, pièces de théâtre, romans, autobiographie, etc. ;
  • 1957 : époque du Nouveau Roman (voir la partie sur les contextes historique et littéraire) ;
  • 1981 : Pour un oui ou pour un non (publication en 1982 et représentée pour la première fois en 1986) ;
  • 16 octobre 1999 : mort de Nathalie Sarraute.

B) Contextes historique et littéraire

Nathalie Sarraute a connu les deux Guerres mondiales ainsi que la guerre froide. Ces conflits ont eu une grande incidence sur la population dont la perception du monde a été bouleversée. L’Homme se pose alors de nombreuses questions sur l’existence humaine, ce qui va se ressentir en littérature, notamment avec le mouvement de l’absurde.

Sarraute est une figure centrale du Nouveau Roman : il s’agit d’un courant dont les oeuvres se lisent comme une recherche littéraire, celle du refus et de la déconstruction. En effet les nouveaux romanciers refusent les intrigues (comme dans Pour un oui ou pour un non, il ne se passe aucune action), essaient de déconstruire les personnages (ici, ils sont limités à un genre et un numéro - H1, H2…) pour ne garder plus que des « consciences », comme au sein de monologues intérieurs.

II. Présentation de l’œuvre

A) Le genre

Cette pièce est radiophonique : cela signifie qu’elle a été créée pour être lue à la radio, par nécessairement pour être représentée dans un théâtre. Elle s’inscrit dans l’époque du Nouveau Roman, qui n’est pas à proprement parler un mouvement littéraire.

B) Structure de la pièce

La pièce se lit comme une longue conversation, il n’y a pas à proprement parler de découpage en actes et en scènes, cependant plusieurs mouvements se dessinent :

  • L’exposition : H2 vient rendre visite à H1 pour évoquer les tensions entre eux. Ce passage permet d’expliquer la source du problème. l’intervention des voisins : H2 demande à ses voisins de trancher dans leur dispute, ce qui ne mène à rien.
  • La reprise de la dispute : après le départ de H3 et F, la dispute bifurque sur d’autres éléments de leur vie.
  • H1 souhaite rentrer mais reste finalement chez H2 : le conflit explose.
  • Le dénouement permet de comprendre que leur amitié est désormais terminée et que rien ne pourra les réunir. Cet échange a donc détruit leur amitié au lieu de la reconstruire.

III. Analyse de la pièce

A) Les personnages

La pièce ne comporte que quatre personnages, réduits à l’extrême puisqu’ils n’ont pas d’identité. Ils sont désignés par leur sexe et un numéro : H1, H2, H3 et F. Cette absence d’identification permet d’étudier ce qui se joue au sein de chaque être humain, indépendamment de l’identité. C’est donc une réflexion de l’ordre de l’intime que livre Nathalie Sarraute.

  • H1 et H2 sont deux amis en froid. H2 rend visite à H1 pour lui demander des comptes sur son attitude distante ce qui mène à une dispute.
  • H3 et F sont un couple de voisins. Ils amènent une dimension comique en essayant d’interférer dans la dispute de H1 et H2.

B) Les thématiques

  • Une réflexion sur le langage : le point de départ de la pièce est une phrase jugée comme condescendance par un des personnages puisque H1 aurait dit à H2 « C’est bien, ça ? » C’est donc bien le langage qui est au centre de la pièce. Le dialogue s’opère donc autour de cette question de la parole : les personnages se reprennent l’un l’autre (« H2 : qu’est ce qui te prend ? / H1 : "prend", est bien le mot »), commentent le choix des mots de l’autre ou tentent de compléter la parole de leur interlocuteur.
  • Le non-dit ou l’art du tropisme : « C’est ce qui échappe aux mots que les mots doivent dire. » Chez Sarraute, la parole est très souvent en suspens, comme en témoigne la multiplication des points de suspension dans presque toutes les répliques. Ce que Sarraute nomme « tropisme » ce sont tous les non-dits, tout ce qui se joue dans ce qui n’est pas prononcé. Le silence compte alors autant, si ce n’est plus, que les paroles prononcées. Le spectateur et le lecteur doivent alors apprendre à lire entre les lignes, à déjouer le sens du silence.
  • L’incompréhension : l’échange entre les deux hommes permet de rejouer une succession d'événements du passé. Ces récits, avec les deux points de vue différents, sont alors analysés et démontrent l’incompréhension entre H1 et H2 : les perceptions diffèrent toujours, ce qui mène au conflit et aux non-dits.

C) Les liens avec le parcours

Cette pièce s’inscrit dans le parcours « théâtre et dispute ». La dispute est un motif central au théâtre car c’est souvent de là que naît l’intrigue, notamment dans les tragédies. Si c’est le cas chez Sarraute, il n’y a pourtant pas de conflit hautement dramatique qui mènerait le spectateur à des frissons tragiques. La source de la dispute est la simple interprétation d’une expression pourtant commune : « C’est bien, ça ? »

Le dialogue entre les deux amis se révèle être un échec. Au lieu de mettre les choses à plat et d’apaiser les tensions, l’échange aggrave le conflit et le fait gagner en intensité, révélant ainsi les drames qui se jouent en chaque individu.