Les conflits et les guerres perdurent alors que le droit et la morale les condamnent. L’histoire peut-elle en finir avec la violence ?
I. Un problème tenace
C’est souvent au nom d’une nature humaine violente qu’on juge la guerre inévitable. Selon Freud, on ne contraindra pas l’être humain à « troquer sa nature contre celle d’un termite » : nous avons des pulsions agressives qui rendent improbable la suppression des guerres (Pourquoi la guerre ?, 1933).
À noter
Publié en 1933, Pourquoi la guerre ? est un échange épistolaire entre Freud et Einstein. Ce dernier milite à la SDN pour le désarmement des nations et questionne Freud sur les causes psychologiques de la guerre.
Il faut cependant distinguer la violence et la guerre : c’est précisément parce que la guerre est froide et réfléchie qu’elle est très meurtrière, tout en passant pour « la continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz, De la guerre, 1832). À cette difficulté s’ajoute, comme le rappelle Einstein, celle posée par la puissance du complexe militaro-industriel.
II. Le recours au droit
Comme l’avait dit Hobbes, l’établissement du droit met fin à la violence entre particuliers à l’intérieur des États (Léviathan, 1651). Mais peut-on obtenir un résultat analogue au niveau des nations ?
Dans Vers la paix perpétuelle (1795), Kant veut sortir les nations de leur « état de nature ». Il propose une « alliance des peuples » pour garantir le respect de règles communes et protéger les « citoyens du monde ». Il parie aussi sur l’établissement de régimes républicains. Car lorsque ce sont les peuples qui décident, ils y réfléchissent à deux fois avant de déclarer la guerre : ainsi, le régime le plus juste est aussi le plus propice à la paix.
Définition
L’état de nature désigne une situation qui précède l’établissement des lois. Il est associé par Kant au règne de la violence.
Deux-cents ans plus tard, J. Habermas observe que cet idéal a été malmené par l’histoire : le développement du commerce international n’a pas apaisé les conflits mais fait apparaître de nouvelles formes de guerres, et les républiques ne se sont guère montrées plus pacifiques que les dictatures. Mais on peut renouveler cet idéal par une réforme étendant le pouvoir des Nations-Unies et recentrant leur mission sur le respect des droits humains (La Paix perpétuelle, 1996).
III. Du refus moral à l’action politique
Le refus de la violence engage aussi la morale. Il fut prôné par Socrate (« Il ne faut pas répondre à l’injustice par l’injustice ») ou Jésus (« Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre joue ») afin de briser le cycle infernal de la vengeance et de la loi du Talion.
Au cœur du XXe siècle, Camus dénonce les idéologies qui prétendent justifier le meurtre. Ne croyant pas à la possibilité d’un monde sans violence, il refuse toutefois que celle-ci soit légitimée. Prônant la modestie et le dialogue, il en appelle à la conscience : on peut toujours s’empêcher de participer à un système institutionnalisant la violence (Ni victimes, ni bourreaux, 1947).
Citation
« La violence est à la fois inévitable et injustifiable. » (Camus)
Ne pas devenir un « agent de l’injustice » était déjà le mot d’ordre de Thoreau dans son essai intitulé La Désobéissance civile (1848). Spectateur attentif des manifestations pacifistes organisées sur les campus américains des années 1960, Rawls décrit la désobéissance civile comme « un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique », car accompli pour changer la loi ou la politique du gouvernement (Théorie de la justice, 1971).
Ricœur observe que Gandhi ou Mandela ont fait de la non-violence « une méthode et même une technique détaillée de la résistance et de la désobéissance ». Le non-violent n’est donc pas qu’un doux rêveur mais il a une « présence à l’histoire » puisqu’il peut entamer le destin (Histoire et Vérité, 1955).
La marche du sel
« Non-violence oppose toute la force de l’âme à la volonté du tyran », disait Gandhi. En mars 1930, accompagné de ses partisans, il entame solennellement une longue marche vers la mer pour ramasser du sel. Ce geste symbolique constituait un défi à l’autorité coloniale, qui interdisait aux Indiens de récolter le sel et le taxait lourdement.