Comment les récits d'apprentissage éclairent-ils la construction de l'individu ?

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Alors que grandit l’intérêt pour l’individu, de nouveaux genres littéraires connaissent un succès croissant  : c’est le cas des récits d’apprentissage, centrés sur des parcours de vie.

I. Une veine féconde à l’époque moderne

1) Des transformations sociales décisives

 Au XVIIIe siècle, l’individu prend de plus en plus d’importance dans la société : il aspire à des choix de vie personnels, et donc à se libérer des cadres sociaux contraignants de sa famille, de son milieu, de sa religion.

La Révolution française rebat les cartes du jeu social : la noblesse perd du pouvoir au profit de la bourgeoisie et la possibilité de tracer librement sa voie se laisse entrevoir. Le roman d’apprentissage permet d’explorer les perspectives ouvertes par ce monde qui bouge.

2) Un genre codifié

Goethe signe avec les Années d’apprentissage de W. Meister (1796) le premier Bildungsroman, ou roman d’apprentissage, en allemand. 

Particulièrement fécond au XIXe siècle, le roman d’apprentissage donne à suivre l’évolution morale et sociale d’un personnage inexpérimenté qui explore un monde complexe, souvent au prix de désillusions. 

En quête de reconnaissance, d’amour ou de gloire, le héros cherche par tous les moyens à s’arracher à son milieu géographique ou social : dans Bel-Ami (Maupassant, 1885), Duroy, fils de paysans normands, espère faire fortune à Paris.

Définition

La polysémie du terme « Bildung » – formation, éducation, culture – est difficile à rendre en français, où l’on trouve les termes de roman d’apprentissage, de formation, d’initiation.

II. Des aventures éprouvantes : le moi face au monde

1) Rencontres et expériences

L’intrigue des romans d’apprentissage s’appuie souvent sur des rencontres​ décisives qui modèlent la vision du monde du héros. Dans Le Père Goriot (Balzac, 1835), le naïf Rastignac est pris à parti par Vautrin, figure cynique qui l’initie aux sombres rouages de la réussite parisienne.

Le lecteur suit avec intérêt l’évolution de Martin Eden, héros du roman éponyme de Jack London (1907) : cherchant à se rendre digne de l’amour d’une jeune fille de classe sociale supérieure, ce jeune marin sans instruction découvre en la littérature une voie de salut.

2) Un regard sensible sur soi et sur le monde

 Le lecteur partage les élans d’enthousiasme, les déceptions, les interrogations du personnage, qui découvre un monde nouveau dont il ne connaît pas les règles. Le réalisme subjectif, très utilisé dans les romans du XIXe siècle, permet de percevoir la réalité à travers le regard d’un personnage, et donc de partager son expérience.

Le récit accorde une place essentielle aux premiers émois – expérience souvent déceptive. Tourgueniev dissèque dans Premier amour (1860) les affres de la passion et de la jalousie.

3) Un moi transformé 

Le personnage mûrit au fil de ses expériences et peut​ triompher de la jungle sociale. Dans divers volumes de La Comédie Humaine de Balzac, le lecteur peut voir Eugène Rastignac louvoyer toujours plus habilement dans la société, de 22 à 48 ans.

À noter

Aujourd’hui, un Rastignac désigne dans le langage courant un arriviste, jeune loup aux dents longues.

Le personnage gagne une connaissance plus claire de lui-même. Julien Sorel (Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830), fils de charpentier d’abord porté par une ambition dévorante, prend conscience de ses égarements au seuil de la mort. C’est à l’amour authentique et pur pour Mme de Rênal qu’il aurait dû s’adonner. 

L’apprentissage est parfois déceptif pour le personnage comme pour le lecteur. Le titre du roman de Balzac Illusions perdues vaut pour bien des itinéraires ! L’Éducation sentimentale (Flaubert, 1869) retrace trente années de la vie de Frédéric Moreau, velléitaire impénitent qui n’a pas su incarner dans le réel les virtualités de sa jeunesse : il fait le bilan d’une existence inconsistante.

Trouver sa place

La ville, omniprésente dans le roman du XIXe siècle, incarne les multiples possibilités d’une existence à construire. Caillebotte saisit, de dos, un jeune homme pensif, posté à la fenêtre dans une posture à la fois contemplative et conquérante. (Gustave Caillebotte, Jeune homme à la fenêtre, 1876)