L’existence des objets et des êtres, les effets d’une action ou les leçons tirées de l’expérience, rien ne paraît échapper au passage du temps. Dès lors, faut-il s’attacher à ce qui dure plus longtemps ?
I. Ce qui dure semble être ce qui conserve sa valeur
1) Valeur et longévité des objets techniques
Nous mesurons ordinairement la valeur à l’échelle de la durée. Si nous pensons que nous pourrons utiliser un objet technique plus longtemps, nous sommes par exemple prêts à le payer plus cher. Cela signifie que sa valeur marchande est proportionnelle à sa longévité.
À noter
La valeur n’est pas seulement économique : elle peut être culturelle, historique, morale, sentimentale, etc.
2 ) L’immortalité des œuvres d’art
Dans La crise de la culture, Arendt propose de distinguer les objets selon leur durée : certains sont éphémères et utiles, comme les objets de consommation, quand d’autres sont à la fois immortels et inutiles : il s’agit des œuvres d’art.
L’œuvre d’art peut accéder à la postérité et serait « destinée à survivre au va-et-vient des générations. » Les œuvres d’art ont donc une très grande valeur : elles peuvent résister mieux que tout autre objet fabriqué au passage du temps.
II. Mais l’éphémère peut avoir une valeur spécifique
1) L’existence en quête d’intensité
Lorsqu’une chose ou une personne est vouée à disparaître, nous y attachons une valeur particulière. Nous vivons dans l’instant : nous désirons qu’il se prolonge, mais c’est l’impossibilité de sa durée qui lui confère sa valeur.
Cette valeur se fonde donc sur l’unicité de ce qui est éphémère. Certains événements sportifs peuvent ainsi procurer au supporter un plaisir très intense lorsqu’il a le sentiment d’assister à une victoire « historique ».
2 ) Les bienfaits du changement et de l’oubli
Nietzsche explique que ce qui dure, notamment parce que nous en gardons la mémoire, est susceptible de nous rendre prisonniers du temps.
Ce rapport au passé empêche l’homme de vivre heureux, car il se rend incapable d’accueillir le présent : il est aliéné à l’image du passé, par la nostalgie ou la rancœur. Au contraire, en se tenant « au seuil de l’instant », l’homme se libère de ce qui dure en s’ouvrant à de nouvelles perspectives créatrices.
III. Il faut réussir à apprécier la valeur de ce qui dure
Il n’est peut-être pas si facile d’apprécier la valeur de ce qui dure, c’est-à-dire de ce qui perd l’attrait de la nouveauté. Pour Kierkegaard, l’expérience de l’amour met la valeur à l’épreuve de la durée.
L’amour qu’il appelle « romantique » se contente de devoir surmonter des obstacles extérieurs et ne se prolonge qu’autant que ces derniers persistent. L’amour conjugal affronte une menace intérieure plus grande encore : la routine quotidienne « pire que la mort ».
Citation
« Il ne s’est pas battu avec des lions et des ogres, mais avec l’ennemi le plus dangereux : le temps » (Kierkegaard, Ou bien… ou bien…).
L’amour conjugal est celui qui n’a plus rien d’impossible : il est entré dans l’ordre d’une réalité stable et assurée qui peut le rendre moins désirable. Tout l’effort de l’amour conjugal consiste donc à ne pas se contenter de la promesse initiale, mais à considérer que l’amour de l’autre est un bien dont la valeur est à la fois toujours identique et sans cesse renouvelée.
Cet effort a pour Kierkegaard le sens d’un devoir moral. Nous devons nous satisfaire de l’engagement, non pas parce que nous ne pourrions pas faire autrement, mais parce que nous continuons à donner une valeur à ce qui dure.