Cette leçon t'offre une approche méthodologique pour la rédaction de l’explication de texte en philosophie : pour ce faire, voici la réalisation d'un sujet d’explication de texte, issu des annales de l'épreuve finale de philosophie du bac 2021 aux Antilles et disponible sur Eduscol.
La réalisation de ce sujet se fait par étapes, celles-ci appuyées par des explications et des conseils.
Légende de la leçon
Bleu : contexte
Violet : 1re partie
Rouge : annonce du plan, 2e partie
Jaune : 3e partie
Texte de Démocrite
Pour les hommes, l’heureuse disposition de l’âme naît de la modération du plaisir et de la mesure de la vie. Les manques et les excès vont fréquemment en empirant et produisent en l’âme de grands bouleversements : les âmes que ces passages d’un extrême à l’autre ébranlent ne sont ni stables ni heureuses. Donc, il faut appliquer sa réflexion au possible et se contenter de ce qu’on a, ne faire que peu de cas de ce qu’on désire et admire, et ne pas y arrêter sa réflexion. Il suffit de contempler la vie des malheureux et de considérer l’étendue de ce qu’ils endurent, pour que ce que tu as et dont tu disposes t’apparaisse relevé1 et enviable, et pour que tu n’aies plus à souffrir en ton âme à force de désirer toujours plus. Celui qui bée2 d’admiration devant les riches propriétaires que les autres hommes tiennent pour bienheureux, et en est obsédé constamment, connaît la nécessité d’imaginer sans cesse de nouveaux expédients3 et de se lancer, pour répondre à ses désirs, dans des affaires louches que les lois interdisent. C’est pourquoi il ne faut pas désirer ce qu’on n’a pas, mais s’accommoder de ce qu’on a, en comparant son sort à celui des malheureux, et en se jugeant bienheureux à la pensée de leurs maux, en comparaison desquels tes actions et ta vie sont d’autant meilleures. Si tu t’en tiens à ces réflexions, tu vivras plus heureusement, et ta vie sera à l’abri de bien des tracas que font naître l’envie, la jalousie et le ressentiment.
DÉMOCRITE (V° - IV° s. av. J.C.)
1 « relevé » : d’un niveau supérieur
2 « qui bée » : qui ouvre grand la bouche
3 « expédients » : moyens ingénieux auxquels on a recours pour sortir d’une situation délicate
I. Principes de l’explication de texte
But
Montre que tu as bien compris la solution donnée par l’auteur, dans ce texte précis, à un problème philosophique spécifique.
Cela signifie :
- Comprendre ce dont traite le texte : son thème.
- Identifier le problème auquel il répond : sa problématique.
- Cerner la thèse de l’auteur dans ce texte, soit la posture qu’il adopte face au problème qu’il examine. Formule-la en une phrase brève et claire (sans répéter le texte, même si la thèse est énoncée clairement).
- Observer comment il a construit son argumentation, c’est-à-dire la manière dont il a structuré sa pensée pour présenter son propos. Le plan de ton devoir sera constitué des différents grands temps de réflexion décelés dans le texte.
- Envisager la portée de ce texte dans une perspective philosophique plus vaste : dégager les enjeux du texte.
1) Le premier temps de lecture
Fais plusieurs lectures du texte, sans stylo, en veillant à ne pas imposer une compréhension biaisée du texte en raison de tes connaissances préalables sur le thème ou éventuellement sur l’auteur.
Remarque
Cela ne veut pas dire que celles-ci ne serviront pas, mais elles ne doivent pas te faire mésinterpréter le propos que l’on te demande d’expliquer. Tu dois veiller à toujours bien partir du texte lui-même.
2) Le deuxième temps de lecture
Trouve dans le texte les éléments permettant de le comprendre en cherchant le thème, la problématique, la thèse, la structure de l’argumentation et les enjeux.
Dans ce but, relis le texte plusieurs fois en y repérant :
-
les éléments structurant la logique du propos de l’auteur, à commencer par les conjonctions de coordination, évidemment (mais, où, et, donc, or, ni, car), mais aussi tous les indices permettant de comprendre comment l’auteur a articulé son discours.
Exemple :
Il peut s’agir de la ponctuation (ici, les « : » de la ligne 3 indiquent la conséquence de ce qui précède) ou encore de certaines expressions (« Il suffit de » ligne 6 indique ici une restriction quant à la conduite à tenir).
-
les concepts fondamentaux pour la compréhension du texte : il faudra identifier et définir ceux-ci au brouillon pour n’omettre aucun élément essentiel présent dans le texte et en faciliter l’explication. Tu utiliseras ces définitions dans ton développement lorsque tu expliqueras les passages où les concepts se situent.
Exemple :
Dans ce texte, il te faut définir, en fonction du contexte, les termes :
« heureux » / « malheureux » (l. 1 et 4 « heureuse(s) », l. 11 et 15 « bienheureux », l. 17 « heureusement » ; l. 7 et 15 « malheureux »)
« plaisir » (l. 2)
« âme » (l. 1, 3 et 9)
« modération » (l. 1)
« possible » (l. 5)
« désirer » (l. 6« désire », l. 9 et 14 « désirer », l. 12 « désirs »)
« envie » (l. 18)
« jalousie » (l. 18)
« ressentiment » (l. 18)
3) L’analyse des éléments du texte
Une fois ce travail préliminaire réalisé au brouillon, tu es en mesure d’identifier l'ensemble des éléments nécessaires à l’explication et de produire un plan détaillé.
- Thème : la place de la moralité dans la recherche du bonheur.
- Problématique : Démocrite se demande « De quelle manière atteindre le bonheur ? ».
- Thèse : le bonheur peut être atteint en se comportant de façon modérée face à nos désirs et grâce à la comparaison avec ceux dont le sort est moins heureux que le nôtre.
4) Structure
I. (l. 1-9) Exposition de la thèse selon laquelle pour être heureux, la modération des désirs et l’acceptation du nécessaire sont de mise, par la comparaison avec les moins heureux
II. (l. 10-13) Présentation du contre-exemple de la comparaison, avec les plus chanceux, et de ses conséquences néfastes sur le sentiment de bonheur
III. (l. 13-fin) Conclusion par retour à la thèse initiale en montrant les bénéfices de la modération des désirs sur le bonheur par opposition au-contre exemple qui précède
Les titres que tu donnes à tes parties (correspondant aux grands temps de la pensée de l’auteur) doivent présenter la situation logique de chaque partie par rapport à celle qui précède ou suit. Le texte constitue une argumentation structurée, tu dois en rendre compte avec clarté.
Ils doivent également bien montrer à la fois la forme et le fond du temps du discours. Énoncer, par exemple, que l’auteur introduit son propos dans un premier temps sans en dire plus, n’éclaire absolument pas la compréhension du texte (tu ne présentes alors pas le contenu de la pensée de l’auteur : il manque le fond). De même, intituler la première partie « La modération des désirs » ne permet pas de comprendre la logique argumentative du texte (autrement dit, ce que fait l’auteur : il manque alors la forme).
Enjeux : La thèse soutenue par Démocrite vise, ici, un hédonisme moral, autrement dit : l’état de satisfaction durable qu’est le bonheur serait atteint par une conduite vertueuse limitant les désirs à ce qui peut être. Nous pourrions, néanmoins, nous demander si ce n’est pas en désirant l’impossible que l’homme réalise certaines avancées majeures, par exemple.
5) Le plan détaillé
Ton plan est dicté par la structure logique du texte, l’explication est donc nécessairement linéaire, sans quoi l’argumentation que tu dois mettre en valeur disparaîtrait. Aussi, les grands temps de pensée du texte correspondent à tes grandes parties et les différents passages argumentatifs qui constituent ces grands temps, les sous-parties. En expliquant le dit et le non-dit (présupposés, sous-entendus…), décompose le texte en t’aidant des éléments articulatoires que tu as identifiés et des définitions des concepts fondamentaux du texte que tu as rédigées au brouillon.
I. (l. 1-9) Exposition de la thèse, selon laquelle pour être heureux la modération des désirs et l’acceptation du nécessaire sont de mise, par la comparaison avec les moins heureux.
1) (l. 1-4) Énonciation de la thèse et démonstration des conséquences du comportement contraire consistant à désirer plus que de raison : des troubles de l’âme provoqués par des désirs démesurés.
2) (l. 4-9) Conclusion de ce qui précède sous forme de conseil (« Donc il faut » l. 4) sur les moyens d’être heureux : se concentrer sur le nécessaire, ne pas désirer au-delà et, dans ce but, ne se comparer qu’aux plus malheureux que soi.
II. (l. 10-13) Présentation du contre-exemple de la comparaison, avec les plus chanceux, et de ses conséquences néfastes sur le sentiment de bonheur.
1) Contre-exemple de « Celui qui bée d’admiration » (l. 9-10), visant à montrer que la modération est bien ce qui doit être appliqué quant aux désirs.
2) Deux conséquences morales néfastes pour l’individu qui se compare à ceux qui lui paraissent plus heureux que lui : pour poursuivre ses désirs insensés, l’homme envieux est préoccupé par la recherche de moyens d’atteindre l’impossible (il perd donc son temps à élaborer des constructions vaines) et cette quête inaccessible le conduit à choisir des actions immorales voire illégales (ex : décider de voler pour obtenir un gain rapide).
III. (l. 13-fin) Conclusion par retour à la thèse initiale en montrant les bénéfices de la modération des désirs sur le bonheur par opposition au-contre exemple qui précède.
1) La conduite à suivre est donc bien de ne pas désirer davantage que le nécessaire et de ne se comparer qu’à ceux qui sont plus malheureux pour avoir conscience de notre propre bonheur.
2) Conclusion sur les avantages d’une conduite modérée : accroître le bonheur et acquérir la tranquillité de l’âme. Passage au tutoiement « Si tu t’en tiens » (l. 16) : le discours prend la forme d’une maxime adressée directement au lecteur pour, ainsi, bien conduire sa vie afin d'être le plus heureux possible.
II. La rédaction
1) Introduction
a) La rédaction de l’introduction
L’introduction reprend, dans l’ordre indiqué, les éléments repérés au brouillon soit : thème, problématique, thèse, structure, enjeux.
Remarque
N’oublie pas de commencer ton introduction en précisant que ton propos porte sur le texte. Lorsque le titre en est donné, mentionne-le.
b) Exemple de rédaction de l’introduction
Dans cet extrait, Démocrite, auteur grec antique, s’intéresse à la place de la moralité dans la recherche du bonheur (thème). Se demandant comment atteindre le bonheur (problématique), il soutient qu’il faut se comporter de façon modérée face à nos désirs grâce à la comparaison avec ceux dont le sort est moins heureux que le nôtre (thèse). Dans ce but, il procède en trois temps (annonce du plan). Il propose d’abord la thèse selon laquelle pour être heureux, la modération des désirs et l’acceptation du nécessaire sont de mise, indiquant la comparaison avec les plus malchanceux comme le moyen adéquat d’y parvenir (I. l. 1-9). Puis, il use d’un contre-exemple pour montrer les conséquences néfastes sur le sentiment de bonheur lorsque l’on se compare aux plus chanceux (II. l. 10-13). Il conclut, en affirmant sa thèse initiale, insistant sur les bénéfices de la modération des désirs sur le bonheur (III. l. 13-fin). Démocrite soutient, ici, un hédonisme moral visant l’ataraxie et préconise donc une conduite vertueuse limitant les désirs à ce qui peut être. Mais n’est-ce pas en désirant l’impossible que l’homme réalise certaines avancées majeures ? (enjeux)
2) Développement
a) La rédaction du développement
Montre dans chacune de tes grandes parties comment l’auteur procède pour démontrer son propos. Il ne s’agit nullement de te demander ce qu’il dit (ce qui conduit inévitablement à de la paraphrase) mais plutôt ce qu’il fait en maintenant constamment fond et forme et en ancrant ton discours sur des éléments précis du texte : veille à bien en indiquer les lignes lorsque tu cites le texte.
b) Exemple de partie rédigée, le I.
I. (l. 1-9) Exposition de la thèse selon laquelle, pour être heureux, la modération des désirs et l’acceptation du nécessaire sont de mise par la comparaison avec les moins heureux
1) (l. 1-4) Énonciation de la thèse et démonstration des conséquences du comportement contraire consistant à désirer plus que de raison : des troubles de l’âme provoqués par des désirs démesurés
Pour mettre son âme dans les conditions favorables au bonheur, l’être humain doit rechercher la quiétude, le calme de son esprit : telle est la thèse de Démocrite. L'auteur s’intéresse, en effet, au bonheur des êtres doués de réflexion (grâce à leur conscience de soi) comme l’indique « Pour les hommes » (l. 1). Il définit la manière dont ils doivent exercer leur capacité à se projeter, en vue d'atteindre un état de satisfaction durable soit « être heureux » (« heureuse(s) » l. 1 et 4) et non souffrir du manque de quelque chose. Aussi, faut-il que l’homme tempère ses désirs, car ils constituent les manifestations de la recherche du « plaisir » (l. 2) d’après Démocrite, pour les rendre moins violents. Il doit aussi s’habituer à comparer convenablement le cours de son existence avec celui des autres (l. 2 « la mesure de la vie »). Le plaisir apparaissant comme le sentiment agréable lié à la satisfaction d'un désir, il lui faut faire preuve de « modération » (l. 1), autrement dit : adopter un comportement s’éloignant des excès. Ici donc, Démocrite affirme qu’il faut limiter le désir des objets qui ne peuvent pas être atteints car leur poursuite entraîne des comportements démesurés, immoraux voire illégaux (voir ci-après l. 13 « se lancer (...) dans des affaires louches que les lois interdisent »).
L’auteur insiste sur le caractère insatiable de la recherche de l'accomplissement des désirs (« les manques » l. 2) et les tumultes que cela engendre. L’âme trouve son bonheur dans le calme (l’absence de « grands bouleversements » l. 3) et non la connaissance de passions dont les troubles sont accrus par le temps (« vont fréquemment en empirant » l. 2). Il indique les conséquences d’une conduite poursuivant la satisfaction de ses désirs sans chercher à les entraver (« : » l. 3), à savoir des perturbations qui déséquilibrent. La répétition de la négation de « ni stables ni heureuses » (l. 4) montre que pour être durablement satisfait, la condition est de demeurer dans un équilibre permanent. C’est donc la recherche de l'ataraxie, concept classique dans l’Antiquité, qu’il préconise, l’absence de trouble dans l’âme.
2) (l. 4-9) Conclusion de ce qui précède sous forme de conseil (« Donc il faut » l. 4) sur les moyens d’être heureux : se concentrer sur le nécessaire, ne pas désirer au-delà et dans ce but ne se comparer qu’aux plus malheureux que soi
Le « Donc » de la ligne 4 indique la conclusion de ce qui vient d’être énoncé et les moyens qui doivent être mis en œuvre, dans le but d’atteindre la stabilité de l’âme, constituant le bonheur. Trois conseils sont ainsi donnés : ne pas désirer au-delà du possible ni du nécessaire, ne pas donner trop d’importance à nos désirs et ne se comparer qu’aux plus malheureux que soi. Le « possible » (l. 5) c’est ce qui peut être, ce qui est réalisable, par opposition à ce qui ne peut pas être, ce qui ne peut pas être atteint. En s’y limitant, l’homme s’écarte des désirs qui le conduiront à souffrir puisqu'il n’est pas en mesure de les accomplir et n’obtiendra donc pas de satisfaction mais de la frustration. La formule « se contenter de ce qu’on a » (l. 5) invite à ne pas désirer au-delà de ce qui est déjà, de ce qui ne peut pas être autrement, à accepter la nécessité. Il s’ensuit, logiquement, que la considération des désirs dépassant ce que le sort nous offre déjà, et l’attraction enthousiasmante de ceux qui connaissent ces plaisirs (l’admiration, l. 6), sont à proscrire. Face à « la mesure de la vie » de la ligne 2, le dernier conseil est donc d’observer uniquement la vie des plus malheureux que soi. Par contraste, nous apprécierons ce que l’on possède déjà et nos désirs se verront réfrénés par eux-mêmes. Il s’agit du moyen préconisé pour empêcher l’âme d’être bouleversée et, par conséquent, malheureuse.
c) L’importance des transitions
Mets en lumière la structure logique du texte qui t’est proposé, aussi les articulations entre tes grandes parties doivent être soignées. Rédige une conclusion-transition de façon systématique. Celle-ci récapitule ce que l’auteur a démontré dans la partie qui précède et pourquoi celle qui suit existe.
d) Exemple de conclusion-transition du I. vers le II.
Le bonheur ne peut être atteint que dans la tranquillité d’une âme qui ne souffre pas désespérément d’accomplir des désirs inaccessibles, d’après Démocrite. Il préconise, dans ce but, la comparaison avec ceux qui sont moins heureux que nous ne le sommes. Pour confirmer la pertinence de ce moyen d'atteindre le bonheur il montre, dans un deuxième temps, les conséquences néfastes du comportement contraire.
3) Conclusion
a) La rédaction de la conclusion
La conclusion doit montrer comment dans ce texte, l’auteur a proposé une solution à une question qu’il s’est posée et comment. Il s’agit donc de revenir au texte, à la problématique, à la thèse et de présenter la structure.
b) Exemple de conclusion rédigée
Dans ce texte, Démocrite s’est interrogé sur la manière d'atteindre le bonheur (problématique). Modérer ses désirs afin de ne pas désirer ce qui ne peut être atteint permet, selon lui, de conserver la tranquillité de l’âme et donc d’assurer la satisfaction, sans agitation inutile ou immorale (thèse). Le moyen d’y parvenir consiste à se comparer à ceux dont le malheur est visible (I.) car mesurer sa vie à celle de ceux dont on considère qu’ils sont plus heureux nous fait déprécier ce que l’on a et envisager des conduites immorales pour obtenir l’impossible (II.). Ainsi, nous écartons les sentiments négatifs envers ce qui nous arrive et pouvons espérer atteindre l’état recherché de l’ataraxie (III.). L’homme doit donc habituer son âme à ne pas désirer plus qu’il n’a pour se rendre le plus heureux possible.