Légende de la leçon
Vert : définitions
Introduction
Si la parole peut tromper, faut-il la réguler ? Est-ce qu’il appartient à chaque personne de mesurer le contenu de ses propos ? Nous distinguerons ici ce qui relève de la morale, qui juge du bien ou du mal, et de l’éthique, qui juge du bon et du mauvais de manière relative. Une éthique de la parole peut être définie comme un ensemble de jugements et d'idées sur ce qu’il serait souhaitable de dire ou de ne pas dire, et sur la manière de s’exprimer.
Objectifs : Cette leçon s’intéresse aux limites des pouvoirs de la parole. Dès lors que la parole est publique, partagée, elle a des effets et engendre une responsabilité pour l’orateur. Comment limiter et réguler ses pouvoirs ? Nous énoncerons quelques principes éthiques.
I. Les problèmes éthiques
1) Définition de l’éthique
Tirée du mot grec ethos qui signifie « manière de vivre », l'éthique est une branche de la philosophie qui s'intéresse aux comportements humains et, plus précisément, à la conduite des individus en société. Elle s’intéresse aux principes régulateurs de l’action.
L’éthique de la parole interroge ainsi les principes qui régulent la parole. Nous verrons dans une seconde partie quels pourraient être certains de ces principes dans une société démocratique.
2) Qu’est-ce qui est souhaitable ?
L’éthique répond à la question de savoir ce qu’il serait souhaitable de faire, au conditionnel, et pas sous forme d’ordre.
Selon le philosophe contemporain André Comte-Sponville, qui s’inspire du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) dans La différence entre éthique et morale : « L’éthique, portant sur des valeurs relatives et particulières (ce qui est bon ou mauvais pour tel ou tel) est constituée […] par des conseils, par ce que Kant appellerait simplement des impératifs hypothétiques, c'est-à-dire soumis à une condition. Par exemple : "Si tu veux que tes amis soient loyaux avec toi, sois loyal avec tes amis. Si tu ne veux pas, tu peux faire autre chose." »
Quels pourraient être alors des principes qui orienteraient la parole dans une société démocratique où chacun est libre de s’exprimer ?
II. Quelques principes éthiques appliqués à la parole
1) Avoir le courage de parler : la parrêsia grecque
Le terme parrêsia signifie en grec ancien « franc-parler, liberté de parole, courage de dire la vérité », selon le Cairn. La parrêsia est une manière de dire la vérité qui fait fi des conventions et de la retenue que requièrent les bienséances. Elle revient à dire la vérité à ses risques et périls.
Grâce à la parrêsia, les citoyens athéniens ont le droit de donner leur avis personnel dans le cadre d’une assemblée. La parrêsia permet ainsi le débat démocratique.
La parrêsia est aussi employée chez les poètes satiriques antiques. Dans leurs œuvres, la parole est volontairement crue, car elle critique la décadence des mœurs des puissants. La parrêsia critique la tromperie, l’illusion, la flatterie, pour rétablir la vérité.
2) Dire la vérité avec humour : la satire
La satire a pris diverses formes au cours de l’histoire littéraire et politique, mais elle peut être globalement définie comme le fait de dénoncer, souvent par l’humour, les décalages entre l’idéal et la réalité. Dans l’Antiquité, la satire est un genre littéraire créé par le poète romain Lucilius au IIe siècle avant J.-C.
Dans la satire antique, contrairement à la rhétorique, le poète engage sa propre personne. Il est convaincu par ce qu’il dit. En osant dire la vérité, il peut blesser une personne ou un corps social, c’est pourquoi les poètes satiriques antiques peuvent être censurés, voire condamnés à mort.
Le poète romain Perse (34-62) se moque ainsi dans ses satires d’un tyran, l’empereur Néron (37-68) lui-même, même s’il n’est pas directement cité : « Tu as l’art de servir à table une tétine de truie bien chaude, tu sais faire don d’un manteau usagé à un malheureux grelottant de ta suite. Et après tu t’exclames : “J’aime la vérité, dites-moi la vérité sur moi !” Vraiment ! Tu veux que je te la dise, la vérité ? Tu débites des sornettes, crâne chauve, avec ta bedaine grasse qui te précède d’un pied et demi. Ô Janus, jamais une cigogne n’est venue te pincer dans le dos, jamais une main agile ne t’a contrefait avec des oreilles d’âne, jamais personne n’a tiré contre toi une langue aussi longue que celle d’une chienne assoiffée d’Apulie ? Ô vous qui êtes de sang patricien, qui vivez, vous en avez le droit, sans avoir d’yeux derrière la tête, retournez-vous brusquement, vous verrez les grimaces ! »
Le poète satirique a le courage de dire la vérité, là où l’empereur, fort du pouvoir que lui donne son rang, a une parole trompeuse et fait semblant d’être vertueux, en attendant des flatteries en retour.
Ainsi, avoir le courage de parler et de dire la vérité avec humour sont deux conseils éthiques que l’on peut énoncer. Ces conseils sont valables si l’on considère que le rôle de la parole est avant tout d’être vraie, et non pas de plaire ou de séduire en vue de fins personnelles.