Les machines sont-elles plus intelligentes que nous ?

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L’intelligence est la faculté humaine de comprendre, discerner et connaître. Si les machines sont toujours plus sophistiquées, sont-elles pour autant en mesure de concurrencer leurs propres inventeurs ?

I. Les prouesses de l’intelligence artificielle

1) La révolution cybernétique

Avec la révolution cybernétique, initiée par le mathématicien N. Wiener (1948), on a tenté de décrire l’activité mentale et de créer des machines capables de la simuler. Cette entreprise a donné naissance à l’intelligence artificielle (IA) théorisée par J. McCarthy et M. Minsky.

En 1950, Alan Turing estime que cinquante ans suffiront pour qu’une machine réussisse à se faire passer pour un humain lors d’une conversation (« jeu de l’imitation »). Aucune n’a jusqu’ici incontestablement triomphé au test de Turing, mais on considère plus que jamais que ce n’est qu’une question de temps.

Définition 

La cybernétique étudie les mécanismes de communication et de régulation dans le vivant et dans la machine.

2) De la mémoire à l’apprentissage

Les extraordinaires capacités de mémoire et de calcul des ordinateurs sont aujourd’hui utilisées dans la biométrie (établissement des caractères physiques à des fins de reconnaissance des individus) et le profilage (identification des caractères psychologiques à des fins publicitaires). 

Avec l’apprentissage profond (deep learning), un logiciel exploite des données collectées en grand nombre, mais anticipe aussi des situations pour être prêt à y répondre. L’intelligence humaine souffre d’autant plus mal la comparaison qu’on connaît mieux ses faiblesses : la fatigue, la précipitation, mais aussi les préjugés et les nombreux biais cognitifs qui altèrent nos raisonnements.

II. Les spécificités de l’intelligence humaine 

1) Le mythe de la singularité

John Searle rappelle que le traitement de l’information par un ordinateur est purement formel (« fonctionnement syntaxique »), tandis que la pensée humaine suppose la saisie d’un sens (« fonctionnement sémantique »). Il illustre cette différence par la parabole de la « chambre chinoise » : avec le bon mode d’emploi, n’importe qui pourrait répondre à des mots chinois par d’autres mots chinois sans connaître la langue. De même, un ordinateur manipule des symboles sans les comprendre (Du cerveau au savoir, 1985). 

La machine n’est pas à proprement parler intelligente, mais adaptée à des tâches qu’elle est programmée pour effectuer. Searle oppose l’« IA faible » des systèmes imitant certaines fonctions de l’intelligence pour résoudre des problèmes spécifiques, et une hypothétique « IA forte » qui supposerait une conscience de soi et la compréhension de ses propres raisonnements. 

Ainsi, les machines ne comprennent pas l’humour ou l’ironie. Elles ne possèdent ni l’autonomie morale pour prendre des décisions, ni l’inventivité pour résoudre des problèmes étrangers à ce pour quoi on les a programmées. C’est pourquoi J.-G. Ganascia juge la singularité technologique « hautement improbable » (Le Mythe de la Singularité, 2017).

Définition La singularité technologique désigne le point critique où l’intelligence artificielle prend le dessus sur l’humanité et la transforme de manière irréversible.

2) Le devenir de l’intelligence humaine

Dans Petite Poucette (2013), Michel Serres est résolument optimiste : en extériorisant l’accomplissement de certaines tâches (mémoire, imagination, calcul), le développement de l’intelligence artificielle ouvre l’humain à des nouvelles facultés cognitives à venir. C’est la « fin de l’ère du savoir », place à « l’intelligence inventive », à « l’intuition novatrice et vivante ». 

Mais si nous comptons de plus en plus sur les machines pour penser à notre place, nous risquons peut-être de penser à notre tour comme des machines. Ainsi J.-M Besnier, dans L’Homme simplifié (2012), déplore un certain formatage cognitif et comportemental : si les machines nous imitent si bien, ce n’est pas tant parce qu’elles deviennent nos égales que parce que l’humain se comporte et se perçoit de plus en plus comme un automate.

Un adversaire sans états d’âme 

Le champion de go Ke Jie est sèchement battu le 27 mai 2017, pour la troisième fois consécutive, par le logiciel AlphaGo, capable d’apprendre de ses adversaires et des parties qu’il joue en permanence avec lui-même. Retiré des compétitions internationales faute d’adversaire à sa mesure, AlphaGo n’aura cependant jamais pris plaisir ni au jeu, ni à la victoire, ni à cette retraite bien méritée, car il ne connaît rien de toutes ces émotions.