Le travail manuel et le travail intellectuel s’opposent-ils ?

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Souvent, on oppose le travail manuel et le travail intellectuel : l’intellectuel serait un penseur en quête de vérité, alors que le travailleur manuel ne serait qu’un exécutant. Cette disjonction radicale est-elle ­légitime ?

I. Travail manuel vs intelligence ?

1)  Le travail : une dégradation de l’homme

Les Grecs anciens distinguent l’œuvre du travail. L’œuvre (un meuble, un édifice, etc.) est la production d’un objet durable. Le travail quant à lui est constamment répété (le ménage, par exemple) et est commun à l’homme et à ­l’animal.

De manière générale, les travaux (manuels, par définition) étaient considérés comme dégradants, car ils ne faisaient que pourvoir aux besoins de la vie. Ils étaient donc réservés aux hommes soumis à la nécessité vitale, les esclaves.

2)  La pensée : l’activité la plus élevée pour l’homme

Le domaine de la pensée était, au contraire, conçu comme celui de la liberté et de l’épanouissement le plus élevé : la pensée permet de contempler les vérités éternelles et offre au penseur le bonheur de la compréhension des grands principes du monde.

À noter

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Dans l’allégorie de la caverne , Platon explique que l’homme qui peut contempler le soleil échappe par l’exercice de la pensée « aux misérables choses humaines » et au mensonge des opinions sensibles.

II. Le travail manuel est intellectuel

1)  Le travail manuel et la connaissance

Le travail manuel nécessite une connaissance approximative des lois qui régissent le monde matériel. Il repose sur et développe un savoir-faire qui est l’ensemble des leçons tirées de l’expérience par l’intelligence. Un artisan n’est pas un profane, mais sait choisir les méthodes adéquates et les matériaux adaptés.

2)  La raison et l’imagination à l’œuvre

Crawford, dans l’Éloge du carburateur, souligne que le travailleur manuel doit inventer des solutions aux « casse-tête » posés par le réel. Avant d’être effectués, les gestes doivent être calculés. C’est ainsi, par exemple, que faire un diagnostic pour un réparateur de moteurs, c’est raisonner, imaginer les causes plausibles à partir des symptômes visibles, solliciter une véritable « bibliothèque mentale ».

Le travail manuel apparaît ainsi comme une enquête visant à résoudre des énigmes. C’est pourquoi, chercheur à l’université et, en parallèle, réparateur de vieilles motocyclettes, Crawford explique avoir eu la sensation que le travail manuel était « beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel ».

III. Le travail intellectuel est manuel

1)  La main au service de l’intelligence

L’homme qui cherche à produire une œuvre intellectuelle ne se contente pas de penser. Sa quête réclame des manipulations. C’est ainsi que l’écrivain ne produit pas d’un jet son texte, mais l’écrit, le découpe, le recompose de nombreuses fois avant d’atteindre le résultat final : il travaille avec des ciseaux et de la colle. Tel est, par exemple, le cas de Balzac qui, « empêtré fort maladroitement dans son travail de labourage intellectuel », travaille, lors de ses sessions d’écriture, dix à vingt heures par jour.

La démarche de l’homme de science resterait abstraite sans la maîtrise de gestes et de savoir-faire. C’est ainsi que le chercheur en biologie cellulaire doit savoir utiliser un microscope pour observer son objet.

2)  La nécessité d’une éducation aux travaux manuels pour tous

L’éducation doit donc accorder toute sa place au travail manuel. Des projets d’enseignement complet voient le jour dès le XVIIe siècle : le pédagogue Comenius, par exemple, réclame pour les jeunes enfants des exercices sous forme de jeux permettant à la fois l’acquisition d’une dextérité manuelle et le développement des sens et de l’intelligence.