Les hommes entretiennent un rapport paradoxal au travail, qui peut être perçu comme le moyen de devenir des êtres libres et heureux, ou tout au contraire comme une nécessité aliénante. Le travail est-il un obstacle ou une condition à la liberté de l’homme ?
I. Le travail comme aliénation
1) L’asservissement à la nécessité
Dans la Condition de l’homme moderne, Arendt définit le travail comme « l’asservissement à la nécessité », lequel est « inhérent aux conditions de la vie humaine ». Inscrit dans le cycle biologique répétitif de production de biens de consommation éphémères, le travail est une répétition sans fin.
Arendt distingue ce travail, dévalué, de l’œuvre, comme fabrication d’objets destinés à un usage, et de l’action, qui caractérise le domaine politique.
2) Les conditions de travail
Pour Marx, le travail est aliéné quand il est « extérieur à l’ouvrier » : « Dans son travail, celui-ci ne s’affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit » (Manuscrits de 1844).
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D’origine juridique, le terme d’aliénation désigne ici la dépossession du travailleur au profit du patron.
« Ce qui distingue une époque économique d’une autre c’est moins ce qu’on produit que la manière de le produire », selon Marx. Certaines formes du travail sont d’autant plus aliénantes que le travailleur est davantage dépossédé des modalités de son propre travail. C’est particulièrement le cas selon Marx dans le système capitaliste.
Le droit français du travail définit, depuis 2012, la pénibilité au travail. Elle se caractérise par une « exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail. »
3) La possibilité d’un travail libre ?
Néanmoins, selon Marx, cette aliénation du travail n’est pas fatale : un travail libre est concevable. « L’homme complet » que Marx imagine dans la société communiste récupère la maîtrise des processus de production et de son travail. Il peut organiser sa vie en fonction de l’union du travail intellectuel et du travail manuel. Cet homme pourra développer toutes ses capacités et les appliquer à l’art de travailler et de vivre.
II. La libération par le travail
1) La maîtrise de la nature
Le travail et la technique permettent aux hommes de devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes) et d’atteindre le bonheur. En effet, grâce au développement de notre habileté et des techniques, nous apprenons à utiliser les lois de la nature pour produire de manière toujours plus efficace les fins souhaitées.
2 ) Le travail comme processus d’humanisation
Hegel valorise plus encore le travail, grâce auquel l’homme transforme les choses, se transforme lui-même et se libère : il en sort humanisé. Dans la dialectique du maître et de l’esclave, le maître qui fait travailler l’esclave finit par en dépendre, tandis que celui-ci développe sa conscience en travaillant. Les rôles s’inversent donc : l’esclave devient supérieur au maître.
En effet, le travail permet à l’homme de prendre conscience de lui-même. Les produits du travail sont autant de miroirs de la conscience. Dans son Esthétique, Hegel note par exemple que la contemplation d’une œuvre architecturale fait comprendre à l’homme qu’il n’est pas seulement un être naturel, mais qu’il est voué à mener une vie spirituelle.
3) Le travail comme éducation à la liberté
Un monde où l’homme aurait tout, sans efforts à fournir, sans devoir agir pour réaliser ses ambitions, semble illusoire. Ainsi, le travail enseigne à l’être humain comment sortir de la nécessité pour entrevoir la possibilité de la liberté. Pour reprendre la définition d’Alain, le travail libre est à la fois « effet de puissance » et « source de puissance » : « Encore une fois, non point subir, mais agir. »