Le devoir présente une ambiguïté : « Je dois toujours dire la vérité » n’a pas le même sens que « la comète de Halley doit repasser tous les 76 ans. » Dans le premier cas, il s’agit d’un devoir moral, l’acte d’une volonté libre déterminée par la seule idée du bien ou de la loi. Dans le second cas, il s’agit d’une anticipation, d’un phénomène à venir soumis à la nécessité.
I. Le devoir comme contrainte
1) Une contrainte sociale
Le devoir est généralement vécu comme une contrainte institutionnalisée : l’élève doit faire ses devoirs avant d’aller jouer ; le salarié doit travailler pour gagner sa vie ; le commerçant doit voyager pour trouver des clients.
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Une contrainte désigne l’exercice d’une force extérieure qui impose ou empêche une action ou un mouvement.
2) Une contrainte physique
Le devoir désigne ici une nécessité : c’est une contrainte objective qui s’impose à moi. Je suis matériellement déterminé, tout comme une pierre jetée en l’air doit retomber. Dans cette perspective, le devoir n’a aucun sens moral. C’est ce que Kant nomme l’hétéronomie, c’est-à-dire le fait d’obéir à une loi extérieure à sa volonté.
II. Le devoir comme obligation morale
Tandis qu’on se soumet à une contrainte, on obéit librement à une obligation. Dans le second cas, le devoir résulte d’un libre choix. C’est ce que Kant nomme l’autonomie – du grec auto (« soi ») et nomos (« loi ») –, qui désigne l’obéissance à sa propre loi.
Le verbe « devoir » vient du latin debere (« être en dette »), ce qui inscrit le devoir dans un échange et une rétribution. Faire son devoir exige d’aller contre ses désirs égoïstes et ses sentiments intéressés. Le devoir implique souvent l’idée de sacrifice au nom d’un idéal supérieur, du bien ou d’une loi universelle. C’est pourquoi Nietzsche dit du devoir kantien que « l’impératif catégorique a un relent de cruauté ». Il y voit l’origine de la culpabilité et de la faute en morale.
À noter
Sartre présente le cas d’un jeune homme qui veut, sous l’Occupation, rejoindre la Résistance, ce qui l’oblige à abandonner sa vieille mère.
Il en ressort que le devoir moral doit être distingué des contraintes matérielles ou sociales ; qu’il s’oppose au plaisir et qu’il suppose un libre choix de la volonté.
III. Le devoir moral comme résistance au désir
1 ) L’homme n’est ni ange ni bête
Le devoir moral suppose une résistance à un désir. Il est une mise à l’épreuve de la volonté et quelqu’un sans tentation ni désir ignorerait tout du devoir, donc de la moralité.
L’animal ne connaît pas le devoir moral non plus, car il a bien des instincts, mais qui ne sont limités que par la nécessité extérieure (un rival plus fort par exemple), et non par une volonté libre intérieure.
2 ) Le devoir exprime un conflit intérieur
L’épreuve du devoir suppose une double nature humaine, un conflit intérieur entre une volonté raisonnable et des désirs honteux, entre ce que Kant appelle une nature intelligible d’une part et une nature pathologique d’autre part, laquelle subit les passions.
L’expérience du devoir passe par le sentiment de honte, qui signale ce qu’on ne doit pas faire. À l’inverse, l’absence de honte signale l’absence de tout sens moral, supprimant toute limite et tout interdit à l’action et conduisant à l’amoralité. Cette dernière signifie une indifférence au bien et au mal, qu’il ne faut pas confondre avec l’immoralité, qui désigne le choix de violer les devoirs moraux.