Si tous recherchent le bonheur, il est rare de trouver des gens pleinement heureux, et la souffrance et le malheur semblent la condition humaine la plus ordinaire. La réalité du bonheur paraît alors douteuse, et l’on s’interroge sur le besoin illusoire de bonheur.
I. Le bonheur est une illusion nécessaire
1 ) Le bonheur n’existe pas
Pour Schopenhauer, la vie oscille entre la souffrance et l’ennui, dominée par un désir tyrannique qui sacrifie l’individu à la reproduction de l’espèce. Cette vision pessimiste s’appuie sur une conception de la nature dominée par la volonté, une force obscure qui pousse chaque être vivant à se conserver en vie et à accroître sa puissance. Chez les espèces animales, elle prend la forme d’une lutte pour la vie et pour la reproduction de l’espèce. L’individu n’a aucune importance et se sacrifie pour l’espèce.
2 ) L’illusion du bonheur donne un sens à la vie
Mais la conscience oblige l’homme à trouver un but à la vie individuelle. D’où l’invention du bonheur comme illusion vitale : « Il n’y a qu’une erreur innée : celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux. » Sans cette illusion, la vie humaine paraîtrait absurde, ce qui pourrait conduire à une extinction de l’espèce.
3) Être moins malheureux à défaut d’être heureux
Être moins malheureux reste possible pour Schopenhauer. Cela ne dépend pas des circonstances externes (argent, gloire, etc.), mais du tempérament, mélange de bonne santé et de bonne humeur.
II. Le bonheur est un idéal de l’imagination
Selon Kant, le bonheur est « un idéal, non de la raison, mais de l’imagination ». Car la raison ne peut connaître la totalité des désirs à combler, chacun ayant une infinité de désirs différents et changeants. Aucune science du bonheur n’est possible.
Il n’y a que l’imagination qui puisse prétendre à la mission impossible de définir ce qui pourrait rendre un individu heureux. Elle est seule à même de nourrir notre idéal subjectif de bonheur, souvent changeant et multiforme.
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L’imagination, selon Kant, s’oppose à la raison. Alors que la raison est universelle et semblable en tout homme, l’imagination produit des représentations et des images subjectives, relatives à notre corps et à nos passions.
Imaginer son bonheur consiste à projeter la satisfaction de ses désirs dans le futur. Cela nourrit l’espoir, mais révèle une insatisfaction dans la vie présente. Ce bonheur imaginaire donne lieu à des créations artistiques, comme les récits de science-fiction et les utopies, ou à des croyances religieuses, comme le paradis ou la résurrection.
III. Un usage utilitariste du bonheur
Certains refusent la distinction entre bonheur et plaisir, et soutiennent que le bonheur n’est rien d’autre que la quantification des plaisirs : plus on obtient de plaisirs, plus on est heureux. Bentham, fondateur de l’utilitarisme, plaçait ainsi le bonheur dans la quantité de plaisirs accumulés, quels qu’ils soient, sans aucune hiérarchie entre le plaisir d’un bon repas, d’un match de foot ou d’une symphonie de Mozart. L’individu, comme la société, recherche une « maximisation des plaisirs ».
Son successeur, John Stuart Mill, défend au contraire une conception qualitative du bonheur, qui place les plaisirs de l’esprit au-dessus de ceux du corps. L’homme ne saurait se contenter d’une satisfaction bestiale : « Un être pourvu de facultés supérieures demande plus pour être heureux […] Il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. »
L’utilitarisme de Bentham fait du bonheur collectif le but de l’État : une société est d’autant plus heureuse qu’elle apporte plus de plaisirs au plus grand nombre. Mill penche quant à lui vers une recherche individuelle du bonheur.