Qu’est-ce qui peut fonder la morale ? Comment définir un critère qui puisse guider nos devoirs ? Le bonheur peut-il être ce critère ?
I. Le bonheur n’est pas une fin morale
Kant refuse de faire du bonheur une fin morale. En effet, la morale consiste à faire son devoir, et le devoir doit être désintéressé et ne pas attendre de récompense. La morale ne recherche donc ni le plaisir ni le bonheur.
Nous pouvons tout au plus « nous rendre dignes du bonheur », mais en aucun cas garantir que nous l’atteindrons. Le bonheur peut donc survenir comme un accident et un supplément au devoir, mais aucunement comme une récompense nécessaire. Que le respect de la morale nous rende heureux ou malheureux, cela ne change rien à l’intransigeance du devoir moral.
Le bonheur est alors un simple espoir et un besoin anthropologique, il doit être poursuivi en dehors du devoir moral et peut être satisfait par surcroît, soit dans une vie future, soit par chance.
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Chez Kant, le terme anthropologique désigne ce qui concerne la nature humaine déterminée par le corps et les passions. Il s’oppose au caractère rationnel et moral de l’humanité.
II. Le bonheur est une fin morale
1) L’association bonheur, vertu et connaissance
L’eudémonisme, dont Aristote, les stoïciens et Spinoza sont les principaux représentants, pense que le bonheur ne se dissocie pas du devoir, mais que les deux s’unissent dans une association entre bonheur, vertu et connaissance. La réunion réelle des trois est le souverain bien. Ce dernier désigne le bien placé au-dessus de tous les autres et qui est le but ultime d’une quête éthique.
2 ) Le bonheur dans l’ascétisme
Pour les stoïciens, le bonheur est dans la liberté et la vertu. La liberté est celle de la volonté qui ne doit pas vouloir ce qui ne dépend pas de nous. La santé, les richesses, la gloire, même le corps ne dépendent pas de nous ; vouloir ces biens nous rend esclaves des passions, donc malheureux. La volonté reste libre en se détachant de ces biens illusoires, et la vertu réside dans une volonté libre. Le bonheur se trouve dans une vie ascétique de dépouillement matériel.
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L’ascèse signifie l’exercice. Chez les stoïciens, c’est l’exercice quotidien de la volonté pour se détacher des biens extérieurs, qui ne sont pas des vrais biens mais des « indifférents ».
3) La recherche du souverain bien pour lui-même
Pour Aristote, le bonheur est le souverain bien et doit être recherché en vue de lui-même. Cependant, les circonstances extérieures, comme la santé, l’aisance matérielle ou la liberté politique, y contribuent. Ce sont des conditions nécessaires mais non suffisantes pour l’obtenir.
Dans cette perspective, Aristote s’oppose à ceux, comme les stoïciens, qui pensent que la vertu seule suffit, quelles que soient les conditions matérielles.
4 ) L’harmonie avec l’ordre nécessaire de la nature
Pour Spinoza, le bonheur se nomme béatitude et consiste dans la connaissance rationnelle de la nature qui nous conduit à l’amour de Dieu, puisque Dieu et la Nature sont une même chose. La vertu est une disposition rationnelle qui vise à faire en sorte que les passions joyeuses l’emportent sur les passions tristes, lesquelles peuvent être évitées par la connaissance de la nécessité.
Cette connaissance des causes qui me déterminent me libère et me rend heureux grâce à une fusion intellectuelle et affective avec l’ordre du monde. Le bonheur est dans cette harmonie de mon esprit avec l’ordre nécessaire de la nature.