La technique semble n’être qu’un ensemble de moyens à notre disposition. Force est pourtant de constater que les objets techniques occupent une place croissante dans notre vie. Ne faut-il pas en conclure que la technique finit par conditionner nos modes de vie, de pensée et de coexistence ?
I. La neutralité de la technique
1) La conception instrumentale de la technique
La technique est un simple moyen. Gorgias, le sophiste dépeint par Platon dans l’œuvre éponyme, se fonde sur cet argument pour défendre une conception purement instrumentale de la technique.
Par exemple, une arme est un simple moyen et est moralement neutre : elle peut servir à se défendre et à protéger ses amis, mais elle peut aussi être utilisée pour commettre des méfaits. L’arme n’est pas responsable de l’usage que l’on en fait.
2 ) La responsabilité humaine
La responsabilité morale des hommes est toujours engagée. Ainsi, l’idée d’aliénation technique, qui désigne un état de dépossession de la vie humaine dont la technique serait directement responsable, est infondée.
Marx souligne que la révolte ouvrière ne doit pas être un saccage des machines, mais qu’elle doit déboucher sur le changement politique de la société.
II. La non-neutralité de la technique
1 ) La technique conditionne l’homme
Comme le souligne Arendt, on n’avait jamais auparavant ressenti le besoin de s’interroger à propos de la dépendance de l’homme vis-à-vis de ses outils. Le fait même que la question se pose concernant le rapport de l’homme aux machines est l’indice d’un problème nouveau et réel. Alors qu’un ensemble d’outils utilisés par la main humaine peut rester neutre, « les machines exigent que le travailleur les serve et qu’il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. »
La technique obéit toujours davantage à la loi de l’efficacité rationnelle : obtenir un maximum de résultats avec un minimum de dépenses. Une valeur économique devient ici une norme éthique.
Ce critère régit tous les domaines. Dans la vie professionnelle ou dans les loisirs, il faut être efficace, toujours plus productif, aller toujours plus loin, plus vite. La technique engendre une conception purement quantitative de la réussite et du bonheur.
2 ) La technocratie
Selon Marcuse, le développement de la technique engendre un développement de la bureaucratisation, de l’administration et de la planification, ce qui provoque un affaiblissement des institutions démocratiques. En effet, les individus obéissent aux exigences d’appareils technologiques, de distribution et de consommation, dont « les grands groupes dirigeants semblent subir les exigences […] plutôt que de les déterminer. » La domination politique devient technocratique.
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Souvent péjoratif, le terme de technocratie désigne un accaparement du pouvoir politique par les techniciens et les fonctionnaires.
3) L’essence de la technique
Selon Heidegger, l’essence de la technique moderne ne se réduit pas à un ensemble d’instruments. Elle est un dévoilement qui arraisonne la nature.
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L’arraisonnement consiste à postuler que la nature entière peut se comprendre à partir de catégories rationnelles quantitatives. La nature se réduit donc à la mesure que le technicien en prend en vue de son usage par l’homme.
La nature se trouve dès lors identifiée à une source d’énergie. Par exemple, une centrale hydraulique ne fait pas corps avec un fleuve, mais le mure et le détermine comme fournisseur de pression hydraulique.
L’essence de la technique constitue un prisme déformant qui s’impose aux hommes. Mais en ne voyant dans la nature qu’une somme d’ustensiles, l’homme oublie d’entendre « l’appel d’une vérité plus initiale » : l’énigme de sa présence.