Dans la mesure où la croyance religieuse renvoie à un acte de foi et non à une preuve scientifique, il est tentant de rapprocher religion et superstition. Pourtant, la religion semble mettre en jeu un engagement plus fort qu’un simple comportement irrationnel.
I. La religion comme croyance supérieure
1) Le sacré et le profane
On définit la religion comme un ensemble cohérent de croyances et de pratiques partagées par une communauté. Mircea Eliade montre que le point commun entre toutes les religions est la distinction entre le sacré et le profane.
Mots-clés
Le sacré désigne ce qui implique pour l’homme une attitude de respect, tandis que le profane désigne ce qui n’a pas de valeur en soi et n’engage aucun comportement particulier.
Le temps et l’espace sont hétérogènes. L’espace sacré (le lieu de culte) et les temps sacrés (les fêtes, les pèlerinages) imposent à l’homme d’adopter un comportement réglé par des rites précis.
2) L’expérience d’une entité supérieure
Cette distinction entre sacré et profane s’appuie sur l’expérience d’une entité supérieure, soit immédiate, soit par l’intermédiaire d’un texte sacré. Cette expérience engage l’individu dans une démarche de conversion. La personne convertie adopte une disposition intérieure qui la convainc de respecter de nouvelles règles.
En ce sens, la religion s’oppose à la superstition, laquelle se rapporte à une pratique irrationnelle qui n’implique pas nécessairement un ensemble de croyances et de rites cohérents. La peur de passer sous une échelle par exemple renvoie à un mélange de bon sens et d’inquiétude irrationnelle, sans mettre en jeu une volonté de conversion et de cohérence dans la vie humaine. La religion semble donc supérieure à la superstition.
II. Religion et superstition : du pareil au même ?
1 ) Superstition et religion : une seule et même cause ?
Hume montre que c’est la tendance naturelle à attribuer des qualités humaines (sentiments, apparence, etc.) à tous les objets qui conduit à la superstition. L’homme a besoin de se rassurer devant l’étrangeté du monde : telle est la cause même de la superstition comme de la religion.
2) Superstition et religion : un devenir identique ?
S’il n’est pas toujours mécanique dès l’origine, l’accomplissement de certains rites comme la prière peut le devenir. Il n’engage dès lors plus l’individu dans une démarche de conversion. De même, certaines croyances peuvent être répétées sans jamais être interrogées, ce qui conduit à une forme de dogmatisme. Dès lors, la religion peut se transformer en superstition.
Bien plus, peut-on réduire complètement la religion à de la superstition ? En effet, quelles que soient les bonnes intentions de celui qui croit, ses croyances et ses actes ne finissent-ils pas toujours par prendre la forme d’une habitude irrationnelle et mécanique ?
III. La foi comme tension permanente
Bergson oppose la religion statique et la religion dynamique. La religion statique (la superstition) figurerait un ensemble de fictions figées qui consolent l’individu, tandis que la religion dynamique renverrait à un effort créatif de l’individu qui cherche à donner sens à sa vie.
Si le risque de dégradation de la religion en superstition est avéré, il faut néanmoins admettre que la plupart des croyants ont conscience de ce risque. Loin de le considérer comme un obstacle à leur foi, ils y voient davantage un moyen d’interroger en permanence leurs croyances et leurs pratiques.
Simone Weil présente la foi comme un effort permanent pour viser un bien ultime, en luttant contre toute forme d’idolâtrie. Dans cette perspective, il importe de distinguer foi et crédulité : la crédulité consiste à croire tout ce qui peut rassurer l’individu, tandis que la foi oblige à un examen véritable des différentes croyances. En ce sens, la foi n’est pas forcément confortable pour le croyant.