La nature désigne l’essence d’une chose et la totalité des choses existantes, exception faite des productions humaines. Comprise dans ces deux sens, la nature peut-elle constituer une règle morale pour l’homme ?
I. La conception ancienne
1) Un exemple d’harmonie
La nature est ordonnée et harmonieuse. Elle est comme un grand être vivant dont les régularités manifestent la constance. Elle est l’exact opposé du chaos.
Mot-clé
Pour les Anciens, comme Ovide, le chaos désigne un milieu chronologiquement premier et sans orientation possible, où l’on chute dans tous les sens.
C’est ainsi que, selon Marc Aurèle, la nature « se propose toujours un but, et [qu’]elle ne s’occupe pas moins de la fin des choses que de leur origine et de leur existence. Elle ressemble assez à un joueur de ballon », c’est-à-dire à une personne qui vise intentionnellement un but.
2 ) Vivre selon la nature
Dans ce contexte, la formule injonctive d’Épictète « vivre selon la nature » est pour l’homme un rempart éthique contre la démesure. La vie humaine la plus achevée consiste alors à accepter et retrouver cet ordre naturel en soi-même, si bien que vivre selon la nature équivaut à vivre selon sa nature.
II. Le droit naturel moderne
1) Le droit naturel à la propriété
Certains philosophes modernes croient pouvoir fonder le droit sur ce que la nature a inscrit en l’homme, c’est-à-dire la nature humaine.
C’est ainsi que, selon Locke, l’homme est par nature propriétaire de droit de son corps et de son esprit, mais aussi de tout ce qui vient de lui-même ou a été valorisé par lui-même, notamment les biens et les richesses acquis par son travail.
2) La possibilité du pacte social fondé sur la nature humaine
Dans le même temps, Hobbes soutient que la nature humaine présente tous les éléments nécessaires à l’élaboration du pacte social. Ayant naturellement le droit absolu de tout faire pour préserver leur vie et ayant subi l’épreuve d’une constante menace de mort dans la vie précivile, les hommes découvrent par la raison la première loi de nature, qui leur interdit de faire ce qui mène à la destruction de leur vie, et découvrent la règle de leur intérêt : « s’efforcer à la paix ».
III. La nature : entre la violence et le silence
1) Une nature violente
Pourtant, Hobbes souligne également que l’étude de la nature humaine conduit au constat d’une rivalité fondamentale entre les individus qui s’opposent nécessairement du fait qu’ils désirent tous les mêmes choses. C’est ainsi que l’état de nature est « la guerre de tous contre tous » et que « l’homme est un loup pour l’homme. »
2) L’illusion du droit naturel
Le droit naturel repose sur l’illusion d’une nature qui ferait « autorité » et qui poserait des droits. Or, d’après Kelsen, la nature n’est qu’un ensemble de faits qui n’ordonnent jamais.
Citation
« Des hommes se réunissent […], prononcent des discours, les uns lèvent la main, les autres ne la lèvent pas […] Juridiquement [cela] signifie qu’une loi est votée, que du droit est créé » (Kelsen, Théorie pure du droit). Selon l’auteur, aucune norme naturelle ne fonde l’instauration du droit, qui ne repose que sur des décisions humaines.
Scientifiquement parlant, en effet, la nature n’est qu’un mécanisme aveugle dénué de volonté et qui ne saurait dicter aucun devoir-être.
Ainsi, à moins de postuler que Dieu ou toute autre puissance transcendante commanderait aux hommes de se conduire d’une certaine façon, la nature ne peut pas servir de boussole politique et juridique aux hommes.