Introduction
L’être humain est doué de langage. Ce langage passe notamment par la parole, définie par le CNRTL (Centre national des ressources textuelles et lexicales) comme la « faculté d'exprimer et de communiquer la pensée au moyen du système des sons du langage articulé » tout en étant aussi l’« usage de cette faculté ». L’art de la parole désigne alors les moyens par lesquels l’homme exprime sa pensée. Si cette définition correspond aux conceptions contemporaines de la parole, qu'en est-il des conceptions antiques ?
Objectifs : Cette leçon te permettra de découvrir l’art de la parole selon deux grands philosophes antiques : Aristote et Platon. La leçon définit aussi des notions importantes comme « représentation » et mimêsis.
I. Qu’est-ce que la représentation ?
1) Définition
La représentation est l’action de rendre quelque chose présent à quelqu’un. Le latin reprœsentatio désigne ainsi l’« action de replacer devant les yeux de quelqu'un », selon le CNRTL. La parole est une forme de représentation dans la mesure où elle rend présente une idée, ou bien une personne. Par exemple, en citant le philosophe Aristote, on le rend présent, on le représente. De même, on rend présentes ses idées.
Citation de la Poétique d’Aristote : « La qualité de l'expression verbale est d'être claire sans être banale. »
La Poétique est un traité rédigé vraisemblablement autour de 335 avant J.-C. C’est un ouvrage qui a profondément influencé la vision occidentale de l’art. La définition aristotélicienne de l’art comme imitation de la réalité (du grec mimèsis) a, par exemple, au cours des siècles de nombreux commentaires.
2) Transmettre la pensée
La parole peut être définie comme un art (un moyen) de transmettre la pensée. Pour qu’une pensée soit partagée, elle doit être clairement énoncée. Dès le plus jeune âge, il est ainsi conseillé aux parents de s’adresser aux enfants comme à des êtres doués de compréhension et de raison, même s’ils n’ont pas encore l’usage de la parole (du latin infans, signifiant « celui qui ne parle pas », selon le CNRTL). Parole et pensée s’articulent mutuellement.
À mesure qu’il grandit, un enfant apprend à structurer son langage pour mieux exprimer ce qu’il pense et ressent. Ainsi, la parole est un moyen de relier l’enfant puis l’adulte au monde et à autrui.
II. L’art de la parole chez Aristote et Platon
1) La Poétique d’Aristote
Dans son ouvrage la Poétique, Aristote affirme que tous les arts reposent sur le phénomène de la mimêsis, autrement dit de l’imitation.
Pour Aristote, la parole, de même que d’autres arts comme la musique, rend présent le réel en l’imitant. Il y a une grande diversité de formes dans la prise de parole : éloge, blâme, discours, tragédie, comédie… qui imitent le réel. Cette imitation est aussi une forme de création : la mimêsis ne décrit pas seulement les choses comme elles sont mais aussi comme elles pourraient ou devraient être. Le théâtre a ainsi la capacité de nous faire comprendre ou entrevoir des aspects insoupçonnés de la réalité. La tragédie, par exemple, est susceptible de provoquer chez le spectateur une « purification » (catharsis) des passions. C’est un genre de parole qui représente des passions comme la colère, l’amour ou désir de vengeance, et des événements forts comme la mort. En les voyant représentés, le spectateur se libère des passions et de forts événements qu’il vit dans la réalité. L’art de la parole pour Aristote consiste ainsi à recréer le réel, pour mieux l’appréhender.
À noter
Par « poétique », Aristote n’entend pas la « poésie » au sens où nous la comprenons ordinairement sous la forme d'un poème en vers ou en prose. La « poétique » désigne tout acte créateur, toute production d’œuvres. Le mot français « poésie » vient d’ailleurs du grec poièsis qui signifie « création ».
2) La parole poétique pour Platon
Pour Platon, la parole philosophique est supérieure à la parole poétique ou théâtrale, dans la mesure où elle est rationnelle et motivée par la vérité. L’art de la parole est, ainsi, avant tout un moyen d’atteindre la vérité, et non d’imiter le réel. La pensée est un dialogue que l’âme entretient avec elle-même, sans auditeur, en silence.
L’imitation, la mimêsis, par le fait qu'elle représente la réalité au lieu de la dire, incite également l'homme à croire à des illusions, des apparences trompeuses ou des mensonges qui le détournent de la quête du Bien et du Vrai, accessible uniquement au moyen des idées.
Dans son œuvre La République, Platon expose sa réflexion sur le langage en prenant l'exemple du lit. Selon lui, il en existe trois espèces :
- La forme du lit : l’idée que tu te fais de ce qu’est un lit.
- Le lit sensible : ce lit-là, celui sur lequel tu dors dans ta chambre.
- L’image du lit : la photo de ton lit, par exemple.
Il écrit : « – Eh bien, ces lits constitueront trois lits distincts. Le premier est celui qui existe par nature, celui que, selon ma pensée, nous dirons l’œuvre d’un dieu. De qui pourrait-il s’agir d’autre ? – Personne, je pense. – Le deuxième lit est celui que le menuisier a fabriqué. – Oui, dit-il. – Le troisième lit est celui que le peintre a fabriqué, n’est-ce pas ? – Oui. – Ainsi donc, peintre, fabricant de lits, dieu, voilà les trois qui veillent aux trois espèces de lit. »
La philosophie de Platon favorise ainsi l’idée du lit plutôt que le lit concret, le monde des idées par rapport au monde des perceptions, la parole comme moyen d’atteindre la vérité plutôt que comme art de l’imitation et de la création.