Comment la modernité transforme-t-elle la sensibilité des écrivains ?

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Les bouleversements économiques et sociaux de la Révolution industrielle transforment progressivement le monde. Les écrivains prennent acte de ces évolutions de la sensibilité moderne, et adaptent leur art.

I. La subjectivité dans tous ses états

1) Une sensibilité accrue aux évolutions de la société

À partir du milieu du XIXe siècle, l’évolution des mœurs remet en question l’esthétique romantique. Les écrivains recherchent de nouvelles formes d’expression de la sensibilité. Dans le roman, cela se traduit par un intérêt pour la description sans idéalisme des évolutions d’un monde qui change, à travers l’intériorité des personnages. 

Dans Madame Bovary (1857), Gustave Flaubert met à mal les rêveries romantiques d’Emma, anachroniques et décalées par rapport à la petite bourgeoisie rurale à laquelle elle appartient. Les points de vue internes des différents personnages s’entremêlent, de même que le discours indirect libre du narrateur, souvent très ironique. 

Le réalisme tente ainsi de restituer les perceptions, les passions et les pensées telles qu’elles surviennent, sans les embellir ou les idéaliser. Confronté aux milieux corrompus de la presse et de la politique, Georges Duroy, sans scrupules et bien loin du romantisme chevaleresque, fait sienne la loi du plus fort : « Chacun pour soi. La victoire est aux audacieux. Tout n’est que de l’égoïsme. » (Maupassant, Bel-Ami, 2e partie, chapitre II, 1885).

2) De nouvelles formes de sensibilité au monde

Les écrivains portent peu à peu un nouveau regard sur des personnages​ troublés, et sur des sociétés bouleversées par la Révolution industrielle. 

Émile Zola, théoricien du naturalisme, brosse ainsi un tableau accablant des injustices frappant les mineurs du Nord dans Germinal (1885) et explore les passions meurtrières reliées à l’hérédité dans La Bête humaine (1890).

Au contraire, dans un mouvement de repli sur soi, le narrateur d’À rebours (J.-K. Huysmans, 1884) se détache de la société et cherche dans les sensations esthétiques les plus rares un plaisir symbolique, absolu et inaccessible.

Définition

Le naturalisme s’inscrit dans la continuité du réalisme : il cherche à étudier l’individu de manière quasi-scientifique, à travers les relations complexes qu’il tisse avec son milieu social.

II. Une fascination pour un monde changeant

1) L’évolution des goûts esthétiques

Le monde moderne, avec ses évolutions politiques et son individualisme, bouleverse le rapport à l’art. La sensibilité des écrivains s’enrichit des mouvements changeants de la modernité : « Il faut être absolument moderne », proclame Arthur Rimbaud à la fin d’Une saison en enfer (1873). 

Charles Baudelaire propose, dans Les Fleurs du mal (1857), d’extraire la beauté des réalités les plus triviales : son « alchimie » poétique transforme « la boue » en « or ». Les sensations produisent de multiples « correspondances » symboliques permettant d’accéder à un nouvel Idéal. 

Au XXe siècle, Francis Ponge publie Le Parti pris des choses (1942), qui célèbre dans des poèmes en prose l’insoupçonnée beauté des choses les plus banales, comme le cageot, le pain ou l’huître.

2) Les transformations de l’espace urbain

La modernité apporte avec elle son lot de nouvelles thématiques. Ainsi, la ville ​fascine par son dynamisme et sa grandeur, mais aussi par l’aliénation qu’elle fait subir aux personnes qui la peuplent : en témoigne la terrible misère ouvrière des personnages de Zola dans L’Assommoir (1877). 

L’espace urbain, en plein développement, devient un sujet poétique à part entière. Dans le diptyque des Campagnes hallucinées (1893) et des Villes tentaculaires (1895), Émile Verhaeren montre avec force comment la ville s’étend peu à peu, englobant et dévorant les espaces qui l’entourent.

À noter

Baudelaire célèbre la beauté sublime de la ville idéale dans « Rêve parisien » (Les Fleurs du mal, 1857) ; Guillaume Apollinaire en fait la source d’une infinie puissance imaginaire dans « Zone » (Alcools, 1913).

La peinture de la modernité

Refusant l’académisme de l’art du XIXe siècle, les impressionnistes comme Claude Monet font primer l’impression, c’est-à-dire la sensation intime et subjective d’une atmosphère (à travers la lumière, les couleurs), plutôt que la netteté des formes et des contours. (Claude Monet, Impression, soleil levant (1872))