Cette œuvre, écrite en 1870 et parue en 1893, s’inscrit dans l’objet d’étude « La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle », dans le parcours « Émancipations créatrices ». Ce parcours fait référence à l’émancipation de la poésie moderne en opposition à la poésie classique ; les poètes ont renouvelé l’art poétique à travers de nouveaux processus créatifs et de nouvelles figures poétiques.
I. L’auteur et les contextes historique et culturel
1) Repères historiques
- 1854 : Naissance de Rimbaud
- 1857 : Publication des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
- 1870 : Publication des Cahiers de Douai
- 1870-1871 : Guerre franco-prussienne et chute du Second Empire
- 1871 : Commune de Paris
- 1873 : Publication du recueil Une saison en enfer
- 1886 : Publication du recueil Illuminations
- 1891 : Mort de Rimbaud
2) Éléments de biographie
Arthur Rimbaud naît à Charleville-Mézières. Fils d’un capitaine d’infanterie, il est élevé par sa mère et reçoit une éducation stricte. Rimbaud excelle à l’école et, malgré son manque de discipline, il se distingue très tôt en littérature. Adolescent, il voue une admiration pour Victor Hugo et Charles Baudelaire, qu’il lit avec avidité. Ces lectures le poussent à se rebeller contre l’ordre social de son temps et à mener une vie de marginal ; naturellement, ce désir de liberté s’exprime dans ses œuvres. Chez Rimbaud, la poésie n’est pas un métier ni un passe-temps, c’est un mode de vie. Rimbaud partira en voyage et vivra conformément à son souhait comme marginal jusqu’à sa mort en 1891.
3) Contexte historique et culturel
Le contexte historique qui entoure les Cahiers de Douai est important pour comprendre la portée de l’œuvre. Rimbaud écrit lors de la seconde moitié du XIXe siècle, à une époque marquée par de multiples révolutions technologiques, politiques et sociales. En effet, la révolution industrielle bat son plein et déstabilise la société alors que le Second Empire, porté par Napoléon III est à bout de souffle. Le nouvel ordre social induit par la naissance du capitalisme industriel en révolte plus d’un ; on dénonce tant la pauvreté que l’hypocrisie des bourgeois. Le nouvel ordre social laisse alors place à un nouvel ordre moral qui ne conçoit plus la tradition comme élément de référence.
Ce nouvel ordre s’observe également en littérature et, plus spécifiquement, en poésie. L’originalité est au goût du jour : les poètes modernes comme Charles Baudelaire ou Théophile Gautier veulent renouveler l’art poétique en inventant de nouvelles formes de versifications et de nouvelles figures poétiques. On réinvente tout : le beau, l’art, la mission du poète…
N’est-ce pas Rimbaud qui dira, plus tard, dans son recueil Une saison en enfer « L’amour est à réinventer » ?
II. Le titre
Les Cahiers de Douai n’ont pas été écrits par le jeune Rimbaud dans la ville de Douai. L’œuvre a été nommée ainsi en raison de leur lieu de publication. Les cahiers laissés par Rimbaud ont, en effet, été réunis à Douai.
III. Structure et résumé de l'œuvre
L’œuvre n’a pas de structure ordonnée connue ; les poèmes se suivent et traitent chacun d’une expérience intime de Rimbaud. Les Cahiers de Douai sont une entrée dans les songes du jeune Rimbaud, âgé de seulement seize ans lors de l’écriture des poèmes.
On comprend, par conséquent, que le lecteur a entre ses mains une œuvre de jeunesse, qui ne répond pas à une organisation pensée par le poète. Œuvre hybride, entre influences classiques et intuitions modernes, les Cahiers de Douai contiennent vingt-deux poèmes traitant de thèmes comme l’amour, la guerre, la liberté ou encore la religion.
IV. Les thèmes et mots-clés
- L’amour et la découverte de soi : Ce thème est important, car il est au cœur des Cahiers de Douai. Rimbaud est, avant tout, un adolescent qui se découvre et qui découvre la vie. Quelques poèmes célèbrent ses amours avec des jeunes filles ou ses rencontres avec des femmes qui attirent son regard. On retrouve une vision de l’amour éloignée du romantisme : l’auteur connaît ses premiers émois mais reste lucide sur lui-même. Rimbaud reprend la figure poétique classique de l’amour et l’utilise pour se découvrir lui-même. Le poème « Première Soirée », représentant une scène d’amour insouciante, illustre bien l’état d’esprit du poète.
- Critique de la guerre : Ce thème est une préoccupation majeure du poète dans ses réflexions sur le monde moderne. Rappelons qu’à l’époque de Rimbaud, la guerre est d’actualité. Pensons au célèbre poème « Le Dormeur du val » dans lequel Rimbaud oppose au monde haineux, angoissant et sombre la description d’un soldat paisible, serein et pacifiste. Rimbaud utilise, par conséquent, la poésie comme un réquisitoire contre la barbarie inhérente à toute forme de guerre.
- Critique de la religion et des institutions : Tout lecteur de Rimbaud remarquera que la religion dans les Cahiers de Douai est vivement critiquée. Dans le poème « Le Châtiment de Tartufe », Rimbaud critique l’hypocrisie religieuse et se moque des idées religieuses à la manière d’un Baudelaire. Le poète s’insurge également contre la monarchie et célèbre les idéaux de la Révolution française dans le poème « Le Forgeron ». « Liberté chérie ! » ainsi peut se formuler la philosophie de Rimbaud.
- Ode à la liberté : Le lecteur doit voir dans les Cahiers de Douai un manifeste en faveur de la liberté sous toutes ses formes : politique, religieuse et sociale, certes, mais également individuelle. Rimbaud célèbre la vie dans ce qu’elle a de plus volatile. À titre d’exemple, dans le poème « Ma Bohème », le poète se voit bohémien en train de parcourir le monde. Citons le vers suivant : « mon auberge était la Grande-Ourse ».
- Angoisse du monde moderne : Il est enfin un thème qui parcourt les Cahiers de Douai dans leur intégralité : une forme d’angoisse liée à la naissance d’un nouveau monde. En effet, Rimbaud célèbre une nature verdoyante, un monde idéalisé dans le poème « Soleil et chair », poème qu’il faut lire comme un regret face au monde moderne, fade et disharmonieux. Cette angoisse se lit aussi dans la conception étonnante de la beauté que se fait Rimbaud dans le poème « Vénus Anadyomène ». En effet, le poète parodie la naissance de Vénus, déesse de l’amour. En revanche, l’auteur crée un objet poétique digne et d’une beauté tragique en peignant le portrait d’enfants affamés dans « Les Effarés ». Le monde moderne, violent et laid aux yeux du poète, brise l’harmonie des origines et la rend presque grotesque.