Cette œuvre, parue en 1952, s’inscrit dans l’objet d’étude « La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle », dans le parcours « Dans l’atelier du poète ». Ce parcours fait référence au travail du poète, artisan des mots, qui compose dans un « atelier », tel un peintre ou un forgeron. Les mots sont la matière première du poète qui les travaille, les agence et les polit pour composer un poème, comme le joaillier assemble les pierres et polit l’or pour créer un bijou.
I. L’auteur et les contextes historique et culturel
1) Repères historiques
- 1899 : Naissance de Francis Ponge
- 1938-1944 : Écriture du recueil La Rage de l’expression
- 1942 : Publication du recueil Le parti pris des choses
- 1952 : Publication du recueil La Rage de l’expression
- 1988 : Mort de Francis Ponge
2) Éléments de biographie
Francis Ponge naît à Montpellier en 1899. Influencé par le surréalisme, mouvement littéraire qui privilégie le rêve et l’écriture automatique à la création poétique classique, Ponge écrit et se consacre rapidement à l’enseignement. Il est connu principalement grâce à son recueil Le parti pris des choses, recueil original dans lequel il propose un art poétique centré sur des objets du quotidien. À titre d’exemple, le poème « Le Pain » décrit un simple morceau de pain avec un vocabulaire poétique grandiose.
Ponge est connu pour ne pas s’être revendiqué comme poète mais comme scientifique. Ses poèmes sont une observation de la réalité dans ses détails et dans ce qu’elle a de plus spectaculairement banal. Reconnu pour son inventivité et son talent, Ponge a reçu le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 1984, peu avant sa mort en 1988.
3) Contextes historique et culturel
Le contexte historique dans lequel écrit Ponge est turbulent. En effet, le recueil La Rage de l’expression a été écrit en pleine Seconde Guerre mondiale. À ce sujet, il faut savoir que Ponge s’est engagé dans la résistance. Le lecteur doit avoir à l’esprit la vague d’incertitude qui règne dans le milieu artistique pendant et après la fin de la Seconde Guerre mondiale : comment faire de l’art, expression absolue de la conscience humaine, alors que les êtres humains sont confrontés à l’atrocité d’une guerre totale ? L’art s’incline. L’Europe est à reconstruire sur tous les plans : économique, social, politique. C’est donc dans un monde désenchanté qu’écrit Ponge.
Le contexte culturel, quant à lui, subit la même dynamique. L’art poétique est marqué par une recherche de nouvelles règles ; on abolit les règles classiques inspirées par les maîtres antiques. Il n’est en effet plus question d’harmonie, d’ordre, de musicalité et de beauté : il est désormais question de liberté totale dans l’entreprise poétique. Ce contexte explique en partie l’art de Ponge, qui est davantage une réflexion sur la poésie et sur la langue qu’un art privilégiant la dimension esthétique. Les poètes n’ont désormais plus pour mission d’être des demi-dieux ; ils ne sont que des artistes parmi tant d’autres. In fine, La Rage de l’expression est une tentative pour réconcilier l’humain et le monde à travers la puissance du langage.
II. Le titre
La Rage de l’Expression manifeste le désir de Ponge de mener une réflexion sur le langage et sur l’art poétique. L’auteur entend, avec ce titre, explorer les profondeurs de l’expression poétique en expliquant le monde qui nous entoure. La Rage de l’expression représente donc le conflit entre le poète et les limites du langage, ce que suppose le terme « rage ». Ponge veut dire, et bien dire.
III. Structure et résumé de l'œuvre
L’œuvre est divisée en sept poèmes, écrits en prose. La structure est clairement désordonnée et fruit d’un mélange entre l’art du poète et sa réflexion personnelle. Le vers libre traduit une volonté de se distancier avec les normes poétiques classiques. Le recueil doit être lu comme une plongée dans l’esprit du poète, tel un songe.
On trouve dans La Rage de l’expression une méditation sur les pouvoirs et les limites du langage à travers des animaux, des paysages, des lieux pastoraux, des plantes… Cet univers bucolique sert de prétexte à la réflexion du poète.
IV. Les thèmes et mots-clés
- La nature : Ce thème est central dans le recueil. En effet, les objets poétiques utilisés par l’auteur sont des insectes, des éléments de la nature elle-même. À titre d’exemple, dans le poème « La guêpe », Ponge se place en scientifique et regarde son objet avec méticulosité. Ponge décrit la nature, avec un vocabulaire scientifique et une recherche évidente d’objectivité ; en y mêlant des images, des comparaisons, des suggestions. La nature est le champ de création du poète.
- Une réflexion sur la poésie : Ponge mêle son art à la réflexion et ne distingue pas les deux. Entreprise entièrement nouvelle : il se permet d’insérer des réflexions dans ses poèmes mêmes. Par exemple, dans la section « Notes prises pour un oiseau », Ponge exprime ses difficultés à trouver le mot juste. L’art poétique, de ce fait, est presque annulé en tant que tel : Ponge avoue son échec. Presque annulé car cette nouveauté fait partie de l’originalité de Ponge : c’est son art poétique. Selon l’auteur, la poésie doit s’intéresser aux choses simples de la vie et les décrire en conséquence, c’est-à-dire avec fidélité. On rompt avec la tradition poétique qui voudrait, quant à elle, façonner l’objet poétique selon son regard. L’objectif de Ponge est de décrire l’objet et de s’en approcher au maximum.
- Jeu avec le langage : On ne peut évoquer La Rage de l’expression sans s’attarder sur les néologismes présents dans l’œuvre. En effet, ces néologismes sont le fruit d’un jeu avec le langage qui confère au recueil une originalité évidente. Ponge joue avec les mots : on peut citer le néologisme « objeu », mélange d’objet et jeu, qui évoque le jeu poétique auquel se soumet l’auteur pour stimuler son processus de création. Ce jeu avec le langage est une tentative, pour Ponge, de dire, de communiquer avec le plus de précision possible.
- Une quête personnelle : Le lecteur doit voir dans La Rage de l’expression la présence d’une quête désespérée de l’auteur vers la réunification du monde. La philosophie de Ponge est simple : il faut s’accorder aux choses et y demeurer. Cette philosophie humble traduit une volonté de retrouver une harmonie perdue dans un monde ravagé par la guerre. L’être humain doit retrouver une force qui le fait vivre et qui le protège. Cette force, c’est le langage. Comme le dit l’auteur dans « Notes prises pour un oiseau » : « Nous ferons des pas merveilleux, l’homme fera des pas merveilleux s’il redescend aux choses (comme il faut redescendre aux mots pour exprimer les choses convenablement). »