Peut-on faire l’expérience du temps ?

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Toute expérience se fait dans le temps : il n’y a rien qui échappe absolument au temps, qui soit véritablement hors du temps. Mais qu’est-ce alors que l’expérience du temps en lui-même ?

I. Le temps participe de toutes nos expériences

1)  Le temps objectif

Nous pouvons d’abord distinguer nos expériences les unes des autres à l’aune d’un temps universel. Qu’on le mesure en secondes ou en millénaires, ce temps est le même pour tous et a une valeur objective.

Aristote explique par exemple que ce temps objectif est indispensable à toute théorie physique : nous avons besoin de mesurer et de quantifier l’évolution des états et des phénomènes successifs.

2)  Le temps subjectif

Pour autant, il existerait également un temps subjectif, corrélatif à notre flux de conscience. Ce temps n’est pas le même pour tous : il ne s’écoule plus indifféremment de l’expérience qui est en jeu. On dira qu’il « passe vite » ou au contraire que « le temps est long ».

Dans l’expérience de l’ennui, le temps semble se dilater au point de ne presque plus s’écouler, comme si nous étions figés dans le temps. Schopenhauer écrit ainsi qu’en voulant « tuer le temps » nous cherchons à « fuir l’ennui ».

II. Il serait donc impossible d’en faire l’expérience

1)  La connaissance du temps nous échappe

Dans ses Confessions, Saint Augustin tente de définir le temps qui paraît résister à notre effort de connaissance.

Pour être du temps, le présent doit déjà se faire passé, c’est-à-dire s’étirer et durer. Mais le passé est ce qui n’est déjà plus. Quant au futur, il est ce qui n’est pas encore. Parce que le temps réside dans le mouvement, Saint ­Augustin ­explique que l’être du temps paraît insaisissable.

Citation

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« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas ! » (Saint Augustin, Confessions).

2 ) Il est en réalité la condition de possibilité de toute expérience

Dans la Critique de la raison pure, Kant explique que le temps n’a pas d’existence absolue. Il est une « forme a priori de la sensibilité », ce qui signifie que le temps n’existe que parce qu’une conscience fait l’expérience de quelque chose.

Il faut donc comprendre que le temps a une valeur transcendantale : c’est une condition de possibilité de l’expérience. On ne peut pas faire l’expérience du temps, parce que le temps n’est pas un « objet ». C’est, comme l’espace, une forme qui nous permet de faire l’expérience des objets dans le monde.

III. L’expérience de la durée, un peu de « temps à l’état pur »

Proust explique qu’une telle expérience exige une forme d’abstraction : retrancher ce qui relève de l’expérience pour appréhender le temps lui-même. Cette opération se produit lorsqu’une sensation présente ­ravive une sensation passée. Cette sensation nous fait ainsi redevenir celui que nous étions la première fois que nous l’avons perçue.

Comme l’explique Bergson, l’expérience du temps est solidaire de celle de notre existence : l’unité de notre conscience nous permet d’appréhender le temps comme durée. Nous comprenons ainsi que le passé n’est pas ­seulement ce qui passe mais aussi ce qui se conserve.

Citation

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« La durée est le progrès continu du passé qui ronge l’avenir et qui gonfle en avançant » (Bergson, Lévolution créatrice).