En 1931, l’écrivain britannique Aldous Huxley invente un monde dystopique, à la fois très différent et dangereusement proche du nôtre. Un monde prétendument parfait qui vire au cauchemar…
I. Une dystopie qui anticipe les dérives possibles de la société
1) Une société eugéniste
Huxley s’empare d’une problématique qui passionne son époque : l’eugénisme. Il imagine une société fondée sur la sélection discriminante des individus selon des critères bien précis.
Fondée sur des castes, des Alphas (membres supérieurs) aux Epsilons (membres inférieurs), la société modifie génétiquement les embryons pour qu’ils s’adaptent parfaitement à leur destination sociale. Plus la caste est basse, moins on fournit d’oxygène aux embryons, afin d’enrayer leur développement, créant une sous-humanité aisément exploitable.
Définition
L’eugénisme (sélection génétique des individus) vise l’amélioration de l’espèce humaine, mais pose de graves problèmes éthiques ; il a ainsi conduit aux exactions nazies.
2) Le fordisme comme religion
Ford, concepteur de la production industrielle à la chaîne et de la consommation de masse, détrône Dieu. Le calendrier s’établit désormais à partir de la révolution qu’a constitué Ford.
L’humain lui-même est produit en série, dans un Centre d’Incubation : « Nous prédestinons et nous conditionnons », s’enorgueillit son directeur. Dès la conception est mis en place un véritable culte de la consommation, clé de voûte d’une société qui érige le plaisir et le confort en idéaux suprêmes.
3) Une caricature du totalitarisme soviétique
« Communauté, identité, stabilité » : telle est la devise de l’État mondial, qui contrôle la majorité de la population. L’individu – comme être unique, autonome, ayant une existence légitime hors du groupe – n’existe pas.
Quiconque s’écarte de ces normes est suspect. Bernard Marx, qui n’adhère que partiellement aux valeurs de l’État mondial, se sent différent et est rejeté comme tel ; rapidement soupçonné de dissidence, il est neutralisé.
À noter
Huxley multiplie les références explicites au communisme, particulièrement visibles dans les noms de ses personnages : Bernard Marx, Lénina…
II. Une réflexion sur la nature humaine
1) Le rêve de s’affranchir de limites biologiques
L’humain est délivré de certaines limites biologiques. Ainsi, le corps féminin n’a plus à subir la grossesse, perçue comme vile. La vieillesse n’existe pas : les soixantenaires conservent la fraîcheur de leurs dix-sept ans, avant de disparaître soudainement et sans douleur.
Tout est prévu pour satisfaire rapidement le moindre désir. La maladie et la souffrance sont combattues par des drogues puissantes : le soma, massivement consommé, permet à chacun d’éviter la frustration ; elle permet à la fois la stabilité émotionnelle et la paix sociale.
2) La condition humaine
Perçue comme une menace, la sensibilité individuelle est étroitement contrôlée. Les individus sont conditionnés : l’hypnopédie, « la plus grande force moralisatrice et socialisatrice de tous les temps », ancre dans l’esprit de chacun, dans son sommeil, des maximes, des règles morales, des désirs qu’il suivra toute sa vie.
Citation
« Un État totalitaire vraiment “efficient” serait celui dans lequel [l’État] aurai[t] la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. » (préface)
Huxley interroge ce qui fonde notre humanité : les liens familiaux, jugés étouffants et dangereux, sont abolis ; la sexualité, canalisée, ne vise plus qu’au plaisir ; l’art devient un danger. Les œuvres de Shakespeare elles-mêmes sont bannies, car susceptibles d’éveiller des passions néfastes !
Seule une minorité échappe au contrôle de l’État mondial et vit dans une Réserve. John, enfant conçu naturellement, y a grandi ; sensible et cultivé, il est le vestige d’une humanité jugée arriérée. Incapable d’abdiquer sa liberté pour un bonheur imbécile, John finit par se suicider.
Des bébés génétiquement modifiés
En 2018, He Jiankui, un chercheur chinois, annonce avoir altéré illégalement le génome de deux jumelles, Lulu et Nana ; la communauté internationale est scandalisée, le chercheur condamné à trois ans de prison. L’éthique de notre propre rapport à l’humanité est au centre du problème.