Méthodologie du commentaire : épreuve anticipée

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Commentaire de texte : Romain GARY, La Promesse de l’aube, deuxième partie, chap. XXI, 1960

Cette leçon t'offre une approche méthodologique pour la rédaction du commentaire en français. Voici la réalisation d'un sujet de commentaire, issu des annales de l'épreuve anticipée de français du bac 2021 aux Antilles et Guyane.

La réalisation de ce sujet se fait par étapes, celles-ci appuyées par des explications et des conseils.

Légende de la leçon 

Bleu : contextualisation

Vert : problématique

Violet : 1re partie

Rouge : 2e partie

Jaune : ouverture

Texte de Romain Gary

Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Romain GARY, La Promesse de l’aube, Deuxième partie, chap. XXI, 1960

 Dans cette autobiographie romancée, Romain Gary rend un hommage rempli d’humour et de tendresse à sa mère, Polonaise immigrée à Nice dans les années 30 qui, après avoir connu la misère et l’humiliation, obtient la gérance de l’hôtel Mermonts, dont elle assure l’intendance et la promotion commerciale.

 Ma mère se levait à six heures du matin, fumait trois ou quatre cigarettes, buvait une tasse de thé, s'habillait, prenait sa canne et se rendait au marché de la Buffa, où elle régnait incontestablement. Le marché de la Buffa, plus petit que celui de la vieille ville, où allaient s'approvisionner les grands palaces, desservait principalement les pensions de la région du boulevard Gambetta. C'était un lieu d'accents, d'odeurs et de couleurs, où de nobles imprécations s'élevaient au-dessus des escalopes, côtelettes, poireaux et yeux de poissons morts, parmi lesquels, par quelque miracle méditerranéen, d'énormes bottes d'œillets et de mimosa trouvaient toujours moyen de surgir inopinément. Ma mère tâtait une escalope, méditait sur l'âme d'un melon, rejetait avec mépris une pièce de bœuf dont le « flop » mou sur le marbre prenait un accent d'humiliation, pointait sa canne vers des salades que le maraîcher protégeait immédiatement de son corps, avec un « Je vous dis de ne pas toucher à la marchandise ! » désespéré, reniflait un brie, plongeait le doigt dans la crème d'un camembert et le goûtait – elle avait, lorsqu'elle portait à son nez un fromage, un filet, un poisson, un art de suspense qui rendait les marchands blêmes d'exaspération – et lorsque, repoussant d'un geste définitif l'article, elle s'éloignait enfin, la tête haute, leurs interpellations, insultes, invectives et cris indignés reformaient autour de nous le plus vieux chœur de la Méditerranée. On était en pleine cour de justice orientale où ma mère, d'un geste de son sceptre, pardonnait soudain aux gigots, aux salades, aux petits pois, leur qualité douteuse et leur prix exorbitant, et les faisait passer ainsi de l'état de vile marchandise à celui de « cuisine française de premier ordre », selon les termes du prospectus déjà cité. Pendant plusieurs mois, elle s'arrêta chaque matin à l'étalage de M. Renucci pour tâter longuement les jambons sans jamais en acheter, dans un pur esprit de provocation, à la suite de quelque obscure querelle, quelque compte personnel à régler, et uniquement pour rappeler au marchand quelle cliente de marque il avait perdue. Dès que le charcutier voyait ma mère s'approcher de l'étalage, sa voix montait comme une sirène d'alarme, il se précipitait, se penchait, la panse sur le comptoir, brandissait le poing, faisait mine de défendre sa marchandise de son corps, sommant ma mère de passer son chemin, et, pendant que la cruelle plongeait dans le jambon un nez impitoyable, avec une grimace d'abord d'incrédulité, et ensuite d'horreur, indiquant par toute une mimique variée qu'une odeur abominable venait de frapper ses narines, Renucci, les yeux levés au ciel, les mains jointes, implorait la madone de le retenir, de l'empêcher de tuer, et déjà ma mère, repoussant enfin le jambon avec dédain, un sourire de défi aux lèvres, allait continuer son règne ailleurs, parmi les rires, les « Santa Madonna ! » et les jurons.

 Je crois qu'elle avait vécu là quelques-uns de ses meilleurs moments.

I. Composer et rédiger l’introduction

1) Réaliser l’introduction

L’introduction du commentaire doit s’appuyer sur le paratexte :

  • le chapeau (les lignes de présentation en italique avant le texte),
  • le titre de l'œuvre et sa date de parution,
  • le nom de l’auteur,
  • le numéro du chapitre ou de l’acte

Étape 1 : présentation du contexte (historique, social, politique et mouvement littéraire si possible) de l’œuvre

Étape 2 : présentation du passage à étudier + genre et type de texte

Étape 3 : problématique (question à laquelle le commentaire va répondre)

Étape 4 : annonce du plan

2) Introduction rédigée

La Promesse de l’aube de Romain Gary est un roman paru en 1960 au moment où les mouvements littéraires ne sont plus vraiment identifiables dix ans après le renouveau opéré par les auteurs du Nouveau Roman dans les années 50. Il s’agit d’un roman autobiographique dans lequel l’auteur rend hommage à sa mère qui lui vouait un amour inconditionnel et débordant, ce qu’il ne retrouvera avec aucune femme à l’âge adulte (étape 1). L’extrait choisi se situe au chapitre XXI et offre au lecteur une description de la mère du narrateur au marché de la Buffa (étape 2). En quoi ce portrait en action se transforme-t-il en une véritable scène comique ? (étape 3) Nous verrons, dans un premier temps, le portrait en action de la mère dans un décor pittoresque puis, dans un second temps, nous montrerons le comique de la scène qui s’apparente à une représentation théâtrale. (étape 4)

II. Rédiger le développement

1) Réaliser le développement à l’aide du plan réalisé en amont

Pour élaborer le plan, il faut repérer au brouillon les éléments suivants :

  1. Le paratexte
  2. Le genre du texte : théâtre, poésie, roman, nouvelle, conte, essai
  3. Le type de texte : narratif, descriptif, argumentatif
  4. Les registres, effet produit sur le lecteur : comique, tragique, pathétique, ironique, polémique…
  5. Le lexique
  6. Les modes, temps, syntaxe
  7. Les figures de style
  8. La versification (si le texte est en vers)

Ce relevé va permettre de dégager les grandes parties et les sous-parties qui illustrent les grandes parties (deux grandes parties suffisent). Ce balisage du texte permet de le relire au moins sept fois, en extrayant des citations liées aux sept critères d’observation.

Remarque
Ce temps de travail doit prendre au moins 1 h.

I. Portrait de la mère en action (titre élaboré à partir de l’identification du type de texte : ici description d’un personnage = portrait).

Une fois que le type est identifié, il faut le préciser avec une expansion pour élaborer le titre de la grande partie (ici : en action). La 1re partie développe l’aspect le plus évident, le plus visible du texte.

  1. Un décor pittoresque (sous-partie élaborée à partir du relevé des champs lexicaux qui illustrent le I.)
  2. Une femme en action
  3. Une femme exigeante

II. Une scène comique (titre élaboré à partir de l’identification du registre lors du relevé au brouillon : ici, le comique et de l’aspect théâtral du portrait).

La 2e partie est toujours le développement de l’aspect le plus important, celui qui fait l’originalité et le sens du texte.

  1. L’humour du narrateur
  2. Une véritable comédienne
  3. Une narration vivante

2) Commentaire rédigé

 Ce texte propose un véritable portrait de la mère de l’auteur, évoluant dans un univers pittoresque. Gary la présente comme une femme en action et exigeante, la faisant alors apparaître comme toute puissante (présentation de la partie).

 Tout d’abord, le passage prend place dans un décor qui nous plonge véritablement au cœur d’un marché niçois (présentation de l’idée). De nombreux noms propres de lieux situent la mère du narrateur dans son environnement : « marché de la Buffa », « boulevard Gambetta », « M Renucci », « la Méditerranée ». Cela crée un effet de réalisme qui précise l'arrière-plan dans lequel évolue la mère et atteste du caractère autobiographique de l’extrait puisque Gary, jeune adolescent, y allait avec sa mère. De plus (connecteur entre 2 idées), le champ lexical du goût (« plongeait le doigt », « le goûtait ») et celui de l’odorat (« odeurs », « nez impitoyable », « nez dans un fromage ») sont particulièrement développés et renforcent le pittoresque pour faire vivre la scène au lecteur. La vue et l’ouïe sont présents également : « lieu de couleurs », « d’accents », « bottes d’oeillets », « mimosas » suggèrent les couleurs de ce marché provençal, de même que le toucher : « tâtait une escalope », « je vous dis de ne pas toucher », « tâtait longuement les jambons ». Les 5 sens apparaissent ainsi particulièrement présents comme si les odeurs et les sons sortaient du texte, transformant ce passage en une véritable hypotypose (justification de l’idée par des procédés d’écriture). Cette peinture presque vivante de la ville plonge ainsi le lecteur dans un univers pittoresque où les sens se mêlent (retour à l’idée).

 Par ailleurs, Gary nous présente sa mère comme une femme en action tout au long du texte (présentation de l’idée). En effet, l’emploi des imparfaits à valeur d’habitude dans la première phrase montre que la mère du narrateur a une routine bien précise : « se levait », « fumait », « buvait », « s’habillait ». L’énumération de ces verbes au sein d’une même phrase confère du dynamisme au personnage qui semble particulièrement actif dès le lever. On retrouve ensuite une accumulation des verbes d’action dans l’ensemble du texte qui prouve que c’est bien la mère qui mène le jeu, qui agit et les commerçants qui subissent. Elle est en effet le sujet grammatical de tous ces verbes sous la forme du groupe nominal « ma mère » ou de la reprise pronominale « Elle », les commerçants ou les aliments devenant alors les objets grammaticaux de ces actions (justification de l’idée par des procédés d’écriture). Ainsi, elle est omniprésente dans le texte, comme sur le marché (retour à l’idée).

 De plus, Gary peint sa mère comme une personne exigeante, voire toute puissante (présentation de l’idée). À travers cette description d’une scène qui se reproduit quotidiennement, Gary peint le caractère de sa mère. Le lecteur découvre alors un personnage qui apparaît sans gêne puisqu’elle se permet de tâter toutes les marchandises pour les repousser avec dédain. Le champ lexical du mépris est omniprésent dans l’ensemble du texte : « avec mépris », « humiliation », « la tête haute », « la cruelle », « grimace d'incrédulité », « avec dédain », « impitoyable ». Son comportement semble donc être le même avec tous les marchands, n’accordant de bienveillance à personne. Elle apparaît également comme une femme puissante, presque une magicienne douée d’un pouvoir de transformation puisqu’elle transforme une « vile marchandise » à la « qualité douteuse » en « cuisine française de premier ordre ». Le jeu d’antithèse témoigne des qualités du personnage pour transfigurer les denrées. Finalement, la réflexion sur le bonheur de la dernière phrase laisse entendre que son attitude méprisante n’était peut-être qu’un jeu d’où elle tirait du plaisir, invitant alors le lecteur à une seconde lecture du texte, plus éclairée (justification des idées par des procédés d’écriture).

 Le caractère de la mère transparaît donc bien à travers la description de son attitude durant le marché et si celui-ci ne semble pas être des plus respectueux, c’est pour le plus grand plaisir du lecteur qui lit alors ce passage comme une scène comique (bilan et transition vers la deuxième partie).

 

 Ce portrait de la mère de l’auteur est l’occasion pour lui de nous dresser une scène comique grâce à une écriture burlesque, à la dimension théâtrale et à la vivacité de la narration (présentation de la partie).

 Tout d’abord, les choix d’écriture de l’auteur confèrent une dimension burlesque à la scène. L’humour se fait sentir dès la l. 3 avec le décalage burlesque entre le vocabulaire noble « elle régnait » et le lieu des plus familier sur lequel la mère de l’écrivain exerce son pouvoir : un petit marché provençal. Ce décalage se poursuit l. 6 avec l’opposition entre l’expression soutenue « nobles imprécations » et la juxtaposition qui suit de termes triviaux désignant de la nourriture ; « escalopes, côtelettes, poireaux et yeux de poissons morts ». La personnification de denrées alimentaires participe aussi au registre comique du passage : « une pièce de bœuf dont le “flop” (...) prenait un accent d’humiliation » (l. 10-11). Les éléments du décor s’animent alors et deviennent vivants dans un spectacle total. Si la mère veut se donner une image de juge toute puissante et qu’elle indigne certains vendeurs, elle provoque finalement, dans les dernières lignes du texte, des « rires » et des « Santa Madonna ! » chez d’autres commerçants, preuve de la dimension burlesque du texte car ils s’amusent de son attitude au lieu d’en être effrayés.

 De plus, le comique réside dans l’attitude théâtrale de la mère. Le vocabulaire du théâtre apparaît avec la « canne » l. 2, qui semble un accessoire vestimentaire mais rappelle aussi l’instrument qui annonce le lever du rideau au théâtre. Ici, le rideau se lève sur une grande comédienne et le décor est planté. L’expression « art du suspense », terme mis en relief par l’italique l. 15 renforce l’idée qu’elle met en pratique l’art de la comédie. Sa gestuelle est alors décrite par le narrateur telle des didascalies dans un texte théâtral : « pointait sa canne », « repoussant d’un geste définitif », « la tête haute ». Nous savons que la mère de Gary était une artiste, comédienne à Moscou avant son exil, un personnage excessif. La transposition du marché en une « cour de justice orientale » participe également à la dimension théâtrale car la mère prend alors le rôle d’un juge maniant le « sceptre » et la dimension orientale souligne la grandiloquence de son jeu. Le narrateur décrit également le public de sa mère-comédienne l. 17. Il s’agit des vendeurs excédés par son comportement comme en attestent la juxtaposition de termes négatifs : « interpellations, insultes, invectives et cris indignés ». Ainsi l’assistance n’est ni satisfaite ni convaincue de la prestation de Mme Gary-Kacew (de son vrai nom). Notons enfin que le nom du marché évoque par homonymie l’opéra buffa, opéra comique en italien.

 Enfin, le plaisir de la lecture repose avant tout sur la vivacité de la description qui se transforme presque en une narration tant elle est efficace. En effet, la mère semble évoluer avec rapidité dans ce marché, passant d’étalage en étalage, et le style de l’auteur en rend bien compte : les phrases sont particulièrement longues (on ne compte que quatre phrases l. 9 à l. 36), tenant le lecteur en haleine et conférant ainsi une dimension presque épique à ce récit de marché. Ce dernier se transforme en un tourbillon pour le lecteur où tout se mêle dans un joyeux désordre. L’utilisation de discours direct (« Je vous dis de ne pas toucher à la marchandise ! » l. 12-13) au sein de la description apporte également de l’énergie et rend la description plus vivante. La dernière phrase, par le retour au présent d’énonciation et sa brièveté, interrompt le rythme frénétique de la narration et crée une rupture réflexive qui permet au lecteur de reprendre son souffle.

III. Conclusion

1) Réaliser la conclusion

La conclusion doit reprendre les parties en les reformulant dans l’ordre où elles ont été développées. La dernière phrase doit constituer un élargissement : un autre texte auquel ce texte peut faire penser (intertextualité) ou un sujet d’actualité.

2) Conclusion rédigée

 Ainsi nous avons vu que ce texte consistait en un portrait en mouvement de la mère de l’auteur-narrateur sur un marché niçois haut en couleurs. Mais l’essentiel de ce passage réside dans la théâtralité de cette description et le registre comique qui concourent tous deux à dire tout l’amour que ce fils éprouvait pour sa mère comédienne loufoque, drôle et exubérante. De nombreux textes littéraires évoquent l’amour des auteurs pour leur mère, figure fondatrice et inspiratrice, comme la scène du baiser du soir dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust au début du XXe siècle.