Le progrès n'est-il qu'un mythe ?

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Solidement ancrée dans l’imaginaire occidental, l’idée de progrès est questionnée au XXe siècle : comment la déconstruction du mythe s’est-elle opérée ?

I. Un mythe bien ancré

1) Une lecture de l’histoire

Le progrès est l’évolution dans le sens du meilleur : l’évoquer relève moins d’un constat de fait que d’un jugement de valeur. À la suite du projet de développement infini des sciences et techniques formulé par Descartes (Discours de la méthode, 1637) et fondateur de la modernité, l’idée devient une évidence au siècle des Lumières. 

Condorcet distingue dix époques traversées par l’humanité et clôt son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1794) sur les « progrès futurs »

Les grandes philosophies de l’histoire renforcent cette croyance au progrès : Kant en fait un « fil directeur » pour nourrir l’espérance (Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784), Hegel tient pour certaine la réalisation progressive de l’Esprit dans l’histoire (La Raison dans l’histoire, 1837).

2) L’avènement de l’humain

L’idée de progrès est au cœur du positivisme et de la « loi des trois états » formulée par Comte : l’humanité s’explique d’abord le monde de manière fictive par la religion, puis de manière abstraite par la métaphysique, et enfin de manière réelle par la science (Cours de philosophie positive, 1830-1842). 

De même, Elias décrit une évolution des mœurs éloignant peu à peu l’humain de son animalité initiale (Sur le Processus de civilisation, 1939).

Définition

Fondé par Auguste Comte, le positivisme est un mouvement qui place toute sa confiance dans le progrès de la connaissance et promeut le modèle des sciences expérimentales.

II. Les remises en question

1) Des voix discordantes

Contre les encyclopédistes (Diderot, d’Alembert), Rousseau doute de la valeur d’une civilisation qui a brisé l’harmonie naturelle : le progrès technique alimente une régression morale (Discours sur l’origine de l’inégalité, 1755). 

Face au triomphe du positivisme, Cournot dénonce le mythe du progrès, « une sorte de foi religieuse pour ceux qui n’en ont plus d’autre » (Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, 1872).

2) Des conséquences terribles

De la boucherie des tranchées à la bombe atomique, les deux guerres mondiales ont mis la science et la technique au service du plus grand carnage de l’histoire. C’est au nom d’une idéologie du progrès que les systèmes totalitaires prônaient l’élimination de ceux qui font obstacle au mouvement de l’histoire (Arendt, Le système totalitaire, 1951). 

C’est également sous ce prétexte qu’on a colonisé certains peuples abusivement qualifiés de « primitifs ». L’anthropologue Claude Lévi-Strauss affirme dans Race et histoire (1952) que le progrès n’existe pas : il
faut penser les cultures en termes de diversité et non pas en termes d’évolution, car aucun peuple n’est plus avancé qu’un autre. 

Citation

« Un peuple primitif n’est pas un peuple arriéré ou attardé. » (Lévi-Strauss)

3) Une quête illusoire

Heidegger voit dans l’idée de progrès une illusion propre au monde moderne, qui fait de l’homme une « bête de labeur […] abandonnée au vertige de ses fabrications » (Essais et conférences, 1954). 

Il dénonce « l’impératif de progrès » qui domine la société moderne et qui confine à l’absence de pensée. Une telle frénésie n’a selon lui d’autre sens que de nous enfermer dans un mode d’existence inauthentique pour nous masquer la fragilité de l’existence.

Le futurisme 

L’esthétique futuriste magnifie le monde moderne et urbain, les machines, la vitesse, etc. Né au début du XXe siècle en Italie, ce mouvement artistique se heurte vite à la remise en question du mythe du progrès lors de la Première guerre mondiale et sera partiellement discrédité par les accointances de certains de ses membres avec le fascisme. (Luigi Russolo, Automobile in corsa (1912-1913), Paris, Centre Pompidou)