Légende de la leçon
Vert : définitions
I. Vérité et réalité
On peut définir la vérité comme la conformité d’une pensée ou d’une proposition avec son objet. Dans un premier temps, nous considérerons que cet objet est ce qu’on appelle la « réalité », c’est-à-dire le caractère de ce qui existe. Ainsi, la vérité est « dite », c’est un énoncé, alors que la réalité « est », c’est ce qui nous est donné.
Au premier abord, la réalité semble donc être une notion évidente : c’est ce qui est, ce qui existe et qui fait l’objet d’une expérience immédiate. Par exemple, pour savoir si un objet est réel, j’étends la main pour le toucher. La réalité nous est donnée, nous ne pouvons pas la contrôler selon nos désirs (par exemple, si je désire voler comme un oiseau, la réalité se charge de me rappeler à l’ordre). Jacques Lacan (1901-1981), psychanalyste français, dit ainsi : « le réel, c’est quand on se cogne ». Savoir si ce que je dis (ou pense) est vrai semble donc à première vue assez simple : il suffirait de vérifier que cela correspond bien à l’expérience que je fais du réel. D’ailleurs, dans notre vie quotidienne, nous comptons sur la fiabilité de notre expérience immédiate, notamment à travers nos sens.
La vérité s’oppose à l’erreur, au mensonge et à l’illusion. C’est en rapport à cette dernière qu’apparaît un premier problème : savoir si mon énoncé est vrai ou faux n’est donc en fait pas si simple que cela. En effet, si je crois que mon illusion est une réalité, je croirai que ce que je dis sur elle est vrai, conforme à la réalité, alors qu’il n’en est rien.
Définitions
Erreur. Fait de se tromper sur la réalité de l’objet visé.
Mensonge. Volonté délibérée de tromper sur la réalité.
Illusion. Erreur dont la cause est une fausse représentation de la réalité.
II. Les problèmes que pose la vérité
La vérité pose d’abord le problème de la fiabilité de mon expérience : d’une part, ce n’est pas moi qui crée la réalité, elle existe indépendamment de moi, et continue à exister telle qu’elle est, que je sois d’accord ou non. Nous pourrions donc penser que la réalité est objective. Mais d’autre part, je ne peux connaître la réalité que par l’intermédiaire de mes sens. On peut donc se demander si, dans cette médiation des sens, quelque chose de la réalité n’est pas perdu : mes sens sont-ils fidèles ? Sont-ils trompeurs ? Me donnent-ils à voir la réalité telle qu’elle est ?
La vérité pose ensuite le problème du relativisme : la réalité est censée être objective mais mon accès à elle, par la médiation de mes sens, est subjectif. Donc, la vérité, c’est-à-dire ce que je peux énoncer sur la réalité, passe nécessairement par ma subjectivité. Or, si dans le domaine des croyances, on accepte la diversité (chacun est libre de croire ce qu’il veut), le relativisme devient problématique quand il s’agit de la vérité. Si chacun a sa vérité, il semble alors qu’il n’y ait plus de vérité du tout. En effet, la vérité est censée être unique et universelle car elle doit obéir au principe de non-contradiction énoncé par Aristote (384 av. J.-C.-322 av. J.-C.) dans la Métaphysique : on ne peut pas affirmer que quelque chose et son contraire sont vrais en même temps.
La vérité pose également le problème de son unicité, car, en réalité, la vérité définie comme une conformité avec le réel n’est qu’un type de vérité parmi d’autres : si la vérité est censée être unique, j’y ai cependant accès par différentes facultés (la raison, les sens, l’intuition) et deux vérités n’auront donc pas le même statut. Par exemple, une vérité d’ordre sentimental (« je t’aime ») n’aura pas le même statut qu’une vérité prouvée scientifiquement ; pourtant, les deux peuvent être vraies. De plus, la définition de la vérité comme conformité ne signifie pas la même chose selon le type de vérité : par exemple, une vérité de fait (il y a un rocher sur ma route) diffère d’une vérité conventionnelle, telle qu’une vérité mathématique (2 + 2 = 4). Dans les deux cas, la vérité est une conformité, mais d’un côté il s’agit d’une conformité d’un énoncé à un réel (il y a un rocher sur ma route) et de l’autre de la conformité d’un énoncé à ses propres lois formelles et construites (2 + 2 = 4).
La vérité pose enfin le problème de son immédiateté. Dans le cas de la vérité conventionnelle, il paraît évident que la vérité est le résultat d’une construction : par exemple, en mathématiques nous construisons des règles qu’il s’agit ensuite d’appliquer, et un énoncé est alors vrai s’il est conforme à ces règles construites. Au contraire, la vérité de fait nous apparaît comme donnée immédiatement. Mais cette dernière est aussi le résultat d’une construction de mon esprit. Ce point devient évident si l’on prend l’exemple des illusions d’optiques. Ainsi, même dans le cas de la perception la plus immédiate, la plus quotidienne, mon cerveau représente, reconstruit ce que je vois, la vérité n’est donc jamais immédiate.
ExempleQuand nous regardons le dessin d’illusion dit du « canard-lapin », paru pour la première fois dans un journal munichois le 23 octobre 1892, certains voient un canard, d’autres un lapin, et une fois au courant de l’illusion, chacun peut voir alternativement les deux, mais jamais en même temps.
Définitions
Est médiat ce qui n’est atteint qu’indirectement, à l’aide d’un intermédiaire, ici le témoignage des sens.
Est immédiat ce qui est atteint directement, sans intermédiaire.
Le relativisme est un courant de pensée qui considère qu’il n’y a pas de valeurs absolues et que tout se vaut, notamment relativement à une culture donnée. Pour la vérité, c’est considérer que la vérité absolue n’existe pas et que donc elle peut varier selon les individus et les cultures.
Est formel ce qui concerne la forme. Une vérité est dite formelle quand la pensée est en accord avec ses propres règles (ici les règles de la logique).
Est matériel ce qui concerne la matière. Une vérité est dite matérielle quand la pensée est en accord avec son objet (ici la réalité).
III. Faut-il chercher la vérité ?
Le texte de Platon (428 av. J.-C. - 348 av. J.-C), dit de l’allégorie de la caverne (République, VII), met en scène un homme qui, une fois sorti de la caverne, délivré de ses chaînes, comprend que ce qu’il prenait pour la réalité n’était qu’une illusion. Quand il retourne dans la caverne pour essayer d’en avertir ceux qui sont toujours enchaînés, ces derniers le rejettent. Cette allégorie, qui oppose le règne de l’illusion à la découverte de la vérité, montre qu’il est difficile de sortir de l’illusion. Est-il plus avantageux de la quitter, pour rentrer dans la vérité ? L’illusion semble souvent plus confortable, elle exige moins de nous. Celui qui en est délivré se retrouve bien seul. Pourtant, une fois que nous avons quitté notre illusion, il semble impossible de faire demi-tour, de nier notre découverte de la vérité.
Par ailleurs, un problème posé par la notion de vérité est celui de l’instabilité de la réalité : comme vu précédemment, la vérité se veut universelle, c’est-à-dire vraie en tout temps et en tout lieu, donc comme quelque chose d’absolument fixe. Mais nous avons dit aussi que la vérité peut se définir comme la conformité de ce que je dis à ce qui est, ce qu’on appelle le réel. Or, le réel est au contraire caractérisé par son instabilité. Dans quelle mesure atteint-on alors le réel ? Peut-on dire quelque chose de vrai sur ce réel ?
Cette interrogation a un lien avec le constat ancien de l’instabilité du monde réel, présent pour la première fois dans la philosophie d’Héraclite (544 av. J.-C. - 480 av. J.-C) : « On ne peut descendre deux fois dans le même fleuve. » Le monde comme réalité incarnée (c’est-à-dire qui a aussi une matière, et pas seulement une forme, au contraire d’une idée) change : tout coule, tout passe, tout pourrit et meurt. Or, la vérité demande de la stabilité : en effet, ce qui serait vrai un jour et faux le lendemain ne pourrait pas être vrai. Alors comment connaître le réel, si la vérité doit être immuable, et que le réel est changeant ? On peut alors se demander si la vérité est bien un outil adapté à son objet (le réel) ou si ce n’est qu’une invention de notre part.