Légende de la leçon
Vert : définitions
Introduction
La question de l’autonomie de la volonté pose le problème des conditions de possibilité de la liberté. Ainsi, si on considère que la contrainte peut être intérieure, pouvons-nous véritablement être libres, ou bien la prétention à la liberté est-elle en fait une illusion ?
I. Liberté et désir
Le désir se distingue du besoin, qui est de l’ordre de la nécessité. Ainsi, la nécessité naturelle me pousse à manger pour me maintenir en vie, mais elle ne me force pas à manger quelque chose de particulier, par exemple du chocolat. Pour autant, le désir n’est pas forcément un acte libre : par exemple, on peut imaginer une forme de contrainte intérieure qui me pousse à manger du chocolat alors même que j’ai pris la résolution de ne plus en manger. Je deviens alors esclave de mon désir.
Cette idée que le désir est une forme de servitude dont on devrait pouvoir se libérer est au cœur du désaccord entre Calliclès et Socrate dans le Gorgias de Platon (428 av. J.-C. – 348 av. J.-C.). Socrate demande à Calliclès si la tempérance (le fait de maîtriser ses désirs) est une qualité que doivent posséder les gouvernants, ou bien s’il s’agit uniquement d’une qualité de ceux qui sont gouvernés. Pour Calliclès, les puissants doivent accroître le plus possible leurs désirs, et être tempérant reviendrait à être esclave des injonctions des faibles qui, ne pouvant satisfaire tous leurs désirs, exigent que tout le monde soit tempérant. Socrate au contraire considère qu’il faut être tempérant pour ne pas être esclave de ses désirs, et que l’homme qui cherche à tous les satisfaire est incontinent, à la manière d’un homme qui chercherait à remplir sans cesse des tonneaux percés.
Mais pour David Hume (1711-1776), dans le Traité de la nature humaine, ce thème philosophique du combat de la passion et de la raison pour déterminer la volonté est absurde et de l’ordre de l’illusion, et ce pour deux raisons :
- la raison seule n’est jamais un motif de direction de la volonté, il faut qu’il y ait une passion qui la pousse dans une direction plutôt qu’une autre. Ce que nous appelons « raison » n’est en fait souvent qu’une autre forme de passion, mais moins intense ;
- la raison ne peut jamais s’opposer à la passion pour diriger la volonté, parce qu’elle n’a pas la force de la passion.
II. La question du déterminisme
Le déterminisme est la doctrine selon laquelle l’enchaînement des événements, et notamment des actions humaines, obéit au principe de causalité. Il s’agit de se demander si la liberté ne serait pas une illusion car nous croirions être libres, mais par pure ignorance des causes qui déterminent nos actions.
Un exemple possible de déterminisme est celui que l’on trouve dans la théorie de l’inconscient psychique chez Sigmund Freud (1856-1939). Freud écrit ainsi dans l’Introduction à la psychanalyse que « Le moi n’est plus maître dans sa propre maison ». Ainsi, toute une part de notre psychisme serait en fait inaccessible à la conscience, et ce serait dans cette partie, l’inconscient, que l’on trouverait les véritables motifs de nos actions. Ce que nous dit Freud, c’est que là où l’on croit faire usage de notre liberté, en pleine conscience de nos actes et de nos choix, il y a peut-être une large part d’inconscient dissimulé.
Exemple
Ainsi, j’ai oublié un rendez-vous qui était pourtant censé être important pour moi. Pour Freud, cet oubli n’en est pas véritablement un, il s’agit d’un « acte manqué ». Ma conscience croit que je voulais absolument être présent à ce rendez-vous, mais inconsciemment, je n’avais en fait aucune envie d’y aller. Je suis donc ignorant des causes qui me déterminent.
Définition
Le principe de causalité s’appuie sur la relation de cause à effet. En vertu de ce principe, tout ce qui arrive a une cause, qu’il s’agit alors de déterminer.
III. Le sentiment de liberté est une illusion
Descartes considère, dans les Principes de la philosophie, que « la liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons », c’est-à-dire que le sentiment de liberté est de l’ordre de l’évidence, et que cette évidence n’a pas besoin d’être prouvée par une démonstration rationnelle : son caractère évident suffit à me faire considérer ce sentiment comme véritable.
Mais Hume, dans le Traité de la nature humaine, critique ce sentiment de liberté comme une fausse évidence. Ainsi, il remet en question la distinction traditionnelle entre les processus naturels qui obéiraient au principe de nécessité (par exemple, le soleil doit se lever tous les matins) et les actions humaines qui seraient, elles, libres.
Démonstration
Hume explique que dans le cas des phénomènes naturels, c’est mon esprit qui « invente » la causalité : je ne fais qu’observer que chaque matin jusqu’ici le soleil s’est levé et mon esprit en conclut un rapport de cause à effet et croit donc percevoir la nécessité (le soleil doit se lever tous les matins), alors qu’il n’en est rien. Ainsi, mon expérience ne me donne aucune preuve qu’il y ait des lois nécessaires qui régissent les phénomènes naturels : je peux juste constater que j’ai fait l’expérience que le soleil s’est levé tous les matins depuis que je suis né. Mais passer de ce constat d’union constante (ici entre le lever de soleil et le matin) à l’idée que le soleil se lèvera tous les matins et que d’ailleurs il doit se lever tous les matins, c’est une invention de mon esprit : ce n’est pas nécessairement faux, mais je n’ai aucune preuve de cela.
Or, Hume explique qu’on devrait ressentir de la même manière la nécessité en ce qui concerne les actions humaines : elle serait une invention de mon esprit, mais ni plus ni moins que dans le cas des processus naturels. Alors que je constate de la même manière une union constante entre les actions humaines, il est donc surprenant que, dans le cas des processus naturels, mon esprit conclue à une nécessité absolue, et dans le cas des actions humaines, il conclue à l’inverse, c’est-à-dire à la liberté totale des êtres humains en ce qui concerne leurs actions, qui est tout aussi illusoire. Si je constate qu’à chaque fois que je vole du pain, mon boulanger me court après, mon esprit devrait inventer de la même manière une forme de nécessité, et non de liberté absolue. D’ailleurs, nous nous comportons comme si nous pouvions prévoir les actions des autres aussi précisément que les processus naturels et l’esprit ne fait aucune différence entre des causes matérielles et des actions volontaires.
Exemple
Hume affirme que ce qu’un prisonnier considère comme les causes de son impossibilité à être libéré se confondent entre causes matérielles (la solidité du mur de la prison) et causes humaines (l’inflexibilité du gardien) : le prisonnier ne fait aucune différence entre les deux.
Enfin, pour Spinoza (1632-1677), dans la Lettre à Schuller, l’homme qui se croit libre (parce qu’il a conscience de ses désirs mais pas des causes qui les déterminent) ressemble à une pierre qui aurait reçu par une cause extérieure une impulsion qui la ferait rouler. Une fois que la cause aurait disparu, la pierre continuerait de rouler, et si nous imaginons un instant que la pierre soit consciente de son mouvement, elle croirait alors être libre de continuer à rouler, puisque la cause de son mouvement ne serait plus présente. En effet, pour Spinoza, tout ce qui existe obéit aux lois de la nature, puisque tout ce qui existe est l’émanation de ce qu’il appelle Dieu ou la Nature, et l’être humain n’est pas une exception. Ainsi, la liberté pensée comme libre arbitre est une illusion, et la seule liberté possible consiste à agir selon la nécessité de notre nature.