Les liens qui relient les individus entre eux et avec la société sont plus fragiles. Les communautés d’appartenance n’apportent plus la protection dont ont besoin les individus et les institutions visant à pallier les effets négatifs de l’individualisme sont en crise.
I. Des liens fragilisés par l’individualisme
1) Une atomisation de la société…
Dans les sociétés marquées par le développement de la solidarité organique et l’affaiblissement de la solidarité mécanique, la cohésion sociale peut être mise en difficulté selon Émile Durkheim. On observe alors des pathologies qui mettent en cause la solidarité et les liens sociaux entre les individus.
Durkheim évoque en particulier deux types de suicide dans l’étude qu’il mène en 1897, qui sont des signes d’un défaut de solidarité : les « suicides égoïstes » résultent d’un défaut d’intégration à la société, tandis que les « suicides anomiques » sont liés à un manque de règles et de repères pour orienter les comportements, situation qu’il qualifie d’anomie.
2) … qui fragilise l’intégration sociale
L’affaiblissement des solidarités traditionnelles de proximité conduit les individus à se détacher des collectifs d’appartenance (le village, la communauté religieuse, la corporation professionnelle…). S’ils gagnent en autonomie et en libre choix de leur destin, les individus perdent en sécurité et en protection.
Si l’institution familiale reste un collectif d’ancrage important pour les individus, les transformations qui la touchent depuis les années 1970 fragilisent son rôle protecteur. La rupture des liens familiaux est souvent un élément décisif dans le processus d’exclusion sociale.
II. Les transformations de la société salariale
1) Un affaiblissement des protections juridiques et sociales
Mot clé
On appelle État-providence l’ensemble des institutions qui visent à établir une protection sociale pour protéger les individus des risques sociaux (maladie, chômage, vieillesse…).
Robert Castel (1933-2013) met en évidence le processus de désaffiliation qui touche une partie de la société à partir des années 1980, c’est-à-dire la rupture progressive des liens sociaux par perte des protections attachées au statut du salarié qui se sont construites avec l’État-providence et l’avènement des droits sociaux.
Cette rupture commence souvent par l’enchaînement d’emplois précaires, c’est-à-dire de contrats de travail de courte durée alternant avec des périodes de chômage, puis se poursuit avec la perte durable d’emploi et un chômage de longue durée. Cette situation conduit à la disparition des protections, des droits sociaux et des revenus stables attachés à l’emploi. Le processus mène à la rupture des liens familiaux et amicaux, facteur d’isolement relationnel.
2) Un processus d’exclusion
Serge Paugam évoque un processus d’affaiblissement ou de rupture des liens sociaux par la perte des protections et des reconnaissances qui lient l’individu à la société. Il distingue trois phases dans le processus de disqualification sociale qui conduisent de la fragilité sociale d’un individu à sa dépendance à un système d’assistance et à la rupture qui le marginalise au sein de la société.
La pauvreté joue un rôle important dans ce processus. Les revenus insuffisants (pauvreté monétaire) ne permettent plus à l’individu de faire face à ses besoins de base (s’alimenter, se soigner, se loger…), l’excluent de la société de consommation, et conduisent à une pauvreté en conditions de vie.
ZoomLa rupture des liens sociaux
Types de lien
Déficit de protection
Déni de reconnaissance
Lien de filiation
Impossibilité de compter sur sa famille en cas de difficulté
Sentiment de ne pas compter pour sa famille
Lien de participation élective
Isolement relationnel
Rejet par les pairs
Lien de participation organique
Perte des droits et protections garantis par l’emploi
Sentiment d’inutilité
Lien de citoyenneté
Éloignement des institutions (école, santé, administrations…)
Sentiment de ne pas être représenté ni considéré, désintérêt à l’égard des institutions politiques
Source : d’après Serge Paugam, Le Lien social, op. cit.
Pour chacun des types de lien social, Serge Paugam montre en quoi leur rupture s’explique par deux catégories de critères (protection/reconnaissance) :
- dans le cas d’un déficit de protection, l’individu ne peut plus « compter sur » sa famille, ses collègues, les institutions…
- dans le cas d’un déficit de reconnaissance, il ne « compte » plus pour son entourage et les institutions de la société, ou se considère comme tel.
Pour chacun des types de lien social, Serge Paugam montre en quoi leur rupture s’explique par deux catégories de critères (protection/reconnaissance) :
- dans le cas d’un déficit de protection, l’individu ne peut plus « compter sur » sa famille, ses collègues, les institutions…
- dans le cas d’un déficit de reconnaissance, il ne « compte » plus pour son entourage et les institutions de la société, ou se considère comme tel.