Légende de la leçon
Vert : définition
I. De l’instrument à l’outil
Le premier objet technique, celui qui nous paraît le plus simple et le plus directement accessible à concevoir, c’est l’outil. Nous pouvons définir ce dernier comme un instrument artificiel produit par l’homme et qui lui permet d’accroître l’efficacité de son travail. Ainsi, l’homme a commencé par se servir d’instruments, tels qu’une pierre tranchante trouvée dans la nature, puis s’est mis à fabriquer des outils, comme la scie, qui permet au menuisier de couper une planche de bois avec bien plus d’efficacité et de précision.
Le passage de l’instrument à l’outil est donc celui du naturel à l’artificiel, parce que l’instrument (la pierre) retourne après utilisation à son état naturel, perd sa fonction. Au contraire, l’outil est artificiel, donc fabriqué en vue d’une fin, et l’élaboration et la fabrication d’outils relèvent elles-mêmes d’un geste technique. L’outil est donc la première étape dans l’artificialisation de l’être humain et de son rapport au monde. Mais l’utilisation d’outils n’est-elle pas alors déjà une forme de dénaturalisation pour l’homme ?
II. L’outil : le prolongement de la main
En fait, paradoxalement, l’outil, objet artificiel, qui diversifie et accroît les forces de l’homme, n’a pas véritablement été pensé comme un corps étranger, parce qu’à la suite d’Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.), il est considéré comme un prolongement de la main, elle-même qualifiée d’outil. Ainsi, Aristote, dans Les Parties des animaux, explique que c’est parce que l’homme est un animal intelligent, qu’il possède la main. La nature ayant bien fait les choses, aucun être vivant ne se voit doté d’attributs qu’il ne saurait employer à bon escient, et l’homme étant le plus intelligent des animaux, il dispose de l’organe le plus polyvalent. Allant à l’encontre de l’idée selon laquelle l’homme est le moins bien pourvu des animaux, et que le recours à la technique serait la marque de sa faiblesse, Aristote montre que la polyvalence de l’instrument qu’est la main témoigne de sa supériorité. La main, organe naturel, est déjà qualifiée d’outil : par extension, l’outil va donc être naturalisé, parce qu’il est vu comme le prolongement de la main-instrument, presque comme un organe externe et amovible.
Citation
« C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné de loin l’outil le plus utile, la main. »
III. La transformation technique des sociétés humaines
L’outil est donc à la fois le signe de l’intelligence humaine, mais aussi l’endroit où elle est mise en œuvre. Au moment de sa conception, de sa fabrication et de son usage premier, il semble bien être maîtrisé par l’homme, parce que c’est ce dernier qui définit la fin de l’outil, ce pourquoi il est fait. Cependant, au-delà du moment de l’innovation, l’invention d’outils techniques, de plus en plus complexes, dessine et oriente l’évolution des sociétés humaines.
Pour Henri Bergson (1859-1941), la caractéristique première de l’homme n’est pas de savoir, mais de fabriquer des outils. Il affirme ainsi que si nous regardions la trajectoire des différentes civilisations humaines, nous remarquerions que le point commun à toutes est la maîtrise et la diversification techniques. Bien plus que comme un Homo sapiens, il définit l’homme comme Homo faber (« homme artisan »).
Mais Bergson remarque aussi que nous avons tendance, quand nous considérons les civilisations passées, à les classer et les hiérarchiser selon des innovations techniques : ainsi, il prévoit que les grandes inventions de notre temps (comme la machine à vapeur) constitueront un jour les caractères essentiels de l’époque, comme les historiens ont identifié des âges « du bronze ou de la pierre taillée. »
Focus
Bergson explique ce fait non seulement parce que ces innovations seraient des repères facilement identifiables pour distinguer des périodes de l’histoire humaine, mais surtout parce que leur invention oriente le développement de ces sociétés et des hommes qui y vivent : « les inventions qui jalonnent la route du progrès en ont aussi tracé la direction. » Nous aurions une forme d’illusion sur la neutralité du progrès technique et de ses répercussions, car nous ne nous rendrions compte des modifications que les innovations techniques apportent, à la fois pour l’homme et pour les sociétés humaines, qu’après-coup, « à retardement ».