Le livre XI « De l’Homme » de l'œuvre Les Caractères (1688) de La Bruyère, s'inscrit dans le parcous du programme de première technologique « Peindre les hommes, examiner la nature humaine ».
I. L'auteur et les contextes historique et culturel
1) Éléments de biographie
Jean de la Bruyère est né le 17 août 1645 dans l’île de la Cité à Paris et dans un milieu aisé. Son père était contrôleur général des rentes de l’hôtel de ville, ce qui est une charge très lucrative.
Il passe une licence de droit à Orléans où il s’inscrit au barreau. Jouissant par ailleurs de rentes confortables, il mène grand train (une vie avec beaucoup de dépenses) : domesticité, luxe, carrosses, mondanités, etc. Dès 1677, il commence la rédaction de son œuvre Les Caractères. Mais, il instruit également un grand nombre de dossiers et plaide devant les juridictions. Au bout de huit ans, il quitte ses fonctions d’avocat pour acheter une charge de trésorier général de finances de Caen. Puis, il essuie des revers de fortune et connaît même la pauvreté.
En 1680, il rencontre l’influent Bossuet, évêque de Meaux, très proche des grandes familles de France. Ainsi, grâce à Bossuet, en 1684 il obtient une position de précepteur du petit fils du Grand Condé : La Bruyère est donc chargé d’instruire et d’éclairer un jeune esprit aristocratique d’une grande famille du royaume. L’élève et son père sont hautains : le premier est un petit tyran domestique, qui trouve à redire sur tout, querelle ses domestiques lesquels lui vouent une franche haine en retour ; l’élève a plus d’esprit que son père et met ce surplus d’intelligence au service d’une plus grande perversité envers ses professeurs allant jusqu’à les frapper. La Bruyère subit beaucoup d’humiliations.
Les années passent et, en 1686, il devient chargé de la bibliothèque de Chantilly. En 1687, après dix ans d’écriture, il finit Les Caractères qu’il publie l’année suivante. Le succès est immédiat. Tous les exemplaires sont vendus, tout le monde en parle. L’éditeur lance deux nouveaux tirages la même année. Puis, tous les ans, une nouvelle édition, augmentée de nouveaux textes, est publiée.
Dans la querelle littéraire appelée la « querelle des Anciens et des Modernes », il est du côté des Anciens (admiration, imitation face à l'héritage littéraire de l'Antiquité) ce qui lui vaut l’inimitié de Fontenelle, qui retarde son entrée à l’Académie française. Après avoir été refusé cinq fois, malgré ses nombreuses relations influentes et ses manœuvres, en 1693 La Bruyère devient enfin membre de l’Académie française. En 1696, il meurt d’une crise cardiaque : il restera l’homme d’un seul livre.
2) Contexte culturel
En 1688, la cour de Louis XIV est à Versailles : Louis XIV musèle les grands nobles à sa cour. Les protestants, quant à eux, sont persécutés et les inégalités sont très fortes. La société est divisée en trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état.
II. Titre
Le titre fait clairement référence au livre de Théophraste, écrivain grec du IIIe siècle avant J.-C., dont le titre est similaire. Ce petit ouvrage antique est un catalogue descriptif des types moraux et des types de caractères psychologiques : le menteur, le grand parleur, l’avare, le stupide, etc. Mais, pour son auteur, ce livre n’avait aucune valeur littéraire. L’originalité et la force de La Bruyère est d’avoir érigé le portrait psychologique en œuvre littéraire comme La Fontaine a rendu littéraire le genre des fables. Le titre complet donné par la Bruyère est Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. L’auteur nous indique distinctement qu’il a écrit son livre en observant les comportements (mœurs) de ses contemporains.
III. Structure et résumé de l'œuvre
Les Caractères est une œuvre comptant 16 livres (ou chapitres) qui abordent tous un aspect de la société. Chaque livre comporte des portraits, des réflexions (La Bruyère les appelle des « remarques ») et des maximes.
Livre XI « De l’Homme » : Après avoir examiné les courtisans, les grands, les puissants dans les chapitres précédents, La Bruyère développe un livre intitulé « De l’Homme ». Vanité, méchanceté envers son prochain, inconstance, hypocrisie, ambition, jalousie, égoïsme et futilité sont quelques-uns des défauts de l’homme. Le moraliste s’intéresse aux différentes étapes de la vie humaine : « Il n’y a pour l’homme que trois évènements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre » (48) L’homme est un loup pour son prochain et un pantin soumis aux modes et aux puissants.
IV. Le parcours : « Peindre les hommes, examiner la nature humaine »
La Bruyère est un grand moraliste du classicisme propre au XVIIe siècle, après Pascal, La Rochefoucauld et La Fontaine. Il prend le parti des Anciens contre les Modernes et affiche sa volonté délibérée de perpétuer et d’enrichir l’héritage littéraire antique. Alors qu’il est au service du duc de Condé, il décide d’observer et de dépeindre le portrait des gens qui l’entourent en leur donnant un caractère universel. La Bruyère brosse des portraits brefs et vivants avec pour projet d’instruire et de plaire à la manière des classiques. Le portrait est un genre pictural à la mode au XVIIe. On tirera toutes les comparaisons possibles du genre littéraire et du genre pictural.
V. Caractéristiques des portraits de la Bruyère
- Le genre littéraire court et autonome (narratif/descriptif) ;
- La description morale et physique. C'est une description souvent en mouvement : on voit le personnage réaliser et faire des choses (beaucoup de verbes d'action) ;
- Les portraits sont des caricatures qui peignent à grands traits des types universels comme l'avare, le riche, l'égoïste, le maladroit, le distrait, etc. La plupart du temps, les portraits sont satiriques : ils blâment un défaut humain ;
- L'argumentation indirecte (par le biais d’une petite fiction) ;
- Les registres comique et satirique sont souvent à l’œuvre ;
- L'accumulation de traits, de détails à la manière d'un peintre, par petites touches. (Gardons à l'esprit que le portrait est aussi un genre pictural très en vogue au XVIIe.) Il y a aussi l'accumulation d'adjectifs et de verbes d'action ;
- Le lexique dévalorisant, l'hyperbole, l'exagération, l'ironie, l'antithèse, la métaphore animale ;
- La critique des puissants ;
- Le présent de vérité générale et axiomatique ;
- La morale, implicite le plus souvent. Le portrait du personnage ridiculise le défaut ;
- La chute : parfois la dernière phrase donne la clé interprétative
VI. Caractéristiques des maximes
C'est un art rhétorique de la brièveté, de l’antithèse et du paradoxe. Le terme de « maxime » vient de la forme latine maxima (sententia), littéralement la « sentence la plus grande, la plus générale ». Elle est de forme brève, comme l'aphorisme, la pensée ou le proverbe, et tient du discours universel à propos de l'homme. François de La Rochefoucauld a écrit Réflexions ou sentences et maximes morales en 1665 : c'est un discours sur les vices et les défauts de l’homme, sur les aspects négatifs de la nature humaine.
La maxime est un genre littéraire, une forme condensée qui met en valeur un trait d’esprit, une formule rhétorique forte. La maxime est un jugement très général, une assertion péremptoire : la brièveté de l'énoncé doit en favoriser la mémorisation, mais également frapper l'esprit par une tournure forte. Le goût pour la maxime tient aussi à l’usage qui peut en être fait dans la conversation, dans les salons mondains et littéraires dont la pratique se développe : en effet, la maxime se médite, se lit et se relit, et s’assène en public, c’est une arme qui donne de la répartie.
VII. Thèmes et mots-clés
- Classicisme : le mot désigne l’ensemble de la production littéraire et artistique qui coïncide avec le règne de Louis XIV dans laquelle nous trouvons des références aux auteurs antiques, des caractères d’ordre, d’équilibre et de clarté alliés à des codifications esthétiques et morales. Le goût des règles et du travail doit produire des œuvres susceptibles de plaire et d’instruire le lecteur (placere et docere).
- L'honnête homme : qui est civil, sincère, courtois, poli, modéré. Cet idéal littéraire coïncide avec un idéal humain de mesure et d'équilibre. Les portraits de La Bruyère peignent des hommes grossiers, vulgaires, imbus d'eux-mêmes qui se comportent mal en société et, parce qu'ils sont puissants, se croient tout permis : Giton, Arias, Gnathon. Une fable de La Fontaine, intitulée « Rien de trop », illustre bien ce précepte. Molière fait dire à Philinte dans « Le Misanthrope » : « La parfaite raison fuit toute extrémité, [...] » Ainsi, les Classiques condamnent toute forme d'excès.