Le roman : caractéristiques
Le genre du roman est ancien. La Princesse de Clèves (1678) de Madame de Lafayette ou Manon Lescaut (1731) de l’Abbé Prévost ont laissé une empreinte durable ; ils posent les bases nouvelles d’une écriture différente.
Si le XVIIIe siècle se tourne davantage vers l’essai philosophique, certains auteurs comme Denis Diderot proposent une écriture différente avec par exemple Jacques le Fataliste (paru en 1796). Si l’œuvre peut paraître décousue avec des personnages secondaires nombreux, ce sont malgré tout ses idées qu’il cherche à transmettre. Diderot aurait inventé le roman réaliste en montrant une forme de réalité.
Il poursuit le même objectif que les écrivains du mouvement réaliste qui connaît son épanouissement avec Balzac, Stendhal ou Flaubert entre autres, en cherchant à décrire le réel qu’il ne faut pas confondre avec la réalité. À travers sa lecture, le lecteur identifie rapidement la situation, le cadre, l’ambiance… sans que ceux-ci correspondent à une réalité unique observée. C’est donc grâce à la collection minutieuse d’informations ou d’observations multiples que l’écrivain restitue le réel.
Les procédés narratifs du roman
Le roman, comme tout genre littéraire, dispose de plusieurs ressources afin d’intéresser son lecteur et de le tenir en haleine.
A) Le schéma narratif
Le procédé traditionnel est le recours au schéma narratif pour raconter l’histoire. Celui-ci peut être comparé à un plan destiné à mettre en cohérence les différents éléments de l’histoire. Il se décompose en plusieurs étapes :
la situation initiale, c’est-à-dire la situation au moment où le lecteur entre dans l’histoire. Elle est contenue dans l’incipit qui présente les personnages principaux, le cadre spatio-temporel, le thème de l’ouvrage et les prémices de l’histoire ;
l’apparition d’un élément perturbateur qui vient troubler l’ordre des choses installé ;
les péripéties qui sont tous les évènements que déclenche l’introduction de l’élément perturbateur. Ces péripéties montent en puissance puis redescendent, ce qui permet au lecteur de comprendre que le problème pourra être résolu ;
la résolution (ou dénouement) : c’est le dernier évènement qui va finalement apporter la solution ;
la situation finale : elle marque soit un retour à la situation initiale, soit une nouvelle situation issue de ce qui précède ; elle peut être heureuse ou malheureuse. Certains auteurs se plaisent à ne pas donner de situation finale qui reste alors ouverte à toutes les suggestions et à toutes les hypothèses de la part du lecteur. Dans les romans importants, on l’appelle aussi excipit.
À savoir
Ce procédé appartient à tous les genres romanesques ; quelle que soit l’œuvre, il s’agit toujours pour l’auteur de définir ses personnages, de dessiner la trame de l’histoire et d’en imaginer la fin.
B) La focalisation
On appelle focalisation l’angle sous lequel le narrateur aborde son récit : trois points de vue peuvent être abordés.
Le point de vue externe : c’est la neutralité dans la description, dans l’explication ou la narration.
Exemple
« Il avait beaucoup plu ; maintenant, les rues pavées et mouillées luisaient sous le soleil qui apparaissait. » La description est factuelle.
Le point de vue interne : le narrateur se met à la place du personnage qui interprète une situation. Le point de vue interne permet aussi indirectement à l’auteur de donner sa perception des sentiments de son personnage
Exemple
« Dans le vestibule, il y avait quatre portes ; il se sentit soudain inquiet, il soupçonna que chacune d’entre elles devait desservir les pièces de réception » : nous sommes dans la tête du personnage et percevons ses pensées, ce que nous indique le terme « soupçonna ». Enfin ses émotions sont montrées avec les termes « il se sentit inquiet ».
Le point de vue omniscient : le narrateur montre qu’il connaît la suite de l’histoire et en révèle une partie au lecteur.
Exemple
« Il regarda le vaste champ où jouait une ribambelle d’enfants, en pleine nature. Il ne se doutait pas alors que quarante ans plus tard, il contemplerait le même paysage, où seul désormais, manqueraient les enfants qui seraient pour la plupart partis tenter leur chance à la ville. » Différents indices montrent le point de vue omniscient. Le narrateur projette le lecteur plusieurs années après (« quarante ans après ») le promeneur est désormais seul, et le devenir des enfants est évoqué (« partis tenter leur chance à la ville »).
Victor Hugo et son œuvre
Né en 1802, Victor Hugo meurt en 1885. Ses obsèques sont nationales, ce qui est une preuve de la reconnaissance de la nation du génie de l’auteur. Fils d’un général de Napoléon, Victor Hugo a gardé toute sa vie une réelle admiration pour l’empereur. Élève brillant, il compose ses premiers poèmes pendant sa scolarité et son talent est assez vite reconnu. Très vite donc, Victor Hugo connaît un succès qui ne se dément pas tout au long de sa carrière. L’auteur devient le chef de file du mouvement romantique.
A) Le romancier
C’est un autre genre littéraire auquel s’attaque l’écrivain. Ses romans trouvent leur inspiration dans l’histoire. C’est le cas par exemple de Notre-Dame de Paris qui place son action dans le Paris du XVe siècle et la célèbre Cour des miracles.
Mais Victor Hugo est aussi un spectateur engagé de son époque, comme le montrent ses romans tels que Claude Gueux, qui dénonce une justice à plusieurs vitesses, ou Les Misérables, fresque sociale et politique de son époque.
B) L’homme engagé
Toute sa vie, Victor Hugo s’est engagé dans la vie politique de la France mais aussi dans la vie sociale du pays, en dénonçant la misère, le travail des enfants, la peine de mort…
Son opposition politique à Napoléon III le conduit à l’exil dans les îles anglo-normandes. Il faut rappeler qu’Hugo, fervent admirateur de l’œuvre de Napoléon Ier, s’oppose à celui qui deviendra l’empereur Napoléon III, lui reprochant d’avoir abandonné les idéaux républicains et démocratiques après son coup d’État en 1851, alors qu’il était président de la Seconde République depuis 1848. L’opposition de Victor Hugo à l’empereur se marque par la parution de pamphlets, de textes critiques…
Les Misérables, la fresque d'une époque
Ce roman est la fresque d’une époque. En observateur de la société, Hugo non seulement la décrit mais l’utilise comme un instrument de dénonciation politique et sociale, et y développe à travers le personnage de Jean Valjean sa vision humaniste de l’homme et des voies de la rédemption.
A
) Un roman social et politique
Les Misérables est une description de la société dans laquelle vit Victor Hugo avec :
une dénonciation de la misère et de son engrenage avec l’itinéraire de Fantine, la mère de Cosette ;
une plongée dans la pauvreté et l’exode rural, avec les Thénardier ;
une dénonciation politique, dans laquelle le romancier montre ses aspirations républicaines ;
mais aussi une dimension métaphysique et chrétienne dans la rédemption de Jean Valjean.
B Un roman épique
Les Misérables comporte des fresques épiques qui tiennent en haleine le lecteur. De grands passages le plongent dans cet univers : qu’il s’agisse de la description de la bataille de Waterloo ou de l’épisode des barricades de l’émeute de 1832 qui entraîne la mort de Gavroche, ou encore de la fuite par les égouts de Paris, pour sauver Marius, le fiancé de Cosette, la fille adoptive de Jean Valjean.
Le registre épique s’inscrit donc dans la continuité de la tradition antique où l’on racontait les actions des héros. Cela permet à l’auteur de faire comprendre les buts du héros et de justifier ses actes. Le registre épique permet ainsi de mettre en valeur :
les qualités héroïques d’un personnage ;
les enjeux essentiels et parfois vitaux auxquels il est confronté ;
la dimension dramatique de la situation.
Le registre épique fait appel à de nombreuses figures de style qui suscitent et stimulent l’imagination, parmi lesquelles on peut citer :
la comparaison qui met deux éléments sur le même plan grâce à un outil de comparaison (comme, tel que…). Exemple : « Il est rouge comme une tomate ». La métaphore reprend la même logique mais sans utiliser d’outil de comparaison ;
la personnification qui consiste dans l’attribution de comportements humains à un animal, un objet, voire un phénomène ou une idée. Exemple : « La rue assourdissante autour de moi hurlait » (« À une passante », Baudelaire) ;
la métonymie, qui associe un tout à une partie de celui-ci. Exemple : « dévorer son assiette ». Ce n’est pas l’objet que l’on dévore, mais son contenu ;
la synecdoque, qui est l’évocation d’une partie de l’objet pour désigner cet objet. Exemple : « il regardait les voiles s’éloigner », c’est-à-dire les bateaux ;
l’hyperbole, figure élogieuse ou péjorative qui crée une impression d’exagération. Exemple : « C’est divin » ;
la gradation qui fait monter en puissance une impression, un sentiment. Exemple : « Va, cours, vole… ».
C L’histoire et les personnages
Jean Valjean, accusé d’avoir volé du pain, a été condamné par la justice et envoyé au bagne. Errant et sans ressource, il est accueilli par l’évêque de Digne, qui lui offre le gîte et le couvert. Dans la nuit, Jean Valjean lui dérobe quelques pièces d’argenterie. De nouveau arrêté par les gendarmes en possession de ces pièces, il est cependant disculpé par l’évêque qui affirme lui avoir donné ces objets.
Touché par la bonté et la générosité de cet homme, Jean Valjean rentre dans le droit chemin et devient honnête : il change d’identité, s’installe dans le Nord de la France et devient riche tout en venant en aide aux plus démunis. Mais il est poursuivi par un ennemi implacable, l’inspecteur Javert.
Jean Valjean recueille une petite fille, Cosette, mise en pension chez les Thénardier, aubergistes, qui la maltraitent. Sa mère, Fantine, s’est tuée au travail pour connaître bientôt une déchéance inexorable, afin de payer la pension de sa fille. Cosette devient la raison de vivre de Jean Valjean qui la traite comme sa propre fille. Celle-ci tombe amoureuse d’un jeune homme de bonne famille, Marius.
Toujours harcelé par le policier Javert, Jean Valjean lui sauve la vie lorsque survient l’épisode des barricades en 1832. Il le laisse s’échapper alors que la foule réclame sa mort, et sauve la vie de Marius après une redoutable traversée des égouts de Paris. Le jeune homme, ignorant qu’il doit la vie à Jean Valjean, et ayant découvert l’histoire de l’ancien forçat, n’a de cesse, dans un premier temps, d’éloigner la jeune fille de son père adoptif.
Javert ne pourra se résigner à arrêter l’homme qui lui a sauvé la vie : déchiré par le remords de ne pas avoir accompli malgré tout son devoir de policier, il se suicide. Marius qui, depuis, a appris la véritable histoire, revient vers Jean Valjean avec Cosette. Jean Valjean meurt heureux, presque comme un saint.
Le personnage de Jean Valjean
Ce personnage porte non seulement le roman mais aussi les valeurs que défend Victor Hugo. La dimension sociale du roman regroupe plusieurs aspects.
A) La pauvreté et le déclassement
Ces deux idées sont évoquées à travers les personnages de Jean Valjean, de la mère de Cosette et de la famille Thénardier. La mère de Cosette, Fantine, est pauvre mais digne : elle cherche à assurer le bien-être de sa fille et fait confiance à la famille à qui elle a confié l’enfant. Cependant, la perte de son travail la conduit, malgré tous ses efforts, à la misère et à la prostitution ; l’épuisement et la maladie ont bientôt raison d’elle. À travers le personnage de Cosette, Victor Hugo met aussi en lumière l’exploitation des enfants.
Après la faillite de leur auberge, les Thénardier, quittent leur village et essayent de reconstruire leur vie à Paris. À travers le personnage de Gavroche, leur fils, et sa mort sur les barricades, ils sont à la fois le symbole du déclassement social et de l’injustice d’une société qui ne s’occupe pas du sort des plus pauvres. À l’époque, le progrès technique, notamment dans l’agriculture, et la pauvreté qui en découle, entraînent l’exode rural vers les villes où tout un monde de démunis et de pauvres va s’agréger.
Enfin, l’histoire même de Jean Valjean fait prendre conscience à la société du sort des plus démunis. Son histoire débute par la condamnation au bagne d’un homme qui n’a aucune raison de devenir un délinquant ou un assassin, pour le vol d’une miche de pain. Il s’agit donc de la dénonciation de la misère et de celle d’une justice qui s’occupe moins de la réhabilitation et du droit à l’oubli que de mettre à l’abri la société de ce monde misérable. On retrouve cette idée dans Claude Gueux, que la prison, pour les mêmes raisons, conduit au meurtre. À travers ces personnages, le romancier met aussi en évidence l’absence d’éducation qui prive les plus pauvres d’une possibilité d’ascension sociale. « Ouvrez une école et vous fermerez une prison » écrivait-il.
B) L’engagement politique
Victor Hugo a toujours été engagé dans les combats politiques. La participation de son héros à l’émeute de 1832 montre aussi son aspiration à une société démocratique.
Gavroche est un garçon élevé dans la rue et par la rue. Il porte en lui la revendication d’une vie meilleure : c’est à la fois un personnage sombre par son histoire, mais qui apparaît lumineux dans sa participation à l’insurrection ; il incarne, tout comme Marius, une jeunesse à la recherche d’une forme démocratique et libre de son expression qui tend à disparaître depuis le retour des rois après la chute de Napoléon Ier. Victor Hugo s’appuie sur une page historique pour faire valoir ses aspirations politiques. Mais à la différence de Marius, qui vient d’une famille bourgeoise, le jeune garçon représente la pauvreté et la fermeture de toute perspective sociale. C’est donc étrangement deux mondes qui se croisent mais qui ne se retrouvent pas dans les mêmes désirs.
C) L’affirmation chrétienne
L’écriture est un moyen d’affirmer le rôle du romancier, c’est un auteur chrétien qui souhaite délivrer un message aux autres hommes : le chemin vers le salut ou la rédemption. Le romancier transmet des valeurs. Le personnage du héros montre que, à travers l’ensemble de ses écrits, l’auteur peut faire passer son message. L’essentiel de l’œuvre de Hugo reste orienté vers une forme de message messianique : pour lui, l’être humain, est perfectible et il peut devenir meilleur à condition qu’on lui en donne la possibilité.
Jean Valjean est ainsi sauvé par un homme et son geste charitable, fondé sur la générosité et le pardon : celui de l’évêque de Digne qui lui permet de commencer une nouvelle vie. Mais ce sont aussi ses actions individuelles qui le grandissent et qui le font progresser. Jean Valjean recueille Cosette, il sauve la vie de son ennemi, il se dénonce pour qu’un homme ne soit pas injustement condamné… Celles-ci reposent sur un choix personnel, car rien ne l’obligeait à se mettre en « danger ». Celui que la société rejetait et à qui elle ne laissait aucune chance, retrouve ses qualités et ses vertus humaines et même au-delà