L'itinéraire d'un antihéros de roman

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Le discours romanesque

Comme dans d’autres formes de récit (la tragédie, la comédie, la poésie), le roman peut utiliser plusieurs types de discours.

A) Le discours direct

Le discours direct permet de rapporter fidèlement les paroles lorsqu’elles ont été prononcées. Il peut prendre différentes formes (dialogue ou monologue) selon ce que le narrateur souhaite faire dire ou penser à ses personnages. Le discours direct est introduit par une ponctuation spécifique, les « » qui suivent des verbes de paroles, par exemple répondre, déclarer… Les temps utilisés sont avant tout les temps de l’indicatif (mode qui ancre les faits dans le réel).

B) Le discours indirect

Grâce au discours indirect, des paroles ou des pensées sont rapportées par la personne qui a vécu l’évènement ou par un tiers. Le discours indirect est plus nuancé car les paroles rapportées peuvent être sélectionnées en fonction par exemple de ce qui est sur le moment considéré comme le plus marquant. Comme le discours direct, le discours indirect possède des caractéristiques particulières : les guillemets et les verbes introducteurs disparaissent ; les informations sont délivrées grâce à aux verbes de paroles suivis d’une conjonction de subordination (le plus souvent « que ») ou d’un pronom ou d’un adverbe interrogatif.

Exemple

« Il m’a dit qu’il ne viendrait pas à la soirée de dimanche. » Ce qui est rapporté est la seule chose considérée comme intéressante ou pertinente.

« Il m’a dit qu’il ne viendrait pas à la soirée dimanche car il sera en province » ; ce qui est retenu ici est la cause de l’absence.

La façon d’indiquer le temps change par rapport au discours direct. Ainsi : « demain » devient « le lendemain », « après-demain » devient « le surlendemain », « hier » devient « la veille »…

La conjugaison suit la règle de la concordance des temps :

le présent se transforme en imparfait : « Il m’a dit : Je viens te voir » devient « Il m’a dit qu’il venait me voir » ;

l’imparfait passe au plus-que-parfait : « Il m’a dit : Je voulais te faire une surprise » devient « Il m’a dit qu’il avait voulu me faire une surprise » ;

le futur simple devient du conditionnel présent : « Il m’a dit : Je viendrai te voir ce soir » devient « Il m’a dit qu’il viendrait me voir dans la soirée » ;

le passé composé se transforme en plus-que-parfait : « Il m’a dit : Ce matin, je suis allé au marché » devient « Il m’a dit que le matin même, il était allé au marché ».

C) Le discours indirect libre

Le discours indirect libre est une association du discours direct et du discours indirect. L’avantage est de faire un texte vivant tout en gardant une forme de distance de la part du narrateur. Il n’est pas soumis au verbe de paroles. Tous les types de phrases peuvent être utilisés (interrogatives, exclamatives, affirmatives…).

Exemple

« Elle me raconta sa vie pendant que durait le voyage ; elle avait quitté l’école fort jeune et s’était embauchée comme domestique à la ville ; c’est là qu’elle avait rencontré son mari. »

L’usage du pronom personnel « elle » met une distance entre le narrateur et le personnage ; cependant le sentiment d’entendre le personnage parler reste très fort ; on ne retrouve ni les formes du discours direct ni celle du discours indirect. Cette façon de raconter fait gagner en puissance un récit désormais débarrassé des lourdeurs du discours indirect et de la brutale franchise du discours direct.

D) Le discours narrativisé

Le discours narrativisé travaille davantage sur la suggestion de ce qui pourrait être dit plutôt que ce qui est réellement dit. Bien souvent, il s’accorde avec le temps du récit choisi. Par exemple : « C’est avec courtoisie que sa future belle-famille le reçut ; si ses futurs beaux-parents lui posèrent quelques questions de convenance, ses réponses banales et neutres visiblement ne les intéressèrent pas. » Ce type de discours a plusieurs fonctions :

ne pas faire perdre de temps au lecteur sur un moment anecdotique de l’histoire ;

restituer mieux qu’un dialogue et parfois d’une façon plus concise une ambiance (gaie, froide, tendue…).

Stendhal et son œuvre

A) L’auteur

Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle, naît à Grenoble en 1783. Son enfance, passée entre une tante, un père avec qui il ne s’entend pas et un précepteur tyrannique, abbé de son état, est peu heureuse. Très vite, il cherche à s’en affranchir, notamment en partant à Paris. L’influence de son grand-père lui donne le goût des grands auteurs du XVIIIe siècle et de leurs idées. Rêvant d’une vie aventureuse, il devient militaire. Pendant quelques années, il fait des allées et retours dans l’armée où il n’a pas le sentiment de réaliser ses aspirations. Par ailleurs, il est taraudé par son goût de la littérature, du théâtre et des idées nouvelles de l’époque, notamment sur la psychologie humaine. Cependant, ayant réintégré l’armée quelques années plus tard, il rencontre Napoléon pour qui il se découvre une véritable admiration. À la chute de l’empire, sa vie se partage entre l’Italie, où il exerce les fonctions de consul, et la France. Il meurt jeune, à l’âge de 55 ans (1842).

B) Le style de Stendhal

Stendhal occupe une place particulière dans la littérature. Toute sa vie, ainsi qu’il le dit lui-même, Stendhal fait « la chasse au bonheur ». Ce goût se retrouve dans ses personnages qui cherchent le plaisir et le bonheur quels que soient les moyens utilisés pour y parvenir et ses personnages sympathiques, attachants ou non sont une sorte de prolongation de lui-même.

Son œuvre présente trois caractéristiques fortes :

le mouvement romantique le séduit par ses idées et ses élans, mais il s’en méfie dans l’écriture : il n’aime ni les discours bavards ni les longs épanchements littéraires. C’est pourquoi, s’il fait vivre à ses personnages de véritables aventures parfois placées sous le signe du récit épique, il reste néanmoins vigilant dans sa manière de les restituer. Son style est marqué par le contrôle de son écriture et par l’observation. C’est donc toujours une écriture pesée et ajustée qu’il livre à ses lecteurs ;

ses récits se fondent sur l’observation rigoureuse, dans ce même but de ne jamais tolérer aucun débordement. Les descriptions de l’amour ne font pas exception. C’est pourquoi, il se qualifie lui-même de « romanticiste » contraction des termes romantisme et réalisme. L’auteur analyse également la société : Le Rouge et le Noir porte un sous-titre, Chronique de 1830. Il souhaite donc y restituer l’ambiance sociale de la bonne société de province en ce début de siècle et faire un tableau de la vie politique de l’époque. La Chartreuse de Parme, renvoie le lecteur à la vie des petites cours italiennes, pays qui n’a pas encore réalisé son unification et qui est morcelé en duchés, principautés, villes libres… ;

une omniprésence de l’auteur, toujours présent dans le récit et qui ne se laisse pas oublier en donnant son avis ou en avançant une remarque sur les personnages. Cette distanciation donne un ton particulier à l’œuvre et fait mieux comprendre son ambition de créer des personnages qui le fascinent ou dont il aurait aimé avoir la vie et la distance qu’il met par rapport à eux dans son écriture.

Remarque

Stendhal trouve ses sources d’inspiration dans des faits réels qu’il enrichit au gré de son imagination mais qui donnent le point de départ de son histoire. Ainsi, le sujet de son roman Le Rouge et le Noir s’inspire d’un fait divers réel.

Les personnages du roman Le Rouge et le Noir

A) Le roman

Le Rouge et le Noir paraît en 1830 et s’inspire d’un fait réel : l’ambition d’un jeune homme d’origine modeste et sa soif de réussite le conduisent à séduire deux femmes qui s’éprendront de lui.

Julien Sorel est un jeune homme de province instruit par le vicaire de son village qui avait remarqué ses qualités et son intelligence ; bien que son père, qui possède une petite entreprise de bois, désapprouve cette instruction qui selon lui ne mènera son fils à rien, Julien, grâce à l’abbé, tente de tracer son chemin en devenant le précepteur des enfants d’un couple de notables d’une petite ville de province, Verrières, les Rénal. Une relation amoureuse s’installe bientôt entre Julien et Madame de Rénal au point que le scandale éclate au grand jour. Julien est contraint de quitter la ville. Après avoir passé quelque temps au séminaire, il est engagé comme secrétaire particulier par le marquis de la Mole ; celui-ci a une fille, Mathilde, qui ne tarde pas elle aussi à s’éprendre de Julien, séduite par ses idées. Julien obtient la main de Mathilde. Malgré ses réticences vis-à-vis de son futur gendre, le marquis décide de l’installer dans la vie et de lui offrir une carrière militaire.

Cependant, Madame de Rénal, qui vit la décision de Julien comme une véritable trahison, écrit au marquis de la Mole pour lui révéler ce qu’a fait Julien à Verrières. Furieux, le marquis annule le mariage, et Julien part pour Verrières avec le projet d’assassiner Madame de Rénal. La tentative échoue, mais Julien est condamné à mort, notamment en raison de sa harangue aux jurés au moment de son procès pour dénoncer les inégalités de la justice selon les classes sociales. Cependant, son passage en prison lui permet de réfléchir sur son parcours et de comprendre que la seule femme qu’il ait réellement aimée était Madame de Rénal. Son choix d’épouser Mathilde ne reposait que sur la réalisation d’une ambition personnelle. Madame de Rénal meurt de chagrin trois jours après l’exécution de Julien.

B) Les personnages

Julien Sorel est un personnage séduisant au début du récit pour plusieurs raisons : sa beauté, qui doit beaucoup à sa jeunesse ; sa vulnérabilité, en particulier face à une famille autoritaire et peu encline aux concessions ; enfin sa marginalité ; il s’est forgé sa propre éducation et est en rupture avec les siens. Mais c’est aussi un jeune homme ambitieux qui cherche à sortir de sa condition : il a été dit que le titre reprenait les deux couleurs de l’ascension sociale de l’époque : le noir pour la carrière religieuse, le rouge pour la carrière militaire. Julien tente successivement d’embrasser les deux.

Mais Julien est un personnage complexe à la fois partagé entre ses émotions et son ambition. Il éprouve la plupart de ses émotions vis-à-vis de madame de Rénal alors que, très vite, il comprend où est son intérêt dans sa relation avec Mathilde. Cependant, ce roman est aussi un roman d’apprentissage, la prise de conscience de son réel amour pour Madame de Rénal n’intervient qu’à l’issue de sa période de détention ; le temps lui a permis de réfléchir et de mûrir.

À savoir

Un roman d’apprentissage est un roman qui cherche à montrer que, par son parcours, le personnage principal va mûrir, découvrir qui il est vraiment, notamment à travers les aventures qu’il vit ou les épreuves que lui réserve la vie.

Madame de Rénal est la femme d’un notable, respectable et respectée de par son statut social d’épouse et de mère de famille. Si elle perd son « honneur », c’est par amour pour ce tout jeune homme. Elle devient à la fois une femme trahie et en souffrance, ce qui acte les deux moments décisifs de l’histoire : la lettre au marquis et sa mort qui prend une dimension romantique.

Mathilde de la Mole est la seconde femme de l’histoire. Cette jeune fille ne poursuit pas les mêmes ambitions que Madame de Rénal. Par son père, elle est riche et rien ne lui a jamais été refusé. D’ailleurs, le marquis entend bien donner à sa fille le même train de vie que celui auquel elle était habituée jusque-là. Alors que la première est une véritable amoureuse, Mathilde, tout à sa jeunesse, voit en Julien tout ce à quoi elle n’a pas accès dans son monde : un jeune homme différent, bien éloigné des jeunes gens de son milieu qu’elle juge trop classiques et trop conventionnels.

C) Julien Sorel : un antihéros

On appelle antihéros, par opposition au terme héros, un personnage qui présente les caractéristiques contraires au héros. Le héros présente à la fois des qualités individuelles et la défense de valeurs collectives : le courage, des actes qui montrent leur capacité de dépassement comparativement aux gens ordinaires, l’abnégation et la recherche du bien commun. Les actions de l’antihéros sont essentiellement orientées vers son propre intérêt. Il cherche à modifier le cours de sa vie mais les éléments extérieurs en décident autrement pour lui : ainsi, Julien cherche à épouser Mathilde, mais l’intervention de Madame de Rénal modifie le cours de l’histoire. Il essaie de tuer Madame de Rénal, mais il échoue et est condamné par la justice des hommes. La vie à laquelle il essaie d’échapper le rattrape. L’antihéros apparaît donc souvent comme un personnage antipathique dont la fin est la conclusion logique et juste d’une histoire fondée sur l’égoïsme et les intérêts propres du personnage.

Mais il est important aussi de souligner l’époque à laquelle vit Julien : 1830 marque le début de la révolution industrielle et de l’épanouissement de la bourgeoisie qui prône tout au long du XIXe siècle les valeurs du travail et de l’enrichissement. C’est aussi l’époque où les conditions de vie s’améliorent et où chacun, surtout les plus jeunes, veut réussir et obtenir un nouveau statut social. Ce siècle est aussi celui d’une grande paupérisation urbaine. Stendhal esquisse donc aussi l’image d’une nouvelle perception de la société, les aspirations d’une population qui souhaite désormais mieux vivre. À l’époque où s’ancre le roman, cette société est à peine naissante et les procédés pour y parvenir restent ancrés dans une tradition plus ancienne.