Le langage n’est pas neutre : nommer les choses permet de les classifier et de les maîtriser. Les usages publicitaires ou politiques montrent que le langage peut être un instrument de domination. Comment le comprendre ?
I. Convaincre et persuader
1) La conviction
Le langage donne le pouvoir de convaincre, c’est-à-dire de produire l’accord des esprits. Tel est le cas lorsque le locuteur fonde son discours sur des définitions strictes et enchaîne de manière cohérente et rigoureuse les énoncés. Le discours est alors rationnel et produit une vérité en droit partagée par tous les hommes.
2) La persuasion
Il peut arriver que le locuteur ne respecte pas ces règles et use volontairement du langage non comme d’un vecteur de vérité, mais comme d’un instrument de persuasion. Le discours produit paraît alors vraisemblable, mais n’en reste pas moins de l’ordre du mensonge.
Le locuteur peut persuader en jouant notamment sur les mots, les sons, les figures de style et le ton. Les paroles ne s’adressent donc pas seulement à notre intelligence, mais aussi à notre sensibilité.
II. Le langage et la rhétorique
1) Une éloquence creuse
Tel est le cas des orateurs qui utilisent la rhétorique décrite par Socrate dans le Gorgias de Platon. Vide de connaissance, la rhétorique est, selon l’aveu même du sophiste Gorgias, « le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les citoyens dans l’assemblée du peuple. »
Mot-clé
La rhétorique est l’art de bien parler, mais, telle que Platon la conçoit, elle n’est qu’une éloquence purement formelle.
Selon Socrate, le discours rhétorique est une forme de flatterie adaptée à ceux qui l’écoutent. L’orateur dit à son public ce qu’il souhaite entendre. Son but n’est pas de produire le « plus grand bien » en cherchant à élever les citoyens à la vertu, mais de plaire au plus grand nombre.
Attisant les peurs sans objet et suscitant les espoirs souvent délirants, le rhéteur manipule les affects de son auditoire. Comme l’explique Gorgias, « avec ce pouvoir », il est possible de faire de tout homme son esclave.
2) Les champs de la rhétorique
L’utilisation de la rhétorique comme instrument de domination est particulièrement patente dans les champs de la séduction amoureuse, de la publicité, ou encore de la politique, où la légitimation de l’autorité nécessite toujours le discours. Le rhéteur habile quoique ignorant a le pouvoir d’amener des foules à adhérer à n’importe quelle cause.
III. Le langage et la domination symbolique
Pour être considéré comme légitime par un groupe linguistique, un discours doit respecter un certain nombre de règles (vocabulaire, grammaire, etc.). Cela ne s’explique pas seulement par une bienséance désintéressée, mais renvoie à des processus de démarcation sociale : les classes favorisées parlent un langage châtié pour ne pas être confondues avec les classes populaires. Ainsi, la prononciation du r diffère d’un milieu social à un autre.
Citation
Annie Ernaux explique : « Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide » (La place).
Les classes défavorisées intériorisent cette domination symbolique et se retrouvent dans un état d’insécurité linguistique. Elles peuvent alors pratiquer l’hypercorrection, mais le caractère artificiel de cette tentative les trahit souvent.
Ainsi, comme l’explique Bourdieu, les discours concrets contiennent un capital symbolique et doivent être compris en fonction du pouvoir que détiennent ou non les locuteurs.