Créer : un exercice difficile
Si « rien de grand dans le monde ne s’est fait sans passion » (Hegel, La Raison dans l’histoire), Picasso affirmait de son côté que « Le talent, c’est 10 % d’inspiration et 90 % de travail ». La création est donc l’habile association de ces deux facteurs.
La création est une activité sans fin. L’homme a toujours besoin de créer, quelles que soient ses réalisations antérieures. C’est un moteur puissant, une sorte d’élan vers la vie. Créer, c’est donc toujours considérer que ce qui a été accompli est insuffisant et insatisfaisant, quel que soit le domaine. La créativité de l’homme s’exerce dans tous les domaines : artistique, technologique, technique.
La création n’aboutit pas nécessairement : elle peut déboucher sur un échec et des espoirs déçus, comme pour le peintre, le sculpteur ou encore le musicien qui rencontre l’adhésion du public seulement à titre posthume (après sa mort). Il ne suffit donc pas de rêver, d’imaginer pour que le résultat soit à la hauteur des espérances. Pourtant c’est bien souvent de ces échecs, de ces tentatives ratées que naissent les plus grandes réussites : les leçons tirées ou l’expérience acquise permettent de progresser. C’est pourquoi créer est avant tout un exercice d’humilité.
Créer, c’est aussi poursuivre ses rêves et conserver les vertus de son imagination, jusqu’à la création. Nous sortons toujours plus riches de cette expérience, plus attentifs à nous-mêmes, à nos défauts, à nos failles. L’échec donne une force supplémentaire à condition de ne pas renoncer.
La création poétique : une création inutile ?
À quoi sert la poésie ? C’est une question qui mérite d’être posée, comme pour toute forme d’art. La poésie, avec ses règles parfois contraignantes, offre un cadre particulier à l’expression ; si les mots sont toujours indispensables, c’est leur mise en forme qui donne à l’auditeur ou au lecteur une impression, un sentiment différent et parfois plus immédiat que dans un discours ou un texte de forme plus classique.
A) À quoi sert la poésie ?
La poésie donne au poète l’opportunité de décrire le monde avec son regard et d’en découvrir le sens caché. Elle a été le moyen de décrire le monde ou tout du moins celui qui entoure le poète ; il s’agit dès lors d’un regard singulier, spécifique qui cherche souvent à montrer le sens caché des choses. Cette forme originale d’expression oblige le lecteur ou l’auditeur à ne pas rester à la surface des choses. Le style peut sembler parfois léger ou ironique ou au contraire sérieux, parfois pesant. Ce regard est aussi un appel à s’arrêter sur la beauté des choses, même celles qui paraissent a priori sans intérêt ou laides.
Dans son recueil Le Parti pris des choses (1942), Francis Ponge décrit entre autres une huître. Si le contenu est délicieux pour certains, son aspect extérieur n’est pas séduisant et ne permet pas d’imaginer ce qu’il peut y avoir sous la coquille. Pourtant, grâce à l’observation, au jeu des couleurs, il parvient à donner un certain charme au crustacé.
Dans ce poème en prose, l’homme est absent au profit de la coquille. C’est elle qui prend le pas ; l’intérieur de l’huître apparaît comme un monde merveilleux si l’on arrive à l’ouvrir. C’est aussi la mise en lumière de la difficulté de la création, symbolisée par une ouverture difficile, donnant sur un monde nouveau, insoupçonné. Dès lors peut surgir la perle que quelques huîtres renferment : symbole d’une création aboutie, c’est la récompense rare, suprême et de ce fait encore plus précieuse.
B) La poésie pour partager ses émotions
La poésie est un moyen privilégié pour exprimer ses sentiments et d’une manière plus universelle, les émotions.
La poésie commence à s’épanouir réellement en France vers le XIIe siècle, à l’époque des troubadours et des ménestrels, quand la musique commence à se structurer et à investir le domaine profane. C’est surtout à la Renaissance qu’elle connaît un véritable épanouissement. La langue achève de se structurer, elle s’affine et cherche la subtilité. Elle est désormais l’espace privilégié de l’expression des sentiments et des émotions. En peu de mots et souvent dans un cadre défini (c’est la grande période du sonnet, poème de forme fixe en quatorze vers), elle impose de restituer un ressenti, un état intérieur de la manière la plus profonde et la plus sensible possible. C’est bien sûr le sentiment amoureux et sa description qui sont privilégiés.
Le XIXe siècle est une autre période faste pour la poésie. Les thèmes chers au romantisme comme la solitude, la perte de l’être cher ou la fuite du temps ouvrent de nouvelles portes à l’expression poétique et intimiste. Le XXe siècle, s’il perpétue l’héritage de ce type d’expression poétique, se renouvelle dans son genre et dans son expression : l’influence de grands mouvements comme le surréalisme ou de poètes proches de ce mouvement a donné un nouveau regard sur son expression. C’est un siècle trouble, marqué par deux guerres mondiales et de multiples conflits, qui oblige à une expression différente autant dans les thèmes choisis que dans leur évocation : ainsi la poésie choisit désormais d’autres thèmes de prédilection : la nature, le devenir des hommes… témoignant de nouvelles préoccupations modernes.
C) La poésie : une autre manière de s’engager
L’engagement des poètes à travers la poésie n’est pas récent. Ainsi, Agrippa d’Aubigné, protestant, grand soldat et poète, s’est engagé dans la réconciliation entre catholiques et protestants pendant les guerres de religion au XVIe siècle dans son recueil Les Tragiques ; il dénonce tour à tour la souffrance des paysans qui subissent la guerre et ses ravages, les rois et les courtisans responsables de cette situation, les martyrs, sacrifiés au nom d’un idéal religieux. Mais ce recueil possède aussi une dimension mystique.
Les guerres et les conflits sont souvent l’occasion pour les poètes de mettre leur art et leur inspiration au service de la liberté et de l’engagement patriotique. La Seconde Guerre mondiale a, de ce point de vue, été particulièrement féconde. De grands poètes, tels que Aragon ou Eluard, ont ainsi proposé des poèmes diffusés clandestinement dans les milieux de la Résistance. Au-delà de la révolte et de la haine de la guerre, c’est le sentiment patriotique et la lutte contre l’occupant qui sont exaltés. Mais c’est aussi un salut au courage de ceux qui choisissent de dire non et qui acceptent pour cet idéal de renoncer à la vie.
Exemple
Le Chant des partisans ou chant de la libération est devenu très vite le chant de la Résistance. Il s’agit d’une chanson, fruit d’un texte poétique, et d’une musique. Cet exemple illustre l’importance de la poésie dans l’expression de l’engagement. Mais il montre aussi le pouvoir de la musique qui en accompagnant le texte permet non seulement de le mémoriser mais aussi d’inciter à l’engagement et de sublimer les émotions : ici le sacrifice, la liberté, la reconstruction d’un nouveau pays…
Ainsi le poète se donne plusieurs missions dont la première est d’éclairer les hommes : certains se font l’interprète d’un message parfois christique (Victor Hugo), d’autres considèrent que le poète restera incompris et qu’il n’a pas sa place parmi les hommes (« L’albatros », de Baudelaire, où le poète, comparé à un oiseau, ne peut trouver sa place que dans les hauteurs ; cet oiseau est disproportionné et gourd quand il ne vole pas et qu’il doit se déplacer sur la terre ferme).
Les outils de la poésie
La poésie permet ainsi d’exprimer son regard sur le monde qui nous entoure, ses sentiments (les peines comme les joies), et aussi quelquefois son engagement. L’engagement peut prendre plusieurs formes : la critique, la dénonciation, l’éloge et la défense d’une cause.
A) Les différentes formes poétiques
Les poèmes à forme fixe sont des poèmes rédigés selon des contraintes imposées. Cette obligation est lourde puisque, dans un nombre défini de vers et selon une organisation précise, le poète doit transmettre son message.
Exemple
Le sonnet est un poème à forme fixe. Écrit en alexandrins et formé de douze syllabes, il se compose tout d’abord de deux quatrains (strophe de quatre vers), dont les rimes sont le plus souvent embrassées puis de deux tercets (strophe de trois vers).
Les poèmes en vers libres : ils ont trouvé leur épanouissement au XXe siècle ; la longueur des vers et des strophes varie. En revanche, les effets sur le lecteur sont privilégiés par le jeu des sonorités.
Les poèmes en prose : ils se composent de paragraphes courts, développent une langue particulièrement soutenue et jouent sur les impressions suggérées notamment à travers les images et la musicalité des phrases.
B) La versification
Le poème est composé de vers qui comportent un nombre de syllabes précis et qui peut varier de vers en vers : 12, 10… Plus rarement, ce nombre peut être impair.
Certaines règles doivent être respectées :
le « e » est muet en fin de vers, il ne compte que s’il est placé devant un mot commençant par une consonne ;
deux voyelles dans un même mot se prononcent en une seule syllabe (synérèse) sauf si le poète a fait un autre choix (diérèse).
Exemple
Le mot « cieux » peut se prononcer en une syllabe (synérèse) ou en deux : ci/eux (diérèse).
C) Lire un vers, une strophe
Au-delà du respect des règles précédentes, la lecture d’un vers appelle une certaine forme de respiration. Normalement, un vers se coupe à sa moitié (hémistiche). Mais il arrive que le poète fasse d’autres choix, par exemple qu’il utilise un rythme ternaire, c’est-à-dire en trois temps.
Lire un poème, c’est aussi :
en respecter la disposition. La fin d’un vers est souvent notifiée par un point. Si le poète continue sa phrase dans le vers suivant, on parle d’enjambement : la pensée continue sur le vers suivant ;
mettre en valeur les rimes, c’est-à-dire apprécier la répétition des sonorités en fin de vers. Les rimes se classent en rimes pauvres (répétition d’un seul son : instant, constant), rimes suffisantes (deux sons : croûte, broute) ou encore rimes riches (trois sons : ensemble, ressemble).
Un poème de facture classique reconnaît une disposition particulière des rimes selon leur alternance : les rimes suivies selon le modèle AA/BB, les rimes embrassées selon le modèle A/BB/A et les rimes croisées selon le modèle AB/AB.
Enfin, tout poème fait appel à la sensibilité du lecteur ; le poète, pour susciter des images ou des impressions, peut recourir à deux outils :
les assonances, qui sont produites par la répétition de sons fondés sur des syllabes ;
les allitérations, provoquées par la répétition de sons basés sur des consonnes : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » (Andromaque, Racine). La répétition du « s » est destinée à mettre en évidence ce que suggère ce vers : signifier l’imminence et l’omniprésence de la menace.
D) Le registre lyrique
Le registre lyrique est par excellence le registre de la poésie puisqu’il permet d’exprimer les émotions et les sentiments, même s’il se retrouve dans d’autres genres littéraires et que la poésie peut recourir à d’autres registres (dramatique, pathétique…). Le registre lyrique se caractérise par :
le champ lexical de l’émotion ;
l’utilisation du « je » et parfois du « nous » ;
l’interpellation de l’autre ;
une ponctuation très marquée (points d’exclamation…) ;
des exclamations (oh ! ah !...), des interrogations ;
des jeux sur les sonorités ;
des figures de style telles que les métaphores, les anaphores…