Longtemps a prévalu un certain désintérêt voire une méfiance vis-à-vis de l’attention accordée à l’individu. Le « sot projet de se peindre », si critiqué par Blaise Pascal au XVIIe siècle, a pourtant depuis tenté bien des écrivains, et ce dans des formes multiples.
I. Tenter un récit sincère
1) Raconter sa vie
L’essor du genre autobiographique coïncide avec l’émergence de l’individu, favorisée par les Lumières. Rousseau, le premier, conscient de l’originalité de son projet, entend dans ses Confessions (1782-1789) se peindre « dans toute la vérité de sa nature », en fouillant l’intime jusqu’à la transparence. Cette âme singulière serait la mieux placée pour se connaître : « Je sens mon cœur ».
Dans Le Pacte autobiographique (1975), Philippe Lejeune explique que l’auteur, qui est aussi le narrateur et le personnage principal du récit, s’engage vis-à-vis du lecteur à être sincère.
Définition
Lejeune définit l’autobiographie comme un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité ».
2) S’élucider
Écrire sur soi consiste à s’élucider, en adoptant un regard rétrospectif. Dans Lambeaux (1995), Charles Juliet cherche d’abord à reconstituer le destin tragique d’une mère qu’il n’a jamais connue. L’enquête biographique, puis la démarche introspective, lui permettent de mieux se comprendre et s’accepter lui-même.
Raconter sa vie, c’est souvent insister sur le rôle décisif de l’enfance dans la construction individuelle. Dans La Promesse de l’aube (1956), Romain Gary montre, avec humour et parfois fantaisie, comment il s’est hissé à la hauteur des ambitions de sa mère : « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, ambassadeur de France ! ». Gary pose ainsi un regard attendri sur son enfance, marquée par une figure maternelle forte.
II. Se confronter aux limites de la connaissance de soi
Bien des auteurs jettent le doute sur la possibilité de saisir une image cohérente et objective de soi. Entre les failles de la mémoire, la tentation de camoufler plus ou moins consciemment la vérité, les difficultés à se mettre en récit (toute forme déforme), les biais sont nombreux.
Le « moi » résiste parfois à l’analyse. Dans sa Vie de Henry Brulard (posthume), journal autobiographique, Stendhal s’engage dans une démarche introspective mais se déclare, perplexe, incapable de répondre de manière satisfaisante et définitive à la question « Qui suis-je ? ».
Trouver la vérité de son être n’est pas chose aisée. Dans les Mémoires d’Hadrien (1951), Marguerite Yourcenar s’appuie sur la figure historique d’un empereur soucieux d’écrire sa vie avant de mourir. Hadrien renonce à trouver une unique vérité : l’être humain est insaisissable et pétri de contradictions.
III. Exploiter les possibilités de la littérature
La difficulté à saisir le moi a conduit les écrivains à explorer une grande diversité de formes littéraires, voire à en inventer de nouvelles.
Le « moi » se livre parfois par éclats, de manière discontinue. Victor Hugo conçoit son recueil de poèmes Les Contemplations (1856) comme des « Mémoires d’une âme », reflet d’une vie donnée à voir par bribes, autour d’une césure : le décès de sa fille Léopoldine.
Au XXe siècle, des auteurs renouvellent le genre autobiographique : Nathalie Sarraute, dans Enfance (1983), lui donne la forme d’un dialogue qui permet de montrer comment les souvenirs se forment, se déforment, se conservent, et peuvent être ramenés à la conscience.
Des formes hybrides, mêlant autobiographie et fiction, permettent la recréation romanesque de soi. Georges Perec, dans W ou souvenir d’enfance (1975), utilise le détour de la fiction pour dire un « moi » qui pense avoir tout oublié d’une enfance dévastée par la Seconde Guerre mondiale.
La photographie : une manière de se représenter
Dans ses autoportraits photographiques, Claude Cahun (1894-1954) joue avec les codes du genre et de l’identité. Elle démultiplie les images d’elle-même à travers le miroir ; son regard troublant semble à la fois fixer le spectateur, et se perdre dans le vide. (Claude Cahun, Autoportrait (v. 1928))