Parcours : Alchimie poétique : la boue et l’or
Baudelaire se réclame de l’alchimiste dont le rêve est de transmuter le fer en or. Comment la poésie lui permet-elle de réussir là où la chimie échoue ?
I. Connaître l’œuvre
1) L’auteur et le contexte
Charles Baudelaire (1821-1867), orphelin de père, refuse de suivre la carrière diplomatique qui lui est proposée, et n’a qu’un désir : être écrivain. Il fait figure de poète maudit par la vie qu’il mène et par son recueil poétique, Les Fleurs du mal, qui lui valent un procès à leur parution en 1857.
Il est aussi l’auteur de poèmes en prose : Le Spleen de Paris (1869). Ses Curiosités esthétiques (1860) font de lui un critique d’art et le premier théoricien de la Modernité. Traducteur de Poe, il trouve en lui un « destin jumeau ».
Baudelaire est au croisement de plusieurs mouvements littéraires : s’il dédicace son poème « Le Cygne » au poète romantique Hugo, c’est au Parnassien Théophile Gautier, qu’il dédie son recueil. Certains de ses poèmes relèvent d’une veine réaliste, tandis que « Correspondances » le pose comme précurseur du symbolisme.
2) Composition du recueil
Les Fleurs du mal rassemble 136 poèmes, répartis dans six sections : « Spleen et idéal » (85 poèmes), « Tableaux parisiens » (18), « Le Vin » (5), « Fleurs du mal » (9), « Révolte » (3), « La Mort » (6).
La composition du recueil a été longuement mûrie. Entre l’édition de 1857 et celle de 1861, l’ordre des sections change, mais « Spleen et Idéal » reste en ouverture et « La Mort » en clôture. On peut y voir l’histoire d’un itinéraire.
À noter
Les poèmes du Spleen (mélancolie) expriment le désespoir et la sensation d’écrasement, tandis que ceux de l’Idéal expriment le bonheur et la sensation d’élévation.
Une autre manière d’étudier la composition du recueil est d’observer l’alternance du Spleen et de l’Idéal, ou d’y retrouver des cycles correspondant aux femmes qui ont marqué sa vie (Jeanne Duval, Mme Sabatier, Marie Daubrun).
II. Comprendre le parcours
1) La poésie comme alchimie
L’alchimie est au principe de tout langage qui transforme la matière en mots et en sons. Ce pouvoir est démultiplié par la poésie. C’est ainsi que Baudelaire peut écrire dans L’Art romantique :
Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire.
Baudelaire, L’Art romantique.
Penser la poésie comme alchimie ne se réduit pas à dire qu’elle permet de rendre le réel plus poétique ; elle le transfigure dans un jeu de métaphores, d’images qui induisent des correspondances et jouent avec les symboles.
C’est en ce sens que Rimbaud, dans son poème en prose, « Alchimie du verbe », affirme que le poète doit « inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens », au risque de l’hallucination et de la folie.
2) La boue et l’or, l’alliance des contraires
Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.
Baudelaire, « Ébauche d’un épilogue pour la 2e édition des Fleurs du mal ».
Baudelaire dépasse le romantisme de Musset qui prétend « faire d’une larme une perle ». Il ne s’agit pas seulement de bien manier la rime, « ce bijou d’un sou / Qui sonne creux et faux sous la lime » (Verlaine, « Art poétique »).
À noter
On retrouve cette attirance pour le macabre et pour la provocation dans Les Chants de Maldoror de Lautréamont (1869).
La poésie de Baudelaire est violente : pour transformer la boue en or, il faut la dire dans toute son horreur, et chanter la beauté du laid. Comme le titre du recueil l’annonce, un des secrets de l’alchimie poétique est l’alliance des contraires.