Les transformations de la famille

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I. Un mariage pour tous ?

Promulguée le 17 mai 2013, la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe annonçait déjà une transformation de la famille. En effet, avec l’accès au mariage, c’est aussi l’adoption qui s’ouvre aux couples homosexuels.

Une transformation réelle mais délicate comme le rappellent les manifestations tenues avant, pendant et après l’adoption de la loi. Car, à la Manif pour tous, ont succédé les mobilisations des opposants à l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) à toutes les femmes contenue dans le projet de loi bioéthique.

II. La famille, un lieu sous tension ?

A. L’absence de définition légale

La famille n’est pas définie dans le code civil. Concept vide de sens, c’est par ailleurs un mot rarement employé. Environ six articles du code civil l’emploient, comme l’article 213 qui traite de la « direction morale et matérielle de la famille » ou les articles 217, 220-1 et 1397 qui abordent la notion de l’« intérêt de la famille ».

Ce silence et cette relative rareté n’empêchent cependant pas la famille d’être organisée et encadrée. Mariage, divorce, filiation ou encore autorité parentale : la famille est omniprésente dans le code civil.

Et si ce dernier s’est bien gardé de la circonscrire, c’est précisément en raison de l’impossibilité de parvenir à une définition unifiée de la famille, celle-ci étant le lieu de mutations constantes et d’une grande diversité de situations.

B. Une perception en évolution ?

Selon un sondage réalisé par l’Ifop en juin 2019, 85 % des personnes interrogées estiment que l’homosexualité est « une manière comme une autre de vivre sa sexualité », contre 24 % en 1975. Cependant, 8 % considèrent encore aujourd’hui que l’homosexualité est une maladie qu’il faut guérir, un chiffre en baisse de 34 % depuis 1975.

Un clivage en termes de religion existe toujours. En effet, 63 % des personnes de confession musulmane estiment que l’homosexualité est une « maladie » ou une « perversion sexuelle ». C’est le cas de 20 % des catholiques pratiquants et de 10 % des sans-religion.

Néanmoins, l’homoparentalité est de plus en plus acceptée : plus de 8 Français sur 10 pensent « qu’un couple homosexuel est capable d’assurer son rôle de parent aussi bien qu’un couple hétérosexuel ».

C. La guerre des tranchées

Certains préjugés ont cependant la dent dure et deux visions de la famille continuent de s’opposer :

– ceux qui ont souvent une définition non négociable du mariage : celui-ci serait une institution représentant l’union d’un homme et d’une femme à des fins reproductives. Pour des raisons religieuses, l’homosexualité est parfois jugée immorale. Mais, sans tomber dans ces extrêmes, l’ouverture du mariage et, bientôt, de la PMA est vécue comme une attaque contre la famille traditionnelle ;

– ceux qui rejettent tous ces arguments : le mariage est pour eux le symbole de l’amour que se portent deux êtres, indistinctement de leurs sexes. Ils trouvent déplacé l’accent mis sur la capacité reproductive quand on sait combien de couples, y compris hétérosexuels, ne peuvent pas avoir d’enfants.

III. Défiguration ou recomposition ?

A. Le déclin de la famille traditionnelle ?

Deux images se font face sans jamais se superposer : d’un côté « l’âge d’or de la famille », de l’autre « les trente piteuses de la famille ». Ces deux images renvoient respectivement à une période de l’histoire de la famille : la première correspond à l’époque d’après-guerre (1945-1965), la seconde à une période marquée par la crise et le déclin supposé des liens sociaux primaires (1965-1995).

Cette périodisation conduit à une idéalisation de la première période au détriment de la seconde : une famille fondée sur l’institution du mariage, stable, féconde, soli- daire et basée sur une forte division et complémentarité des rôles des sexes aurait été remplacée par une famille instable, aux liens fragiles et à l’alliance volatile.

Si ce diagnostic s’appuie sur un certain nombre d’indicateurs démographiques (chute de la fécondité, chute de la nuptialité, augmentation de la divortialité, etc.), il oublie les continuités d’une période à l’autre (les liens familiaux ne continuent-ils pas d’être le véhicule de formes de soutien ?) ou les permanences par-delà ces deux périodes (le mariage n’a-t-il pas connu, ces dernières années, une nouvelle vigueur ?).

B. De nouvelles formes de vie familiale

La famille nucléaire reste le modèle familial le plus répandu en France et en Europe, mais elle coexiste avec d’autres modèles. On constate ainsi une augmentation sans précédent du nombre de familles monoparentales. En 1975, les familles monoparentales représentaient 10 % des familles. En 2018, 21 % des enfants vivaient avec un seul parent, un pourcentage auquel s’ajoutaient les 7 % des enfants vivant avec un parent et un beau-parent.

Le divorce est désormais à l’origine de trois quarts des familles monoparentales alors qu’auparavant la monoparentalité s’expliquait davantage par la mort de l’un des parents. Le visage de la famille monoparentale a donc lui aussi changé puisque la majorité des familles monoparentales ont à leur tête une mère, à qui l’on confie plus volontiers la garde des enfants en cas de divorce.

La réunion, ou la nouvelle union, de deux familles monoparentales compose une famille recomposée. En France, 1 enfant sur 10 vivrait dans une famille recomposée. Cependant, la croissance de ces familles ne connaît pas une augmentation aussi forte et régulière que celle des familles monoparentales.

Enfin, les familles homoparentales se font peu à peu une place. Si le regard que porte la société sur elles est pour le moins singulier, les questions que soulèvent les familles homoparentales ne sont pas bien différentes de celles qui traversent les familles adoptives ou recomposées. Par exemple, dans chacune d’entre elles se pose la question de la coexistence des parents biologiques et sociaux.

C. Les nouveaux visages du couple

L’institution du mariage représente à elle seule la complexité de la transformation de la famille. Un nombre toujours plus important de personnes se détournent du mariage. Pourtant, le combat pour l’égalité s’est emparé de cette institution pour la moderniser. Une chose est sûre, cependant, le mariage ne constitue plus l’acte fondateur d’une famille, le couple marié subissant désormais la concurrence d’autres formes de vie conjugale.

On assiste à une « nomadisation » du couple quel que soit son statut juridique. Pour les couples mariés, cette instabilité se traduit par l’augmentation croissante du nombre de divorces. En 2003, le seuil de 40 divorces pour 100 mariages a été franchi pour la première fois. La législation a pris acte du « nomadisme conjugal » en facilitant le divorce avec l’introduction du divorce par consentement mutuel en 1975 et en substituant le divorce pour « mauvais choix » au divorce pour « faute » en mai 2004.

Paradoxalement, une telle banalisation des divorces renforce la notion de couple. En effet, la rupture est désormais inscrite au cœur de la vie à deux ; le couple est même devenu si important que l’on ne tolère plus de passer sa vie entière avec la mauvaise personne.

IV. Le problème du lien filial

A. Répondre au désir d’enfant

Le mariage n’est donc plus ce rite de passage qui permet de faire couple. En revanche, la naissance d’un enfant tend, pour de plus en plus de couples, à remplir ce rôle de marqueur. Le rapport à l’enfant a profondément changé. Jusqu’aux années 1960, la fécondation était davantage subie que maîtrisée et programmée.

Désormais, il n’est plus question de se soumettre à « l’état de nature » mais d’avoir « un enfant si je veux, quand je veux ». Ces changements ont été rendus possibles par la découverte de moyens de contraception efficaces et par la légalisation des techniques d’interruption de grossesse (loi Veil de 1975).

Le désir d’enfant est certes contrarié en cas d’infertilité de l’un des membres du couple. Cependant, un tel diagnostic est immédiatement suivi par la proposition de démarches substitutives. Les progrès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) donnent ainsi l’illusion que l’infertilité a été vaincue et qu’il n’y a plus aucun obstacle à la réalisation du désir d’enfant, souvent considéré essentiel pour l’épanouissement personnel de chacun quel que soit son sexe.

Les célibataires et les homosexuels revendiquent donc un accès à la parenté, pour « avoir droit » à l’enfant qu’ils ne peuvent pas, techniquement, concevoir. Une telle revendication de « droit à l’enfant » fait craindre à certains que l’extension de la PMA à toutes les femmes (loi bioéthique du 2 août 2021) ouvre la porte à la gestion pour autrui (GPA).

B. L’insécurité du lien de filiation

Face à ces revendications, il convient de se demander s’il doit être reconnu juridiquement et, le cas échéant, jusqu’où. En l’état actuel du droit, des contradictions et des incohérences risquent à terme de fragiliser le lien de filiation.

Deux décisions rendues en juillet 2015 par la Cour de cassation ont, par exemple, rejeté le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant issu d’une GPA à l’étranger et ayant un de ses parents français. La Cour de cassation a estimé que, si l’acte de naissance, dont la transcription était demandée, mentionnait comme père celui qui a reconnu l’enfant et comme mère la femme qui a accouché, il devait être transcrit sur les actes de l’état civil français.

Ces décisions constituent une véritable révolution dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de cassation interdisait à une convention de GPA de produire ses effets en France. Contre cette jurisprudence, la Cour a considéré que le droit à la vie privée de l’enfant justifiait que soit mentionné le lien biologique à l’égard de son père.

Plus récemment, la Cour de Cassation est allée plus loin en ordonnant, dans une série d’arrêts datés de décembre 2019, la transcription totale de l’acte de naissance étranger indépendamment du mode de conception de l’enfant. Désormais, les pères et mères « d’intention » apparaissent comme parents.

C. L’ambiguïté de la personnalisation du lien à l’enfant

La conciliation du droit à l’enfant et des droits de l’enfant crée certaines ambiguïtés. Celles-ci s’expliquent, en partie, par l’ambivalence de l’image actuelle de l’enfant.

Depuis 1989 et la Convention internationale des droits de l’enfant, ce dernier est reconnu comme un être humain à part entière dès la naissance. Cet enfant-sujet est aussi un enfant performant, capable d’apprentissages précoces, un bébé surinvesti qui compte parmi les éléments moteurs de la réalisation de soi parentale mais qui est aussi la source de craintes quant à sa vulnérabilité.

Enfant performant vs. enfant vulnérable : une opposition qui dévoile l’ambiguïté fondamentale qui, selon Irène Théry, « a présidé à la personnalisation du lien à l’enfant » et à l’évacuation de la tension entre les deux dimensions de la socialisation au profit d’un enfant préformé qu’il suffirait de révéler ou de réaliser.

Cet accent mis sur le devenir enfantin pose la question de la responsabilité éducative des parents ; pour certains, il « autorise » aussi un dépistage précoce des enfants présentant des troubles du comportement.

V. Une institution en crise ?

Les mutations de la famille ne sont plus à constater. Pourtant, certaines d’entre elles tardent à être assumées par le droit alors même que le droit français des personnes est un droit flexible qui devrait permettre de trouver des solutions à des situations inédites et d’éviter une crise de la famille.