Les politiques de lutte contre le chômage

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I. Les politiques et l’emploi

Fléau ou cancer, le chômage contre lequel, disait Mitterrand, « on a tout essayé », est au cœur de l’imaginaire politique français. Depuis près d’un demi-siècle, tous les décideurs politiques sans exception ont fait de la lutte contre le chômage la priorité de leur action. Mais, combien sont-ils à être véritablement parvenus à endiguer un chômage devenu endémique, pour ne pas dire massif ?

Les mesures et les dispositifs s’entassent sans jamais qu’aucun gouvernement ne découvre de recette miracle. À tel point que l’échec de la lutte contre le chômage incarne le paradoxe d’un monde politique qui fait de la lutte contre le chômage sa priorité absolue alors qu’il semble incapable d’être efficace dans ce domaine.

La lutte contre le chômage participe ainsi à la crise du politique. Elle alimente la défiance des citoyens vis-à-vis d’un personnel politique accusé d’être complètement déconnecté de sa base, alors même que l’une et l’autre partagent une même obsession : la lutte contre le chômage...

II. La lutte contre le chômage

A. Un modèle français de lutte contre le chômage ?

Le modèle français se caractérise peut-être par des changements de cap successifs. Dans les années 1970, l’accent est mis sur la formation puisque l’on considère que le chômage tient aux caractéristiques individuelles.

Puis, c’est le coût du travail qui est invoqué pour expliquer l’insuffisance de la demande de travail des employeurs. À partir de la fin des années 1990, l’hypothèse de chômeurs financièrement rationnels conduit à envisager des dispositifs pour les sortir de la trappe à l’inactivité.

Les politiques de l’emploi récentes semblent quant à elles héritées de ce triple héritage puisqu’elles allient contrats aidés, flexibilisation du travail et formation.

B. La typologie des politiques de l’emploi

Une première distinction doit être faite entre ce que l’on nomme les politiques de l’emploi à proprement parler et la politique pour l’emploi. Cette dernière comprend l’ensemble des interventions publiques sur les différents marchés qui cherchent à agir sur le niveau de l’emploi et sur le niveau du chômage.

En revanche, les politiques de l’emploi sont constituées de l’ensembles des interventions sur le marché du travail visant à en corriger les déséquilibres et les effets néfastes. Elles représentent des politiques structurelles et excluent a priori les mesures macroéconomiques de relance qui luttent contre le chômage conjoncturel. Les mesures pouvant faire partie des politiques de l’emploi sont diverses et variées. On distingue les mesures générales des mesures ciblées.

Il est tout aussi important de ne pas confondre les politiques passives qui ont pour premier objectif d’accompagner socialement le chômage en l’indemnisant et les politiques actives qui ont pour objectif de remettre les chômeurs en emploi et d’augmenter le niveau d’emploi. Les dispositifs de cessation anticipée d’activité comme la pré-retraite figurent ainsi parmi les mesures dites passives. En revanche, la formation ou le service public à l’emploi sont des mesures actives.

C. L’efficacité des politiques de l’emploi en débat

Les résultats des politiques mises en œuvre en France rejoignent ceux observés à l’étranger. Les mesures d’emploi aidé s’avèrent plus propices à favoriser le retour à l’emploi « normal » lorsqu’elles sont mises en place dans le secteur privé. Cependant, de telles mesures sont plus sélectives et laissent de côté les publics les plus fragiles sur le marché du travail.

L’évaluation des réductions de charges pour les bas salaires donne des résultats mitigés. En plus du coût élevé qu’elles représentent, ces réductions ont tendance à encourager le développement d’emplois de faible qualité et l’absence de formation et de mobilité professionnelle ascendante pour les salariés concernés.

Si les politiques de l’emploi sont moins efficaces que la théorie le promet, c’est sans doute parce que les mesures sont empilées sans qu’aucune n’ait vraiment le temps de produire ses effets. Cet écart entre la théorie et la pratique tient aussi à la multiplicité des intervenants (Pôle emploi, directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, organismes de formation, etc.) et à l’enchevêtrement des niveaux de responsabilité (État, régions, départements, municipalités). Parce qu’elle crée des problèmes de coordination et de flexibilité, cette fragmentation a sans doute sa part de responsabilité dans le manque d’efficacité des politiques de l’emploi.

III. Les types de chômage

A. Le chômage classique

La baisse du coût du travail est au cœur des débats autour des projets de réforme du code du travail. Cette politique vise à répondre au chômage classique qui s’explique par un coût du travail ou un niveau de salaire trop élevé par rapport au salaire d’équilibre. La demande de travail dépend du coût du travail (coût salarial) et des cotisations sociales (employeurs et salariés). Pour favoriser l’emploi et donc lutter contre le chômage, il faudrait réduire le coût du travail pour encourager les entreprises à augmenter le niveau d’emploi.

La France a été le premier pays à mettre en place des subventions aux employeurs sous formes d’exonérations des cotisations sur les bas salaires. Incitations à l’embauche, gain de compétitivité, augmentation du profit des entreprises, etc. : tels sont les avantages attendus d’une baisse du coût du travail.

Celle-ci possède néanmoins des limites comme des effets de substitution (des travailleurs déqualifiés aux travailleurs qualifiés) et d’aubaine (embauche d’un chômeur à moindre coût alors que l’entreprise l’aurait de toute façon embauché).

B. Le chômage keynésien

Selon Keynes, une baisse des salaires a un effet dépressif sur la demande, donc sur le niveau global de production et donc sur la demande de travail. Les seuls leviers efficaces sont ceux capables d’augmenter la demande effective et ils ne sont pas entre les mains du marché mais entre celles de l’État. Ce dernier peut ainsi décider de mettre en place une politique de création monétaire, une politique de grands travaux, une politique fiscale et sociale de redistribution.

Lors de la crise de 2008-2009, une politique de relance keynésienne mondiale semble avoir été appliquée pour répondre au risque systémique pesant sur les insti- tutions financières et à la menace d’une déflation. La plupart des pays ont ainsi adopté des plans de relance budgétaire de plus de 2 % aux États-Unis, mais de 0,5 % du PIB en France. Les banques centrales ont, elles, adopté des politiques monétaires expansives en abaissant considérablement leurs taux d’intérêts directeurs et en injectant des liquidités dans l’économie.

La crise a aussi montré les limites de la politique keynésienne. Dans certains pays, la relance de la demande a ainsi buté sur la contrainte extérieure ou sur la contrainte budgétaire. En effet, lorsque le déficit budgétaire devient permanent, la dette de l’État augmente et le déficit ne sert qu’à payer les intérêts de la dette. Des pays comme l’Espagne ou la Grèce sont entrés dans un cercle vicieux et ont dû diminuer leur déficit budgétaire par un gel des dépenses publiques.

C. Le chômage structurel

La flexibilisation semble de plus en plus dépassée : la tendance est désormais à la « flexisécurité ». Depuis les années 1970, les entreprises ressentent en effet le besoin de flexibiliser le travail.
De manière générale, la flexibilité du travail revient à ajuster dans de brefs délais la quantité de travail et/ou les salaires à la quantité produite de biens et de services. Ainsi, en cas de baisse de la production, une baisse de la quantité de travail et une baisse du salaire doivent suivre.

Trois grands types de flexibilité du travail peuvent être identifiés :

externe (fluctuation des effectifs de l’entreprise en fonction de la demande) ;

interne (variation du temps et des postes de travail des salariés en fonction de la demande) ;

salariale (lien entre l’évolution des salaires et les résultats de l’entreprise).

Le modèle danois est exemplaire. Sa politique de « flexisécurité » consiste à lier une grande flexibilité sur le marché du travail avec une forte indemnisation du chômage. Accompagné pour retrouver un emploi, le chômeur doit accepter, en contrepartie, les stages de formation, les emplois d’utilité collective ou n’importe quel emploi qui pourrait lui être proposé.

Malgré l’admiration qu’il suscite, le Danemark n’a pas nécessairement mieux négocié la crise que ces voisins européens et le chômage a même augmenté. Par ailleurs, les politiques de flexibilisation du marché du travail ont tendance à renforcer sa segmentation et son dualisme.

IV. Les risques du chômage

A. Le risque de désintégration sociale

La perte d’un emploi peut conduire à la désintégration des individus, le chômage pouvant agir comme un puissant facteur d’exclusion et de pauvreté. En effet, la perte d’un emploi se traduit par une perte de revenu.

Si le traitement social du chômage permet de compenser cette perte, tous les chômeurs ne sont pas indemnisés. Aussi, le chômage accroît le risque de pauvreté, conduisant même certains chômeurs à ne plus accéder à des ressources considérées pourtant comme indispensables. Le chômage de longue durée fragilise d’autant plus des individus isolés de par l’absence de liens sociaux liés au travail.

La peur du regard de l’autre peut conduire à des ruptures qui, si elles se cumulent, aboutissent parfois à une situation d’exclusion.

B. Favoriser l’accès à l’emploi : les politiques d’insertion

Les politiques d’insertion sont nées avec l’apparition et la montée du chômage dans les années 1970. Mobilisant des instruments de soutien, de formation et de mise en activité, la politique en faveur de l’emploi recompose la politique de l’emploi autour des contrats aidés qui en constituent les instruments dominants.

La réinsertion des chômeurs, notamment les plus jeunes, constitue un enjeu majeur pour des sociétés dans lesquelles les liens de solidarité ont, sinon disparus, du moins été fortement distendus.

Le Plan d’investissement dans les compétences, piloté par le ministère du Travail, a pour ambition de former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail, de répondre aux besoins des métiers en tension et de contribuer à la transformation des compétences en lien avec les transition écologique et numérique. Près de 15 milliards d’euros ont été investis jusqu’en 2022.

C. La formation : remède contre le chômage ?

La multiplication des politiques de formation professionnelle conduit à s’interroger sur l’efficacité du « tout formation » pour lutter réellement contre le chômage.

La formation professionnelle serait l’un des principaux leviers de lutte contre le chômage. Former les chômeurs reviendrait ainsi à mettre en adéquation l’offre et la demande de travail. Par ailleurs, une hausse du niveau de qualification susciterait, sur le long terme, une demande de travail correspondante.

Cependant, ces hypothèses se vérifient rarement. La formation peut donc constituer un remède contre le chômage mais à condition d’améliorer en amont la gestion des ressources humaines et d’identifier les besoins de compétence des entreprises.

V. La lutte contre les chômeurs ?

L’autre versant de la lutte obsessive contre le chômage est le contrôle des chômeurs. Avant la réforme de 2019, le décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018 avait déjà durci certaines sanctions contre les chômeurs qui ne respecteraient pas leurs obligations comme se rendre à une convocation Pôle emploi (renommé France Travail depuis le 1er janvier 2024). Par ailleurs, les équipes chargées de contrôler les chômeurs ont été renforcées passant de 600 en 2019 à 1 000 en 2020.

L’enjeu d’un durcissement des contrôles consiste donc à faire disparaître une fraude réelle mais marginale. En effet, la fraude à Pôle emploi s’élève à 0,5 % du total des allocations versées. Selon la Délégation nationale de la lutte contre les fraudes (DNLF), elle s’élève à 212 millions d’euros fin 2019.