La modernisation de la justice

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I. Une justice en crise

En janvier 2023, selon le Baromètre de la confiance politique du Cevipof, la confiance portée par les Français à la justice reste inchangée par rapport aux derniers chiffres et toujours aussi inquiétante : seuls 44 % des Français déclarent avoir confiance en la justice. Ce manque de confiance semble être validé par les personnels du monde judiciaire, au regard de leurs mouvements de mobilisation de plus en plus fréquents.

II. De réformes en réformes

A. Sous la présidence de N. Sarkozy

La justice a fait l’objet ces dernières années d’un empilement de textes législatifs. La loi du 10 août 2007 prévoit une peine minimum pour les récidivistes, des peines plancher qui auraient contribué à durcir les sanctions pour les petits délits.

La loi sur la sécurité intérieure de 2010 prévoit un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans, la suspension des allocations familiales si les parents refusent de signer un contrat de responsabilité, une peine de 2 ans de prison pour « l’occupation » des halls d’immeuble.

La loi Mercier du 10 août 2011 instaure un tribunal correctionnel pour les récidivistes de 16 ans et plus.

La loi sur l’exécution des peines multiplie les centres éducatifs fermés.

B. Sous la présidence de F. Hollande

88 % des Français estiment que la justice est trop complexe, 95 % qu’elle est trop longue. Face à ces chiffres, la réforme de la justice propose de la rendre plus efficace, plus simple, plus accessible et plus indépendante.

Des mesures ont été adoptées par le Parlement avec la loi organique du 8 août 2016 et la loi ordinaire du 18 novembre 2016 :

pour une justice plus efficace : par exemple, nouvelle procédure pour le divorce par consentement mutuel ;

pour une justice plus simple : par exemple, nouvelle procédure pour le changement de sexe à l’état civil ; regroupement du contentieux social ;

pour une justice plus accessible : par exemple, lancement de www.justice.fr, site unique du justiciable ;

pour une justice plus indépendante : par exemple, renforcement de la transparence de la vie publique.

C. Sous la présidence d’E. Macron

Dès sa prise de fonction, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a été chargée de réformer le système judiciaire. Cette réforme poursuit trois objectifs :

renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour les justiciables ;

améliorer le quotidien des professionnels du droit et de la justice ;

renforcer l’efficacité de la procédure pénale et de l’exécution des peines.

Cette réforme a été publiée au Journal officiel le 24 mars 2019, après 6 mois de consultation et de concertation avec l’ensemble des acteurs du monde judiciaire dans le cadre des « chantiers de la justice ».

En novembre 2023, la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a été promulguée. Embauche de magistrats, de greffiers, de surveillants de prison contractuels... Pour recruter 10 000 nouveaux agents, la loi prévoit une hausse du budget de la justice qui doit atteindre près de 11 milliards d’euros en 2027. Depuis 2020, c’est Eric Dupond-Moretti qui est ministre de la Justice.

III. Pourquoi réformer ?

A. Le progrès de la justice

La réduction de la justice à sa fonction purement pénale est si fréquente qu’on peut oublier son rôle multiforme d’institution destinée à réguler les conflits entre citoyens ou entre l’État et les citoyens dans des domaines très variés.

Réformer de manière pertinente la justice requiert de partir de sa globalité. La réduction de la crise de la justice à sa dimension strictement pénale trahit en effet une crise plus générale de notre manière de gérer les conflits. Demander à la justice de privilégier les réponses pénales traduit la volonté de rechercher des solutions autoritaires à nos conflits.

La réforme de la justice s’apparente donc à une réponse à la crise de l’État car les citoyens doutent de sa capacité à prévenir les conflits. La justice se présente alors comme une voie pour accompagner les changements et le progrès social.

B. La gestion de la justice

Longtemps, la justice est apparue comme une fonction régalienne spécifique, aux modes d’action et de pensée reposant sur la distinction entre le sacré et le profane. La volonté de la moderniser montre l’idée d’une singularité de la justice.

De productrice de valeurs et de symboles, l’institution judiciaire devient une organisation comme les autres dont il s’agit aussi de rationnaliser le fonctionnement et la gestion. Coût, efficacité, efficience, qualité de la production... font désormais partie du vocabulaire juridique et traduisent l’introduction d’une rationalité managériale au sein de l’institution judiciaire.

C. Le temps de la justice

La modernité de la justice se traduit par un gain en efficacité, notamment par une remise en cause de « l’éloge de la lenteur ». Pour répondre aux lourdeurs des procédures et aux dépassements des délais, la voie choisie est celle du « temps réel ».

Le traitement en temps réel (TTR) s’est diffusé dans les années 1990. Aménagement d’ordre technique pour les praticiens, philosophie de l’action pour ses promoteurs, réponse aux problématiques d’insécurité pour d’autres, il est complexe.

Il s’inscrit, néanmoins, dans la tendance à la rationalisation qui touche la gestion des tribunaux et le mode de traitement des affaires. Son objectif consiste à « donner une suite à toutes les affaires en y apportant une réponse rapide ».

IV. Faire entrer le numérique

A. Identifier et répondre aux attentes

La transformation numérique figure parmi les cinq « chantiers de la justice » ouvert par le gouvernement. C’est sur cette transformation au sein de la justice civile que l’Institut Montaigne a demandé à un groupe d’experts de se pencher en 2017.

La première observation du rapport pointe le potentiel des technologies pour sonder et évaluer de manière qualitative la demande de justice. Une fois les attentes des justifiables identifiées, il s’agit d’y répondre grâce à la technologie.

Ainsi, l’innovation technologique permettrait d’améliorer le fonctionnement de la justice en matière de proximité, en organisant une partie des comparutions par visioconférence et, en matière de publicité du procès, en enregistrant les débats judiciaires et en généralisant leur accessibilité.

B. Transformer le système judiciaire

L’Institut Montaigne observe que la transition numérique ne peut pas être implantée au coup par coup. Elle impose plutôt de partir d’une vision globale de la chaîne contentieuse et de piloter rigoureusement les programmes de transformation.

C’est pourquoi il propose d’intégrer les programmes du ministère de la Justice dans la politique de transformation numérique de l’État et de créer une autorité chargée de l’élaboration et de la gouvernance des programmes de transformation numérique de la justice et un organe consultatif indépendant associant professionnels, futurs utilisateurs et experts et ayant pour mission l’exploration et l’expérimentation à des fins judiciaires des nouvelles technologies.

Modernité de la justice n’est donc plus exclusivement synonyme d’efficacité mais aussi d’agilité. Au regard des évolutions rapides rencontrées par le numérique, il est en effet nécessaire de laisser place à des initiatives plus flexibles.

C. La justice prédictive

Développement des algorithmes, premiers pas de l’intelligence artificielle, open data des décisions de justice : les progrès de la technologie soumettent le juge et l’institution judiciaire à un défi nouveau, celui de la justice prédictive.

Fondés sur l’ouverture progressive et gratuite à tous des bases de jurisprudence, les algorithmes prédictifs ont pour but d’accélérer le règlement des litiges et d’améliorer la prévisibilité des décisions de justice. Ils renforcent ainsi la sécurité juridique et permettent au juge de se recentrer sur les dossiers les plus complexes.

Cependant, modernisation ne doit pas rimer avec précipitation au risque de passer à côté de l’ambivalence de la justice prédictive. On peut douter, en effet, que les algorithmes, programmés pour réaliser des tâches ciblées, puissent appréhender la singularité de chaque affaire. Prévisibilité ne signifie pas rigidité.

V. Réforme de la justice, réforme de l’État

Les réformes successives de la justice ont sans aucun doute apporté des réponses à la question de la modernisation de la justice. Celle-ci laisse néanmoins en suspens de nombreux points comme la modernisation de l’État. L’histoire montre qu’il est possible de changer d’État et de justice (1789) ou de changer d’État mais pas de justice (IIIe République). La question reste donc ouverte de savoir s’il est possible et même souhaitable de changer de justice sans changer d’État...