I. Une rencontre tardive
Les médias et la culture entretiennent une relation compliquée, comme le montre le rattachement tardif de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) au ministère de la Culture et de la Communication. En effet, ce service était auparavant placé sous l’autorité du Premier ministre.
Créée en remplacement de la Direction du développement des médias (DDM) en 2009, la DGMIC a pour mission de définir, coordonner et évaluer la politique de l’État en faveur du développement du pluralisme des médias, des industries publicitaire, phonographique, du livre ou de la lecture, de l’ensemble des services de communication au public par voie électronique et de l’économie culturelle. C’est elle aussi qui est force de proposition et de coordination pour la mise en œuvre de mesures destinées à promouvoir le développement non plus seulement des médias mais également des « industries culturelles ».
II. La culture des médias
A. Les pratiques culturelles
Depuis le début des années 1970, le ministère chargé de la Culture réalise régulièrement une enquête sur les Pratiques culturelles des Français. Les résultats de la sixième « édition » ont été publiés en 2018.
Un réseau d’équipements culturels d’une exceptionnelle densité et des pratiques culturelles diversifiées : telles sont, en 2018, les principales caractéristiques du rapport des Français à la culture. Cependant, le paysage culturel français connaît aussi, et surtout, une importante mutation avec la montée en puissance des modes d’accès numérique.
En France, la culture représente 2 % du PIB. 16 % des Français sont inscrits dans une bibliothèque. Durant les 12 derniers mois, 42 millions d’entre eux sont allés au cinéma et 6,5 millions se sont rendus à un concert.
Écran ne rime plus avec faible participation à la vie culturelle : la probabilité d’être allé, au cours des 12 derniers mois, au cinéma ou au théâtre ou d’avoir lu un nombre conséquent de livres croît avec le temps passé sur Internet.
En moyenne, les Français consacrent 31 heures par semaine aux écrans. Cependant, la télévision et la radio sont en recul chez les 15-24 ans. La lecture de la presse et de livres a également baissé pour toutes les classes d’âge à l’exception des 65 ans et plus, qui sont 62 % à avoir lu au moins un livre au cours des 12 derniers mois.
L’enquête observe enfin un lien entre le développement du numérique et d’Internet et l’émergence de nouvelles formes d’expression et de nouveaux modes de diffusion propices à la pratique de l’art en amateur.
B. La culture médiatique
L’expression « culture médiatique » renvoie tout d’abord à l’existence de produits culturels média-formatés. Il ne saurait y avoir d’objets culturels que médiatiques, c’est-à-dire adaptés « aux supports qui les font exister matériellement et socialement » (P. Durand). Ce n’est en effet pas la même chose de lire Le Comte de Monte-Cristo épisode après épisode dans un journal ou d’une traite dans un livre de poche.
La culture peut aussi être une culture proprement médiatique, c’est-à-dire spécifique à un média. Au XIXe siècle, les codes différaient entre une littérature fortement liée au livre et réservée à une élite culturelle et une littérature liée à la presse à grand tirage et réservée aux « lectures de plage ».
Enfin, l’expression de « culture médiatique » peut désigner le bain anthropologique dans lequel sont plongées nos sociétés, la culture médiatique venant dès lors englober tout un rapport au monde.
C. La mise en scène de la culture
L’idée de culture médiatique renvoie aussi à la culture telle qu’elle est mise en scène dans les médias. La France, de par son histoire, son esprit et une volonté institutionnelle, s’est longtemps targuée d’accorder un traitement spécifique aux biens culturels par rapport aux autres types de production. Il existerait une « exception française » en matière culturelle.
Peu de pays obligent, en effet, les chaînes de télévision privées à participer au financement de la production cinématographique. Par ailleurs, chaque année la rentrée littéraire fait l’objet d’une large médiatisation, que ce soit à la télévision, dans la presse écrite ou désormais sur Internet.
L’« exception française » semble pourtant en voie de normalisation, en témoignent les flops des émissions culturelles du service public ou la diffusion des magazines culturels en troisième partie de soirée. La diversité des médias et celle des formes de culture invitent également à réinterroger la place de la culture dans les médias et le rôle de ces derniers.
III. Culture de masse et mass media
A. L’invention de la culture de masse
Un préjugé tenace associe volontiers médias et culture de masse, c’est-à-dire « l’ensemble des productions, des pratiques, des valeurs modelé par les agents de l’industrie culturelle » (D. Kalifa).
Dans l’entre-deux-guerres, les premiers travaux se penchant sur les formes de cette nouvelle culture ont été publiés. Plusieurs auteurs les accusent de mystifier et d’aliéner les masses ou de dévaluer l’œuvre d’art. Ces critiques sont formulées dans un contexte marqué par l’essor des États totalitaires friands des nouveaux médias de masse transformés alors en de véritables instruments de propagande et d’asservissement.
Des travaux récents remettent en cause cette datation et montrent que la culture de masse date du XIXe siècle. Trois étapes peuvent ainsi être distinguées :
– les années 1830 qui, en raison d’innovations majeures dans le secteur de la presse, de l’édition et de l’image, représentent un formidable laboratoire culturel et voient naître le réquisitoire adressé à l’encontre de la « mauvaise culture » ;
– la seconde moitié du XIXe siècle au cours de laquelle l’offre et la demande sont accordées et les industries culturelles « insérées de plus en plus étroitement dans les circuits économiques et financiers du capitalisme moderne » (D. Kalifa) ;
– les années 1900 qui procurent ce « grand public », alphabétisé et avide de divertissement, seul à même de garantir le passage à une consommation de masse.
B. Qui a peur de la culture de masse ?
Nivellement par le bas, démobilisation politique, immoralité, perversité... le roman-feuilleton est accusé de tout lors de sa généralisation vers 1840. Quant à la société de masse, les sociologues pointent l’isolement individuel, la dépersonnalisation et l’homogénéisation des comportements publics qu’elle entraîne.
Les philosophes de l’École de Francfort dénoncent à leur tour la culture de masse qu’ils considèrent non comme représentative d’un processus de démocratisation culturelle mais comme une incitation au conformisme, à la résignation et à la perpétuation de l’injustice sociale.
Les polémiques autour de la notion de culture de masse n’épargnent pas les États-Unis puisque, de l’après-guerre au début des années 1960, est critiquée soit l’infériorité de la culture de masse vis-à-vis de la culture humaniste, soit la critique de la culture de masse elle-même.
Les travaux des sociologues français Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron s’attachent eux aussi à montrer combien la distinction entre « petite » culture et « grande » culture est révélatrice d’une structure sociale de domination.
C. Les « médiacultures »
Comme le clivage entre les médias et la culture est fort, la notion de « culture de masse » est également complexe. Ce qui pose principalement problème c’est la notion de « masse », ou même de « masses », alors qu’il est difficile que « quelque chose comme les masses existe » ou que les « messages véhiculés par les médias ne sont jamais homogènes » (E. Macé, E. Maigret).
En effet, les produits dits de la culture de masse font l’objet de multiples usages et d’interprétations différentes mais ils sont aussi l’objet d’influences provenant de subcultures ou de contre-cultures. La notion de « culture » est elle aussi problématique car le singulier conduit à penser que la culture de masse serait homogène et la renvoie dos-à-dos avec la culture savante légitime.
Pour surmonter ces contrariétés, certains proposent de parler de « médiacultures ». Le pluriel permet de passer d’une définition unidimensionnelle à une définition pluraliste ; le terme de « média » montre lui l’originalité de la médiation médiatique qui « institue des formes de cultures moins compartimentées que par le passé » (E. Macé, E. Maigret).
IV. Les médias contre la culture ?
A. Une industrie et un marché
« Ce que nous vendons à Coca-Cola c’est du temps de cerveau humain disponible. » Cette phrase du PDG de TF1 dévoile à demi-mots combien les médias sont soumis aux lois du marché et à l’injonction de l’audience. Aucun média n’échappe à une double logique industrielle et commerciale.
L’industrialisation de la culture, c’est-à-dire l’application aux produits culturels des mêmes recettes à l’œuvre dans l’industrie automobile (division et organisation du travail, production à la chaîne), obéirait ainsi au diktat de la consommation et transformerait les biens culturels en de vulgaires « marchandises ».
Pour Edgar Morin, la culture est moins médiocre que simplement moyenne. Son « mode de production » encourage « les esthétiques moyennes, les audaces moyennes, les intelligences moyennes et les bêtises moyennes » (E. Morin). Il s’agit de trouver un équilibre entre les contraintes de la production moderne et l’offre en bout de chaîne de « productions » en apparence uniques.
B. La logique de la consommation maximale
L’audimat règne en maître dans les salles de rédaction. Plaire, séduire et faire le « buzz » : telle est la devise de médias qui recherchent avant tout le profit et tendent à réduire le marché à ce qui fonctionne.
En soi, l’audimat n’est que « la synthèse des mesures enregistrées par un audimètre du temps passé devant un programme ou une chaîne de télévision par un échantillon de spectateurs » (F. Balle). Il devient tyrannique quand les médias s’interdisent de proposer des programmes qui pourraient surprendre voire dérouter leur public.
Ce serait prendre un grand risque pour les responsables d’un média de s’en remettre exclusivement à l’audimat. La loi du marché incite autant à suivre ses « clients » qu’à anticiper leurs désirs. Ce risque est la condition de l’innovation mais aussi de la réussite, en témoigne l’audace des premiers programmes de téléréalité.
C. La vie des idées et des œuvres
La culture réside dans un « dialogue entre le passé et le présent, entre le particulier et l’universel, entre un passé qui n’est pas dépassé et un présent que l’on s’emploie à dépasser » (F. Balle).
Le pouvoir des œuvres culturelles, et donc des artistes, des écrivains et de tout ceux qui les produisent, consiste à « arrêter notre attention et à nous émouvoir » (H. Arendt), mais aussi à créer des valeurs. La logique du marché, qui cherche à répondre à une demande tout en s’empressant de discerner les moindres attentes, se situe incontestablement aux antipodes d’une telle demande.
Cependant, les médias, en s’interposant entre ces deux logiques, permettent à la fois au marché d’avoir un sens et aux créateurs de soumettre leurs œuvres au regard critique du public.
V. Médias et contre-culture
Abhorrés par les Hippies et les dissidents de la Beat Generation, bâillonnés lors des événements de mai 1968, boycottés de tout temps en raison de leur supposée proximité avec le pouvoir politique, accusés par le milieu du rap ou du hip-hop de défendre une culture exclusivement élitiste, etc. : les rapports entre médias et contre-culture(s) alternent a priori entre tensions et incompréhensions.
Ce sont pourtant bien les médias que se sont réappropriés la Beat Generation ; ce sont eux encore qui ont élevé Mai 68 au rang d’icône nationale. Les médias ont également joué un rôle majeur dans les mouvements sociaux les plus récents, que ce soit au travers des réseaux sociaux lors des Printemps arabes ou de la couverture médiatique consacrée à Occupy Wall Street, au mouvement des Indignés ou à Nuit Debout.