La citoyenneté et la démocratie

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I. La notion de citoyenneté

La citoyenneté donne aux citoyens des droits et des devoirs, ce qui les intègre à un groupe : la polis grecque, cité-État dans laquelle les citoyens sont libres. Le citoyen appartient à une communauté, avec laquelle il a un lien juridique mais aussi politique. La démocratie naît dans la Grèce antique. Au XXIe siècle, la démocratie devenue représentative connaît une crise de défiance. Les outils de la démocratie participative ou délibérative, tels qu’ils ont été définis par le philosophe Jürgen Habermas, sont envisagés pour mieux prendre en compte la volonté générale.

La cité et la démocratie sont deux concepts nés au sein de la Grèce antique. La cité-État d’Athènes a ainsi créé sa propre définition de la citoyenneté. Être citoyen, c’est être attaché à la cité. Ce sont des individus libres, à l’intérieur des frontières de la ville-État ou polis.

Chaque cité est indépendante, démocratique (Athènes au Ve siècle avant notre ère) ou oligarchique (Corinthe) ; elle définit ses règles de vie commune. La population est divisée en plusieurs groupes à Athènes : les citoyens, les métèques et les esclaves. La qualité de citoyen est donnée exclusivement aux hommes, et il faut être né d’un père et d’une mère citoyens. Les métèques en sont exclus, car ils n’ont pas de parents citoyens. Ils sont cependant libres.

La Révolution française proclame la naissance de l’individu citoyen, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 août 1789. Le terme de citoyen remplace celui de sujet. En préambule et à l’article 1er est rappelé « qu’en conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen ». Cette reconnaissance se conjugue avec l’égalité en droit et la liberté prônée à l’article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

II. Un ensemble de droits et de devoirs

A. Des droits civils, civiques et politiques

Le citoyen a en effet des droits civils, en lien avec des libertés reconnues en droit et protégées à ce titre (libertés publiques), telles que la liberté d’opinion et de conscience, le droit d’aller et venir, la liberté de commercer.

Il jouit de droits politiques, qui lui permettent de voter, d’être éligible, de participer à la vie publique.

Il a aussi des droits sociaux, comme le droit en tant que salarié de participer aux élections des représentants du personnel, le droit de grève, le droit syndical, le droit à un enseignement gratuit et laïc, le droit à la protection de la santé. Ces droits sociaux figurent dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (IVe République).

B. Des devoirs

À ces droits s’ajoutent des devoirs comme le paiement de l’impôt ou le respect de la loi.

À ces obligations juridiques, la notion de civisme ajoute l’idée de qualités morales pour devenir citoyen. Il s’agit de règles de vie commune, regroupées sous le vocable de politesse, de respect d’autrui.

Ces règles proposent des normes de conduite adaptées aux situations sociales. Même si le terme d’incivilité date du XVe siècle, une acception contemporaine en fait une ligne de conduite à respecter, qui peut conduire à une répression par la loi pénale.

C. Citoyenneté, État et Nation

La citoyenneté se rattache juridiquement à la nationalité. Le citoyen dispose de droits civils et politiques qui le rattachent à une Nation. Ce lien juridique pose la question de l’intégration, dans la société, des étrangers résidant sur le sol national.

Deux idées s’opposent :

– c’est par l’acquisition de la nationalité et donc de droits politiques que l’on s’intègre dans une communauté nationale ;

– le lien nationalité-citoyenneté peut être rompu ; la création d’une citoyenneté européenne par le traité communautaire de Maastricht en 1992 le prouve. Cela a permis de donner le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers communautaires. Cela plaide pour étendre ce droit aux étrangers non communautaires.

En outre, la crise économique crée des situations dans lesquelles certains citoyens n’ont plus les mêmes droits que les autres. Cette crise économique, associée à une crise sociale, crée des citoyens qui certes travaillent mais sont pauvres. Des chercheurs américains ont inventé le terme de « working-poor » dans les années 1960, en travaillant sur la pauvreté. Cette appellation a commencé à être utilisée en France à partir des années 1990 en lien avec l’analyse du marché du travail.

Le lien entre travail et pauvreté se construit : les nouveaux pauvres sont actifs. Ces « working-poor » vivent en partie de prestations sociales. Le seuil de pauvreté pris en compte varie selon les pays et les revenus.

Une citoyenneté de seconde zone tend à se créer, à laquelle les États répondent par une série de mesures sociales structurelles. Le revenu minimum garanti en est un exemple.

III. L’évolution de la démocratie

A. La démocratie directe

La démocratie était, pour Jean-Jacques Rousseau, directe car liée à une conception de la souveraineté du peuple, inaliénable. Mais le gouvernement du peuple par le peuple n’est pas adapté aux États étendus et très peuplés. La démocratie représentative s’impose donc.

B. La démocratie représentative

Ce régime repose sur la compétence politique. Il est considéré comme nécessaire que ceux qui représentent le peuple soient capables de voter la loi et de décider des orientations pour les gouvernés. Ils doivent disposer de capacités intellectuelles, d’un capital social et culturel.

C’est une vision très élitiste de la fonction de représentants qui a pendant longtemps été associée à une vision élitiste de la fonction de voter. Emmanuel-Joseph Sieyès considérait que le vote était une fonction et que, en conséquence, seuls les individus ayant les capacités intellectuelles et le pouvoir économique d’exercer cette fonction devaient y participer.

Seuls seraient légitimes pour exercer l’activité de vote les actionnaires de la grande société. Sieyès distingue les citoyens actifs, ceux qui paient les impôts et qui sont capables de voter, des citoyens passifs, dont la richesse ne justifie pas une imposition et qui sont incapables de voter.

La démocratie moderne concilie le système de démocratie directe et le régime représentatif. C’est le système de la Ve République posé à l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

C. L’émergence progressive du suffrage universel

La définition des citoyens habilités à voter s’élargit au cours du XIXe siècle et jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Le suffrage est l’acte par lequel l’électeur, lors d’une consultation électorale, procède à un choix. La qualité de citoyen rejoint progressivement la qualité d’électeur. La généralisation du suffrage universel se fait en France en 1848, après des tentatives infructueuses. Le suffrage censitaire (impôt) ou le suffrage capacitaire (diplôme) étaient auparavant appliqués.

En France, le suffrage devient universel avec le décret du 11 mai 1792. Supprimé par le Directoire, il est finalement proclamé en 1848 par une formule lapidaire : « Le gouvernement provisoire arrête en principe et à l’unanimité que le suffrage est universel et direct sans la moindre condition de cens. »

Après la Révolution de février 1848 et l’abdication du roi Louis Philippe, le suffrage universel proclamé est cependant exclusivement masculin : tous les Français de plus de 21 ans sont appelés à élire une Assemblée constituante (future Constitution de la IIe République). Le suffrage exclut les femmes et les militaires.

Le corps électoral voit cependant ses effectifs augmenter, de 246 000 à plus de 9 millions de personnes. Alexis de Tocqueville écrit à propos de la première journée de vote au suffrage universel qui a connu un grand succès : « Nous ne laissions derrière nous que les femmes et les enfants. »

L’ordonnance du 21 avril 1944 confère aux femmes le droit de vote ; en 1945, c’est le tour des militaires. En 1974, l’âge du vote est abaissé de 21 ans à 18 ans puis le traité de Maastricht (1992) ouvre aux étrangers communautaires le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales (à l’exception du mandat de maire et d’adjoint) et aux élections européennes.

IV. La crise de la démocratie représentative

A. La crise de sens

Le régime représentatif est critiqué sur plusieurs fronts. Les représentants ne sont pas considérés représentatifs par les citoyens, en termes de catégories socioprofessionnelles, d’origines ethniques, de diplômes, de genres. Les freins à l’accès aux mandats sont nombreux. L’accès est considéré comme inégalitaire.

Le sociologue Luc Rouban, dans Sociologie politique des députés de la Ve République de 1958 à 2007 (2011), précise que, entre 1962 et 2007, c’est la classe moyenne qui devient prépondérante (61 %), dont 40 % pour le public. Les classes supérieures du privé ne représentent plus que 26 %. Mais cette tendance s’est faite au détriment des classes populaires du privé et du public.

L’abstention est aussi un marqueur de la situation de défiance. Cela traduit à la fois un désintérêt pour la vie publique mais aussi une protestation contre les courants politiques classiques.

Le nombre de militants adhérents dans les partis politiques connaît aussi une diminution. L’esprit militant se développe, sans appartenance associative, dans des espaces numériques sans frontières. Les pétitions sur change.org ou des mouvements comme les zadistes ou les altermondialistes empruntent de nouvelles voies d’action, au-delà des partis politiques et parfois sans eux.

Cette crise de confiance s’accompagne d’une recomposition de l’espace politique et idéologique, autour de nouvelles questions transnationales, telles que le climat, l’Europe, les migrants, les frontières.

B. La démocratie délibérative ou participative

La démocratie participative recouvre plusieurs axes. Délibérer ou participer sont deux réalités différentes. En 1983, Habermas affirme « selon l’éthique de la discussion, une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme ».

La question se pose du champ de la discussion. En France, par exemple, la consultation locale consiste en un référendum qui permet aux électeurs de donner leur avis sur les politiques municipales, départementales et régionales.

Le référendum national a un périmètre également limité par l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958. Seules les questions relatives à l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent ou tendant à autoriser la ratification d’un traité peuvent être soumis au référendum.

C. La complémentarité avec la démocratie représentative

La démocratie participative ne s’oppose pas à la démocratie représentative : elle est dans une logique de consolidation de la prise en compte de la volonté générale, en dehors des échéances électorales. Les citoyens sont en attente d’efficacité et de prise en compte de leurs paroles par leurs représentants élus. Ils souhaitent également davantage de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

Des expériences ont été menées au Brésil, dans la ville de Porto Alegre, et en Allemagne, à Fribourg. La ville de Paris (2,2 millions d’habitants) a mis en place en 2014 un budget participatif dédié à l’investissement et qui représente 5 % du budget municipal annuel. Tous les habitants peuvent participer.

La décentralisation en France s’est accompagnée du développement d’instances de consultation et de concertation, qui impliquent plus ou moins les citoyens dans la co-construction des décisions publiques.

Les structures citoyennes créées répondent à des enjeux de proximité, dans une décentralisation qui fait des échelons étatiques, supra-nationaux et régionaux des échelles décisionnelles majeures :

– conseils de quartier obligatoires avec la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, dans les communes de plus de 80 000 habitants ;

– conseils citoyens dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville composés d’habitants tirés au sort et de représentants des associations et acteurs locaux (loi du 21 février 2014) ;

– conseils de développement obligatoires à partir de 20 000 habitants, dans les structures de coopération intercommunale.

L’initiative peut être descendante (conseils de quartier) ou ascendante (comités de quartier, créés à l’initiative d’associations loi 1901).

V. Les limites de la démocratie participative

La représentativité des membres de ces instances pose question tout comme leur indépendance par rapport aux instances élues. On constate la présence de catégories socioprofessionnelles supérieures, les jeunes et les femmes étant plutôt absents. L’usage des technologies de l’information peut être un moyen de dynamiser la participation de la génération dite Y (née dans les années 1990).

Les débats peuvent être limités à des questions particulières voire privées et personnelles, éloignées de l’intérêt général. Le syndrome NIMBY (« not in my backyard ») est mis en avant pour critiquer l’apport parfois relatif de ces procédures, dans la construction de l’intérêt général.