Parcours : « Les Mémoires d’une âme »
L’autobiographie se définit comme un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence. Pourtant, c’est dans un recueil de poèmes que Hugo rappelle les souvenirs et les impressions de sa destinée. Qu’apporte la poésie à ces « Mémoires d’une âme » ?
I. Connaître l’œuvre
1) L’auteur et le contexte
Victor Hugo (1802-1885) a traversé les nombreux bouleversements de l’histoire de son siècle. Comme les romantiques, il est marqué par la chute de Napoléon, il s’engage dans l’action politique et finit par s’opposer à Napoléon III, ce qui le conduit à l’exil.
Il est l’auteur d’œuvres variées – romans (Les Misérables), pièces de théâtre (Ruy Blas) et recueils poétiques (Les Contemplations) – qui apportent un souffle nouveau à la littérature de son époque.
2) Composition et tonalité du recueil
Les Contemplations, publiées en 1856, sont composées de deux volumes : Autrefois et Aujourd’hui. Hugo écrit qu’« un abîme les sépare, le tombeau ». En effet, si Autrefois couvre les années 1830-1843, Aujourd’hui s’ouvre le 4 septembre 1843, date de la mort de sa fille Léopoldine.
Les deux volumes sont composés chacun de trois parties dont les titres suivent l’itinéraire intellectuel du poète : I. Aurore, II. L’âme en fleur, III. Les luttes et les rêves, IV. Pauca meae (« quelques mots pour ma fille »), V. En marche, VI. Au bord de l’infini.
La plupart des poèmes sont écrits entre 1841 et 1856, ce qui donne aux quatre premiers livres une tonalité nostalgique marquée par les souvenirs des jours heureux, et assombrie par le deuil.
II. Comprendre le parcours
1) Une temporalité subjective et éclatée
Si Hugo revendique le caractère autobiographique des Contemplations, le sous-titre « Mémoires d’une âme » suggère qu’il s’agit non pas de la narration des événements d’une vie mais d’une âme qui se souvient de ses états intérieurs.
Bien que datés, les poèmes ne se présentent pas toujours dans l’ordre chronologique. En outre, les dates sont souvent fictives. Le recueil suit donc plutôt l’ordre des sentiments que l’ordre du temps de l’écriture ou des événements.
Ce trouble dans la linéarité temporelle est accentué par le choix de la poésie qui conduit au discontinu : chaque pièce vaut pour elle-même et a sa propre thématique. Le recueil devient un kaléidoscope des reflets des états d’âme du poète.
2) Un miroir tendu au lecteur : « Ah, insensé, qui crois que je suis pas toi. »
Citation
« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. Moi seul. […] Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. » (Rousseau, Les Confessions)
Si Rousseau, dans ses Confessions, justifie son projet autobiographique en clamant sa différence, le projet de Hugo est tout autre : Homo sum, écrit-il, « je suis un homme » comme les autres. Tout homme pourra ainsi contempler sa propre destinée dans celle de Hugo.
Au seuil des Fleurs du mal, Baudelaire apostrophe son lecteur « Hypocrite lecteur, – mon semblable –, mon frère ! ». « Je est un autre » écrira Rimbaud un peu plus tard. Pour Hugo, le « je » lyrique est semblable et différent car le « poète écoute en lui-même une lyre » (Contemplations I, 2) : le poète est seul capable de parler le langage de l’âme.